AccueilExpressions par Montaigne[Le monde vu d’ailleurs] - Législatives en République tchèque : vers un bloc illibéral en Europe...La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Europe12/11/2025ImprimerPARTAGER[Le monde vu d’ailleurs] - Législatives en République tchèque : vers un bloc illibéral en Europe centrale ?Auteur Bernard Chappedelaine Ancien conseiller des Affaires étrangères Découvreznotre série Le monde vu d'ailleursLe Tchèque Andrej Babiš, le Hongrois Viktor Orban, peut-être le Slovaque Robert Fico, sans parler d'une Pologne partagée entre son président ultraconservateur Karol Nawrocki et son Premier ministre pro-européen Donald Tusk : au sein de l'UE, le groupe de Visegrád (“V4”), aux positions conservatrices et populistes, se voit renforcé par la victoire, avec 34,5 % des voix, du parti de Andrej Babiš aux législatives d'octobre en République tchèque. La ligne de Viktor Orban peut-elle gagner en influence au sein des institutions européennes ? Quel sera l'impact sur la guerre en Ukraine ?Les orientations du gouvernement slovaque restent à préciserLes élections législatives organisées les 3 et 4 octobre en République tchèque ont produit le changement politique attendu, note le site Visegrád Insight, et ramené au pouvoir Andrej Babiš et son parti populisteANO (34,5 % des suffrages), qui a cependant besoin de deux autres formations eurosceptiques aux options très contestées - le parti "Liberté et démocratie directe" (SPD) et le "Parti des motoristes" - pour atteindre la majorité parlementaire. ANO a capitalisé sur les difficultés économiques, la désaffection des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels et sur la lassitude de l’opinion concernant l’aide à l’Ukraine, estime l’European Policy Center (EPC). Les discours électoraux ont alimenté les spéculations sur l’attitude qu’adopteront ces partis, une fois au pouvoir, à l’égard de l’UE et de l’OTAN, note Visegrád Insight : le SPD s’est prononcé en faveur de référendums sur l’appartenance du pays à ces deux organisations, hypothèse écartée par le président Pavel comme par Andrej Babiš, un homme d’affaires, qui, souligne le site, a investi, non pas en Chine ou en Russie, mais dans seize États membres de l’UE, et qui bénéficie largement des subventions agricoles européennes. Le programme de la coalition tente de répondre à ces interrogations, relève Der Standard, en marquant que la République tchèque est "un État souverain au sein de l’UE et un partenaire solide de l’Alliance dans le cadre de l’OTAN". Ce programme écarte toutefois le passage à l’euro, il critique l’interdiction des moteurs thermiques à l’horizon 2035, juge "inapplicable" le Green Deal, il entend promouvoir une "tolérance zéro" sur le plan migratoire et refuse le "paquet migration-asile", relève Der Tagesspiegel. Le Conseil européen comptera bientôt deux membres issus du groupe des "Patriotes pour l’Europe" et peut-être un troisième représentant si Robert Fico, président du gouvernement slovaque, les rejoint, note le Financial Times (son parti, le SMER, fait pour l'instant partie des non-inscrits). La Hongrie veut enrôler Prague dans un "front anti-ukrainien" dont elle prendrait la tête, en y incluant Bratislava."Le passage de Prague dans le camp des eurosceptiques modérés, se félicite Vzgliad, est une nouvelle illustration de la désintégration du modèle de l’UE qui s’était constitué en 2022" autour de la présidente de la Commission avec pour objectif de "nuire à la Russie et d’aider l’Ukraine". Selon le quotidien russe, à la demande de Washington, les pays européens ont "fait preuve d’une solidarité impressionnante pour se tirer des balles dans les pieds", mais cette unité n’existe plus et le projet "qui avait Kiev pour capitale s’effondre à vue d’œil".Conseiller politique du Premier ministre hongrois, Balázs Orbán plaide ouvertement dans un entretien à Politico en faveur d’une coopération étroite avec la République tchèque et la Slovaquie, qui conduirait, avant les Conseils européens, à une harmonisation des positions entre MM. Orbán, Babiš et Fico et à un rapprochement entre leurs différents groupes au Parlement européen. Désormais, la Hongrie est moins seule, se réjouit le site eurosceptique Brusselssignal.eu, Robert Fico est au pouvoir en Slovaquie depuis 2023, en Pologne le Premier ministre Tusk est confronté au président nationaliste Nawrocki et Andrej Babiš vient de remporter les élections. La Hongrie veut enrôler Prague dans un "front anti-ukrainien" dont elle prendrait la tête, en y incluant Bratislava, commente la FAZ. Les responsables hongrois se réfèrent à la crise des réfugiés de 2015 et rappellent que ces quatre pays, qui forment le groupe de Visegrád ("V 4"), avaient alors pu peser sur les décisions prises par l’UE et s’opposer à une répartition par quotas obligatoires. Mais l’invasion de l’Ukraine en 2022 a creusé les divisions au sein du groupe. Le think tank européen EPC (European Policy Centre) redoute que le résultat du scrutin n’accélère la transformation du "V4 " en un bloc dominé par Viktor Orbán et Robert Fico et par les "populistes illibéraux", qui ferait obstruction au consensus à Bruxelles sur des sujets essentiels et à un moment critique pour l’UE (Russie/Ukraine, immigration, budget). La renaissance du groupe de VisegrádTout comme MM. Nawrocki, Orbán et Fico, le Premier ministre tchèque a une conviction très forte - la souveraineté. Ces dirigeants ne sont pas favorables à l’approfondissement de l’intégration européenne en dépit du contexte géopolitique qui l’exigerait, souligne également Judy Dempsey, antipathie due à la période communiste qui avait privé les pays d’Europe centrale de leur indépendance. En 1989 à Prague, lors de la "révolution de velours", les manifestants exprimaient leur désir de vivre dans un "pays normal" comme la France ou l’Allemagne, rappelle Timothy Garton Ash, mais le contenu de cette "normalité" a changé. Petr Fiala, le Premier ministre tchèque sortant, a tenté sans succès de mobiliser les électeurs en leur demandant s’ils voulaient "aller à l’est ou à l’ouest" : mais que signifient aujourd’hui ces notions, se demande l’historien, alors que Donald Trump et Giorgia Meloni sont au pouvoir et qu’en Allemagne et en France les forces populistes ne cessent de progresser. En réalité, pour Timothy Garton Ash, plus que la fin de la domination soviétique, la référence historique la plus pertinente pour notre époque est la période précédant la Première Guerre mondiale. Le clivage qui réapparaît distingue les pays du nord de l’Europe (Scandinavie, Pologne, pays baltes), qui ont une longue expérience de l’impérialisme russe, et les États d’Europe centrale et balkanique, qui ont appartenu aux empires austro-hongrois et ottoman, moins hostiles à la Russie et moins favorables à l’Ukraine. Ce sont ces pays qui se dressent aujourd’hui contre les ambitions de la Commission européenne, note également Vzgliad, qui ajoute à cette liste la Croatie, autre terre de l’empire des Habsbourg, dont le Président Zoran Milanović a été qualifié d’"agent de la Russie". Le résultat des élections tchèques redonne de la vigueur au "V 4", créé en 1991 au lendemain de l’effondrement du bloc communiste par des États, hostiles à la Russie et très pro-européens, estime aussi l’EPC.Le think tank bruxellois redoute que le rapprochement d’Andrej Babiš du camp Orbán-Fico ne transforme le groupe de Visegrad en "un bloc antilibéral au sein de l’UE", hypothèse également envisagée par la FAZ, qui juge possible un soutien réciproque entre les trois capitales pour se défendre des accusations de corruption, de conflits d’intérêt et de violations de l’État de droit. Pour le quotidien de Francfort, des nuances existent toutefois sur les questions de fond et sur les sujets de politique étrangère, notamment entre Bratislava et Budapest. Après son retour au pouvoir en 2023, Robert Fico n’a pas conclu d’alliance formelle avec Viktor Orbán, note Politico. Il peut être tentant de conclure que la victoire d’Andrej Babiš va conférer un élan supplémentaire aux partis populistes d’Europe centrale et orientale et accroître leur poids au sein de l’UE, mais la réalité est plus complexe, explique aussi Judy Dempsey. Les mouvements populistes en République tchèque, en Hongrie, en Pologne et en Slovaquie ont des conceptions différentes du fonctionnement interne de l’UE et de son rôle sur la scène internationale, Andrej Babiš promeut une version spécifique de l’euroscepticisme, souligne Judy Dempsey. Il n’a aucun intérêt à mettre en question les subventions européennes et il est peu probable qu’il emprunte la voie hongroise de Viktor Orbán, affirme aussi le politologue Milan Nič, interrogé par la Süddeutsche Zeitung. Andrej Babiš devrait plutôt se rapprocher de Robert Fico et de Donald Tusk, également hostile au Green Deal, et s’efforcer de nouer une bonne relation avec Berlin et Paris. Le prochain chef du gouvernement tchèque est un "politicien transactionnel", comparable à Donald Trump, qui tolère mal l’indépendance de la justice et des médias publics, mais ce n’est pas un "eurosceptique idéologique", point commun avec son homologue slovaque, souligne encore Judy Dempsey. De même, pour l’hebdomadaire Die Zeit, Andrej Babiš est un "Européen pragmatique". Des élections législatives auront lieu en Hongrie (2026), en Slovaquie et en Pologne (2027), l’avenir du "V 4" demeure incertain, estime l’EPC, il est possible que "le balancier reparte dans l’autre sens" et que le front commun Babiš - Fico - Orbán soit de courte durée, avance le FT.Il peut être tentant de conclure que la victoire d’Andrej Babiš va conférer un élan supplémentaire aux partis populistes d’Europe centrale et orientale et accroître leur poids au sein de l’UE, mais la réalité est plus complexe.Dans son entretien à Politico, Balázs Orbán escompte que la coordination des positions entre Budapest, Bratislava et Prague aura pour effet de limiter l’assistance fournie à l’Ukraine, alors que, jusqu’à présent, soulignent les experts, les partis populistes d’Europe centrale sont divisés sur l’attitude à adopter à l’égard de la Russie et de l’Ukraine.Quand ils étaient au pouvoir, rappelle Judy Dempsey, le PiS de Jarosław Kaczyński avait apporté un soutien logistique essentiel à Kiev et Andrej Babiš n’avait pas fait obstacle à la fourniture d’équipements militaires à l’Ukraine, tandis qu’en Hongrie et en Slovaquie les dirigeants populistes au pouvoir sont "pro-russes et anti-ukrainiens". La revue Foreign Policy souligne l’importance des enjeux mémoriels en Slovaquie (1938,1944, 1968, 1989), l’efficacité de la propagande russe, mais aussi les résistances qu’elle suscite. La FAZ rappelle que Robert Fico a été le seul chef de gouvernement de l’UE à assister cette année au défilé militaire du 9 mai à Moscou. Pour les commentateurs, la politique de la nouvelle coalition tchèque à l’égard de la guerre en Ukraine est difficile à anticiper, dans sa campagne électorale Andrej Babiš s’est souvent contenté de répéter qu’il "veut la paix" et de désigner la Russie comme "l’agresseur", relève Visegrád Insight. Le programme de gouvernement ne mentionne pas une seule fois la Russie, constate le ministre des Affaires étrangères sortant dans Politico. Le futur Premier ministre a laissé entendre qu’il entendait réduire les livraisons d’armes à Kiev, ce qui mettrait en question "l’initiative tchèque sur les munitions" qui a été saluée car elle a permis de fournir à l’Ukraine plusieurs millions d’obus, souligne la Süddeutsche Zeitung. Le groupe de Visegrád est moins puissant que dans le passé, estime la FAZ, la Pologne, le membre le plus important, défend des positions différentes des autres États. La constitution tchèque a mis en place des contrepoids institutionnels et le Président peut limoger le chef du gouvernement. Moscou ne peut néanmoins que se féliciter de l’émergence de ce que le porte-parole du Kremlin qualifie de "bloc anti-ukrainien au sein de l’UE" et un expert, Nikolaï Topornine, de "coalition du refus" en référence à la "coalition des volontaires" conduite par Londres et Paris. Beaucoup de spécialistes russes de la région, comme Vladimir Simindeï et Andreï Martinek restent également sceptiques sur la cohérence de ce format tripartite réunissant Bratislava, Budapest et Prague.Les résultats de la rencontre Trump-OrbánLe déplacement à Washington du Premier ministre hongrois avait un objectif très concret - obtenir du Président Trump une dérogation aux sanctions américaines qui frappent désormais les achats d’énergie russe - cinq mois avant des élections législatives qui se présentent mal pour Viktor Orbán, explique la BBC. Malgré les campagnes de dénigrement dont il est l’objet, tous les sondages indépendants accordent une avance importante au parti d’opposition Tisza de Peter Magyar, observe en effet la Deutsche Welle (DW). Les difficultés dans les secteurs de la santé, de l’éducation et des transports, ainsi que les accusations de corruption dans l’entourage du Premier ministre provoquent une désaffection de l’opinion. La politique étrangère est l’un des seuls domaines dans lesquels il peut encore marquer des points, estime la DW. Au sein de l’UE et de l’OTAN, Viktor Orbán est isolé, il tente de se rapprocher de Robert Fico et d’Andrej Babiš, qui se montrent toutefois plus flexibles à propos de l’Ukraine notamment. La politique commerciale de Donald Trump pénalise les exportations de véhicules, notamment le secteur automobile hongrois dans lequel les constructeurs allemands sont d’ailleurs très implantés, relève la radio-TV allemande. La Hongrie, comme la Slovaquie et la Slovénie, est aussi très dépendante des importations de gaz et de pétrole russes et, en se rendant aux États-Unis, Viktor Orbán a souligné que, faute d’exemption, le prix de l’énergie pour ses compatriotes serait multiplié par un coefficient de 2,5 fin novembre, rapporte le Hungarian Conservative. La Hongrie, comme la Slovaquie et la Slovénie, est aussi très dépendante des importations de gaz et de pétrole russes et, en se rendant aux États-Unis, Viktor Orbán a souligné que, faute d’exemption, le prix de l’énergie pour ses compatriotes serait multiplié par un coefficient de 2,5 fin novembre.À première vue, Viktor Orbán a obtenu ce qu’il était venu chercher, estime la BBC. La durée de la dérogation concernant l’importation d’énergie russe fait toutefois l’objet de déclarations contradictoires, un an selon la Maison blanche, illimitée d’après le ministre hongrois des Affaires étrangères. Lors de ce séjour, précise ce média, a été signé un mémorandum sur la coopération dans le nucléaire civil, qui pourrait faire de la Hongrie une plate-forme régionale pour les "petits réacteurs modulaires" (PRM), ainsi qu’un contrat de 600 millions de dollars pour la fourniture de GNL américain et un engagement à acheter aux États-Unis du combustible pour ses centrales nucléaires de fabrication soviétique.L’achat d’une dizaine de PRM pour un montant qui pourrait aller jusqu’à 20 milliards de dollars vise notamment à répondre aux besoins d’énergie que crée la construction en Hongrie de giga-usines de batteries chinoises, mais il va entraîner une dépendance de long terme vis-à-vis des États-Unis. De plus, selon la DW, cette technologie n’est pas encore éprouvée. Au-delà des enjeux économiques, cette visite devait démontrer l’étroitesse des liens entre les deux dirigeants, souligne le German Marshall Fund et des relations bilatérales qui, selon l’expression de Viktor Orbán, citée par Der Standard, vont connaître "un âge d’or". S’agissant de l’Ukraine, le Premier ministre hongrois a fait sien le discours de Donald Trump, convaincu que, s’il avait alors été au pouvoir, la guerre n’aurait pas eu lieu, relève le quotidien autrichien, et il a prétendu qu’en l’absence de pressions de l’administration Biden, les Européens se seraient bornés à "quelques livraisons humanitaires" à l’Ukraine. Aucune avancée, note le journal, n’a toutefois été enregistrée sur la tenue à Budapest d’un sommet Poutine-Trump, que ce dernier avait annoncé, puis reporté. Copyright image : Michal Cizek / AFP Andrej Babis, lors d’un débat télévisé le 1er octobre 2025, à Prague.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneNovembre 2025[Scénarios] L’OTAN à l’épreuve de la menace russe : l’hypothèse balteLes incursions de drones russes et cyber-attaques en 2025 menacent l’Europe. Cette note analyse le risque d’escalade russe, l’impact d’un désengagement américain et les réponses possibles de l’OTAN et de l’UE pour sécuriser les pays baltes.Consultez la Note d'éclairage 03/06/2025 Élection présidentielle en Pologne, un séisme prévisible ? Pierre Buhler 05/06/2025 [Le monde vu d’ailleurs] - La Roumanie et la Pologne aux prises avec le pop... Bernard Chappedelaine