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17/10/2023

À la santé du numérique : la technologie au service de la prévention

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À la santé du numérique : la technologie au service de la prévention
 Arthur Dauphin
Auteur
Chargé de mission Numérique en Santé, France Assos Santé

Il existe plus de 350 000 applications liées à la santé. Ces chiffres, recensés par la Haute Autorité de santé, sont en forte croissance ces dernières années. Du fait de la généralisation de l’usage des smartphones, des plateformes et des applications mobiles, ces outils numériques constituent un levier prometteur pour la prévention. Ils ont en effet le potentiel de renforcer l’autonomie des usagers en leur proposant des informations et des outils pour mieux gérer leur santé et adopter des bons comportements. À condition, toutefois, que ces usagers disposent d’une bonne littératie en santé et qu’ils maîtrisent internet et les outils numériques : en cas contraire, les inégalités sociales de santé seraient encore accrues.
 
Pour l’Institut Montaigne, Arthur Dauphin, chargé de mission Numérique en santé à France Assos Santé, revient sur les conditions de réussite auxquelles le déploiement d’outils numériques doit souscrire pour renforcer la prévention en santé. 

De quelle manière le numérique peut-il favoriser la promotion de la santé et la prévention primaire, c’est-à-dire la prévention de l’apparition des maladies ?

Le numérique offre l’opportunité de personnaliser les grandes campagnes de sensibilisation pour mieux les relayer, en complément des dispositifs plus traditionnels, tels qu’envois de lettres, affiches, encarts dans la presse, spots de télévision et de radio. Cette diversification des canaux doit conduire non seulement à accroître l’accessibilité de l’information, mais aussi à favoriser son adaptation au public visé. Un bon exemple illustrant l’intérêt du numérique en prévention est celui de la plateforme Recosanté, service public numérique donnant accès à des indicateurs sur la qualité de l’environnement (pollution de l’air, de l’eau, indice UV, présence d’allergènes) et les vigilances météorologiques. Ils sont accompagnés de recommandations quant aux comportements à adopter en fonction des différents profils de santé -par exemple l’asthme et les allergies. La plateforme Recosanté a fait l’objet d’une présentation travaillée et d’efforts substantiels de visualisation, de compréhension et de lisibilité grâce auxquels elle est adaptée à différents niveaux de littératie. 

Le numérique offre l’opportunité de personnaliser les grandes campagnes de sensibilisation pour mieux les relayer.

Le numérique permet également de renforcer la réactivité des campagnes en permettant d’agréger et d’actualiser facilement les informations destinées aux usagers. C’est dans ce sens qu’a été rédigé l’article 88 de la Loi de modernisation de notre système de santé, adoptée le 26 janvier 2016, qui prévoit la création d’un Service public d’information en santé. Cet article a abouti à la création du site internet Santé.fr, dont l’objectif est de mettre une information santé claire, transparente et accessible à disposition des citoyens.

La crise du Covid-19 a démontré combien cet outil était efficace en permettant d’agréger en un même endroit des informations fiables - comme la liste des centres de test Covid ou de vaccination. 

Au-delà de l’objectif de prévention primaire, l’utilisation du numérique peut se révéler très efficace dans le cadre de l’éducation thérapeutique du patient, qui consiste, selon la définition de l’OMS, à aider les patients à "acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique". Les formations en ligne, par exemple sous forme de MOOC, en font partie : les patients peuvent ainsi s’affranchir d’éventuelles barrières géographiques et logistiques, comme c’est le cas pour le télétravail ou les téléconsultations.

Au-delà des considérations logistiques, le numérique peut également favoriser l’adhésion des patients, notamment dans le cadre d’addictions parfois stigmatisées. Durant la crise sanitaire, la mise en place de groupes de paroles en visioconférence semble avoir facilité l’intégration de certains patients qui souhaitaient conserver une forme d’anonymat en éteignant leur caméra ou encore leur micro, ou qui n’auraient pas, en d’autres circonstances, osé franchir la porte d’un groupe de parole ou d’un CSAPA (Centres de Soin, d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie). C’est donc véritablement une nouvelle voie d’entrée dans le système de santé.

Enfin, le numérique est un moyen pour les citoyens de gérer leur santé et leur bien-être de manière plus autonome, notamment grâce aux applications de santé. En offrant un aperçu au quotidien de différents indicateurs et en facilitant l’auto-gestion, les applications permettent aux utilisateurs d’ajuster leur mode de vie à leurs objectifs de santé. Parmi ces applications, on peut mentionner des outils de sevrage tabagique, de suivi du cycle menstruel ou encore des assistants pour les personnes atteintes de troubles de la vision.

Le numérique peut également favoriser l’adhésion des patients, notamment dans le cadre d’addictions parfois stigmatisées.

Certaines de ces applications vont même plus loin, offrant la possibilité de contacter directement des professionnels de santé. Ces fonctionnalités ont un impact direct sur la prévention car elles font le lien avec des interventions humaines. Toutefois, au vu de la multitude d’offres d’applications de santé, il peut être difficile pour le patient de s’y retrouver. Cela est d’autant plus vrai si le patient manque de littératie au sujet des questions numériques ou de santé : en effet, il ne sera pas toujours facile pour lui de savoir comment interpréter, par exemple, les ECG (électrocardiogramme) de sa montre connectée.

La littérature montre que l’efficacité de la prévention est socialement différenciée. Est-ce que le numérique peut aider à atteindre les populations éloignées du système de santé et dans quelles conditions ?

D’abord, il est important de souligner que le numérique ne peut pas se substituer aux autres canaux de communication. S’il intervient en complément des autres leviers de prévention, il n’est pas envisageable que les campagnes se résument uniquement aux médias numériques. 

Le numérique peut néanmoins permettre d’atteindre plus facilement des personnes éloignées du système de soins et peu réceptives aux campagnes conventionnelles à condition d’adapter les messages de prévention aux populations spécifiques en fonction de leur littératie en santé. La littératie en santé varie en effet en fonction de nombreux déterminants comme les revenus, l’âge ou le diplôme : en 2019, 46 % des Français considéraient qu’il était difficile voire très difficile de trouver et comprendre des informations en ligne sur la santé. Afin d’assurer leur bonne réception, il est important de co-construire les messages de prévention avec les publics visés. Comme l’affirme la Haute Autorité de santé, l’engagement des personnes au bénéfice de leur propre santé repose sur une collaboration entre professionnels et patients et une diminution du paternalisme dans les messages publics. 

L’intérêt du numérique est d’orienter plus efficacement les personnes vers les professionnels et les soins les mieux adaptés.

Par ailleurs, si le numérique représente un vecteur de messages intéressant, il n’est pas une fin en soi : l’intérêt du numérique est d’offrir les moyens d’orienter plus efficacement les personnes vers les professionnels de santé et les soins qui leur sont les mieux adaptés. L’enjeu de l’accès aux soins est crucial, dans un contexte où les campagnes de prévention numériques sont encore peu connectées aux parcours de soins effectifs. 

Dans le cas des addictions à l’alcool par exemple, l’accompagnement des professionnels de santé est pourtant central pour assurer le repérage précoce et la prise en charge du patient ou faire passer les messages généraux sur l’impact de ces consommations sur la santé. 

Qu’en est-il de l’utilisation effective des applications de santé et de bien-être ? Avez-vous des retours des patients sur le sujet ? Quels sont les freins à l’utilisation du numérique ?

Les applications en santé et bien-être constituent une jungle d’outils numériques, qu’il convient de rationaliser. Beaucoup de publics éprouvent des difficultés face au numérique. Selon une étude du CRÉDOC (Centre de recherche pour l’observation et les conditions de vie) d’avril 2023, ce sont près d’un jeune sur cinq qui sont éloignés du numérique. Par ailleurs, les pratiques numériques des jeunes sont hétérogènes et inégalitaires. Le capital culturel des parents joue un grand rôle dans la maîtrise des outils numériques des enfants. Au-delà du gradient social, l’âge a également un impact sur la littératie en santé numérique : on estime ainsi que les compétences numériques déclinent à partir de 46 ans. Les innovations numériques se succèdent à une telle vitesse -chatbots, IA générative - qu’une bonne partie de la population, usagers comme professionnels, n’est pas armée pour saisir les enjeux de santé numérique. 

Une autre question que posent les applications de santé est celle de l’usage des données qu’elles récoltent. Les objets connectés comme les montres donnent accès à une variété de données telles que le pouls, la pression d’oxygène dans le sang ou l’activité électrique du cœur. Il existe un réel intérêt à agréger ces données, notamment pour les communiquer aux professionnels de santé. Toutefois, bien que ces données soient aujourd’hui de plus en plus facilement collectables et interopérables, force est de constater qu’elles ne sont, pour la plupart, pas valorisées. Il existe une multitude d’actions à mener pour faire en sorte que ces données ne demeurent pas inutilisées et qu’elles puissent soutenir la prévention secondaire en appuyant un dépistage précoce des maladies. À ce sujet, il peut être instructif d’étudier l’usage des applications de santé par les patients chroniques et les professionnels de santé. En oncologie, par exemple, l’écosystème prend la mesure de ces innovations. Les applications de santé sont utilisées en télésurveillance, ou pour conduire des questionnaires PROM (Patient-Reported Outcome Measures), qui évaluent les résultats des soins perçus par les patients. 

Cependant, l’usage médical des applications demeure suspendu aux pratiques des patients et des professionnels de santé. Chez les patients chroniques, le degré d’appropriation de ces applications est faible. Les patients diabétiques, en particulier de type 1, montrent en revanche un bel exemple d’adoption large d’applications de santé. Pour ce public, les applications donnent des informations essentielles pour adapter leur prise en charge et auto-gérer leur pathologie : ce succès est notamment lié à la forte incorporation de ces données dans les pratiques par les équipes médicales.

Les objets connectés comme les montres donnent accès à une variété de données [de santé.] Il existe un réel intérêt à les agréger.

Pour les autres, le développement d’outils tels que Mon espace santé peut contribuer à la dynamique de démocratisation des applications en santé et donner confiance aux usagers dans la jungle des outils.

Mon espace santé peut-il contribuer, selon vous, à renforcer la diffusion des messages de prévention auprès des Français et leur portée ?

Lancé en janvier 2022 par l’Assurance maladie et le Ministère de la Santé, Mon espace santé est un dossier médical numérique qui permet aux assurés de stocker et partager les documents utiles à leur suivi médical. Cet espace propose également un catalogue de services numériques et d’applications en santé référencés par les services publics. Cet espace peut permettre ainsi d’aider les Français à faire un tri parmi les multiples applications de santé et leur donner confiance dans la sécurité de leurs données, en offrant un cadre clair et strict. 

En outre, il doit pouvoir offrir une visibilité élargie aux diverses campagnes de prévention, notamment en facilitant la redirection vers des services spécialisés, comme l’outil Tabac info services, pour la prévention contre le tabagisme. Cependant, on attend encore l’intégration de services existants comme la plateforme des 1000 premiers jours, axée sur la santé materno-infantile (ces deux outils sont portés par le gouvernement), ou le portail pour la vaccination contre les papillomavirus humains, porté par l’Institut national du cancer. 

En une année d’existence, seulement 7,9 millions de personnes ont activé Mon espace santé.

Par ailleurs, Mon espace santé peut contenir des messages personnalisés de prévention. Avec l’accord du patient, les données personnelles de santé, alimentées par l’usager lui-même, par les professionnels de santé et par des sources externes telles que la CNAM, peuvent en effet être utilisées à des fins de prévention personnalisée.

C’est l’une des conclusions du comité citoyen convoqué par la délégation du numérique en santé, qui a rendu son avis en décembre 2022. Ainsi, en s'appuyant sur les données des patients, Mon espace santé peut contribuer à un meilleur ciblage des messages de prévention. 

En une année d’existence, seulement 7,9 millions de personnes ont activé Mon espace santé, soit 1 Français sur 7 à date de cet article. Malgré un nombre qui peut paraître décevant, il ne faut pas sous-estimer l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux et le numérique dans la transmission et l’échange de messages de santé. Les forums de discussion en ligne sont des outils interactifs émancipateurs pour les usagers, en témoigne, entre autres, le vaste forum accessible sur le site internet de La Ligue contre le Cancer. Pour favoriser une prévention inclusive, accessible et personnalisée et transformer l’essai de la transition numérique en santé, il existe de nombreux horizons à explorer et des espaces à investir. 

Copyright Image : Olivier MORIN / AFP 

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