AccueilExpressions par MontaigneFinance responsable : intégrer la géopolitique face à un monde incertainLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Régulation21/05/2025ImprimerPARTAGERFinance responsable : intégrer la géopolitique face à un monde incertainAuteur Florent Parmentier Secrétaire général du CEVIPOF Comment la guerre culturelle lancée par l'administration Trump affecte-t-elle le paysage financier ? Face à la dérégulation américaine, l'Europe ne risque-t-elle pas de compromettre sa compétitivité en cherchant à défendre les objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) de ses investissements ? Au contraire, explique Florian Parmentier dans sa tribune, il en va de sa survie stratégique. Comment les Européens peuvent-ils relever le défi du leadership normatif et dessiner un capitalisme du XXIe siècle adapté au monde contemporain ?La finance responsable, popularisée par le rapport fondateur Who Cares Wins publié en 2004 sous l’égide des Nations unies, s’est imposée comme l’un des leviers majeurs de transformation des marchés. Permettant d’apprécier la décision d’investissement à l’aune de critères plus larges que la seule rentabilité, cette approche rassemble l’ensemble de pratiques intégrant des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG), qu’il s’agisse d’investissement socialement responsable, d’investissement à impact, d’engagement actionnarial ou encore plus simplement d’intégration des critères ESG. Ces dernières années, la finance responsable s’est progressivement institutionnalisée jusqu’à devenir une référence très largement répandue dans la gestion d’actifs, la régulation financière et la stratégie des grandes entreprises. Aussi, la vertu ne saurait aller contre la valeur ; la finance responsable doit permettre de disposer d’un avantage comparatif, en engendrant une limitation des risques réglementaires ou une amélioration de la réputation.La vertu ne saurait aller contre la valeur ; la finance responsable doit permettre de disposer d’un avantage comparatif, en engendrant une limitation des risques réglementaires ou une amélioration de la réputation.En théorie, cette approche pourrait sembler idéale, offrant une synthèse parfaite entre responsabilité et performance économique. Mais, depuis que l’ESG s’est diffusé dans les sphères économiques, l’environnement géopolitique mondial s’est largement assombri avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump.Multiplication des conflits, tensions sino-américaines, instrumentalisation de l’énergie comme arme stratégique, retour de la guerre en Europe, remilitarisation des échanges et vulnérabilités systémiques : jamais les incertitudes géopolitiques n’ont été aussi profondes et n’ont eu de tels impacts, comme le montre le Economic Policy Uncertainty Index, qui mesure l’incertitude liée à la politique économique en analysant la fréquence de certains mots-clés dans les grands journaux, la variabilité des prévisions économiques, et l’évolution des réglementations fiscales et budgétaires.Face à ces changements affectant notre souveraineté et notre résilience économique, que doivent faire les entreprises et les acteurs de la finance européens ? Doit-on considérer la "finance responsable” comme un luxe pour temps de paix, se transformant en fardeau dans ces temps troublés ? Au contraire, les Européens doivent-ils déclencher une contre-croisade pro ESG en réponse à la croisade trumpienne de dérégulation ? Ou bien encore, peut-elle être amendée pour tenir compte de la conjoncture internationale ? Tandis que certains plaident pour une réorientation à l’américaine, reléguant les critères ESG au second plan pour mieux reconquérir notre autonomie (choix qui revient à scier la branche sur laquelle repose notre avenir), d’autres, à l’inverse, défendent la nécessité de maintenir, voire de réinventer les principes ESG : non pas en se concentrant sur des arguments moraux, mais sur la valeur financière tangible créée par des modèles commerciaux durables. Autrement dit, quels nouveaux outils développer, en interne dans les entreprises ou en externe dans le cadre de régulation, pour que la rentabilité de l’ESG augmente plutôt que diminue ? Car les enjeux que l’ESG ambitionne de traiter (climat, inégalités, gouvernance responsable) ne se sont pas évaporés. Ils sont, plus que jamais, au cœur de notre survie stratégique.C’est ici qu’émerge une figure décisive : celle du Chief Geopolitical Officer (CGO). Celui-ci n’est pas un simple observateur des soubresauts du monde mais son architecte systémique. Son rôle consiste précisément à articuler les exigences de souveraineté, de compétitivité et de sécurité avec les fondements de l’ESG. Là où certains voient un divorce inévitable entre performance géopolitique et responsabilité sociétale, le CGO doit œuvrer à leur réconciliation. Il ne s’agit plus de maintenir les critères ESG tels qu’ils ont été conçus hier, mais de les repenser profondément à l’aune des réalités géopolitiques contemporaines : sécurité énergétique, indépendance technologique, justice climatique, gouvernance algorithmique… Le CGO redéfinit ainsi l’ESG non pas comme une contrainte morale, mais comme un vecteur de puissance, de résilience et d’influence dans un monde fragmenté.La guerre culturelle contre l’ESGIncontestablement, le retour au pouvoir de Donald Trump et les premières semaines de son second mandat accélèrent un retour des puissances constaté depuis quelques années. Naturellement, le secteur financier n’a pas découvert la géopolitique ces dernières semaines : la discipline de la géofinance, traitant de l’entrelacement croissant des dynamiques financières et des rapports de puissance, a su faire sens sur le plan géopolitique d’événements majeurs comme la fin du système de Bretton Woods en 1971 ou la crise financière de 2008. Au cœur de l’architecture financière internationale se trouve la confiance, perçue comme un bien public mondial, qui garantit la stabilité et la liquidité des marchés. Or, cette confiance est désormais fragilisée par un basculement idéologique : la montée d’une guerre culturelle contre la finance responsable, incarnée politiquement par Donald Trump et ses alliés.Au cœur de l’architecture financière internationale se trouve la confiance, perçue comme un bien public mondial, qui garantit la stabilité et la liquidité des marchés. Or, cette confiance est désormais fragilisée par un basculement idéologique.Sous la présidence Trump, une véritable "guerre culturelle" s’est ouverte contre les principes de la finance responsable, incarnée par la dénonciation du "capitalisme woke", selon l’expression popularisée par l’éditorialiste conservateur Ross Douthat (The New York Times).Cette contestation, nourrie par une partie significative du mouvement conservateur américain, vise à délégitimer l’intégration de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans la finance, perçue comme l’instrument d’une idéologie progressiste imposée aux marchés. Figures emblématiques de cette bataille culturelle, Elon Musk a publiquement qualifié l’ESG de "diable" et "d’escroquerie" sur X / Twitter, contribuant à la polarisation croissante autour de ces normes. À l’image du maccarthysme dans les années 1950 ou des campagnes contre le "politiquement correct" dans les années 1990, l'attaque contre l'ESG révèle que, dans les grandes transitions sociétales, la finance n'est jamais neutre : elle devient un terrain d'affrontement pour la définition même des valeurs qui doivent structurer l'ordre économique mondial.En d’autres termes, l’environnement y est vu comme un frein à la croissance, la gouvernance responsable comme une menace à la souveraineté des entreprises, et les critères sociaux comme des intrusions dans les mécanismes de marché. La précédente politique de l’Inflation Reduction Act, initiée sous la présidence Biden, et qui devait donner lieu à des investissements massifs en matière d’énergies renouvelables, est totalement battue en brèche. Dans cette perspective, les énergies fossiles sont réhabilitées, la déréglementation environnementale est encouragée, et l’État fédéral devient le fer de lance d’un retour à une finance patriote, au service de l’indépendance énergétique nationale. Plusieurs institutions financières majeures, comme les banques JPMorgan Chase & Co, Citigroup, Bank of America, Morgan Stanley, Wells Fargo et Goldman Sachs ou, du côté des gestionnaires d’actifs, BlackRock et JPMorgan Asset Management, ont récemment quitté des alliances climatiques visant la neutralité carbone, notamment la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) et la Net Zero Asset Managers Initiative (NZAM).Cette posture s’est traduite aussi institutionnellement par une attaque en règle contre les agences de régulation, notamment la Securities and Exchange Commission (SEC), accusée de vouloir imposer des standards ESG incompatibles avec les intérêts économiques nationaux. Des nominations politiques et des réformes internes ont cherché à désamorcer les dispositifs de transparence et de reporting ESG. Par-delà les institutions, cette croisade anti-ESG prend aussi une forme culturelle et populiste : elle alimente la défiance envers Wall Street, dépeint les grandes institutions financières comme des élites coupées du peuple, et s’inscrit dans une rhétorique anti-globalisation et anti-régulation. Le combat contre l’ESG devient ainsi un symbole de résistance identitaire face à une mondialisation perçue comme hostile aux valeurs conservatrices.Effondrement, érosion ou résilience de l’ESG face aux incertitudes ?Dans un environnement géopolitique incertain, les marchés financiers ne peuvent plus être analysés uniquement à travers le prisme des fondamentaux économiques ou des modèles de risque traditionnels, auxquels on peut attribuer une probabilité, en raison de la nature même du risque ou d’un défaut de données empêchant de constituer un modèle. Ils fonctionnent comme des systèmes complexes, où interagissent des dynamiques multiples : l’économie réelle, les politiques monétaires, l’innovation technologique, les régulations juridiques, mais aussi, et de plus en plus, les chocs géopolitiques. Cette complexité rend toute prévision plus difficile, tout choc plus diffus, et toute stratégie d’investissement plus exposée à des effets systémiques.Les risques géopolitiques classiques, sanctions économiques, instabilité politique, vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement, ne sont que la partie visible de l’iceberg. Ainsi, de nouvelles formes d’incertitudes et de fragmentation financière apparaissent, liées à la montée en puissance des crypto-actifs, aux efforts de dédollarisation de certains États, ou encore aux tensions autour des infrastructures numériques et des données financières.Aux États-Unis, l’attaque contre le régulateur et la polarisation politique autour des critères ESG introduisent une confusion croissante sur les normes applicables. Cette polarisation légale brouille les signaux du marché, complique les arbitrages des investisseurs institutionnels, et affaiblit le leadership fédéral sur les questions de régulation financière durable. Le modèle américain, autrefois moteur de l’innovation normative, se fragmente sous la pression des États conservateurs et des lobbies industriels. Aussi, cette instabilité se répercute différemment selon les secteurs. L’industrie fossile bénéficie d’un regain de soutien politique et financier dans certains pays, tandis que les technologies vertes subissent les aléas de politiques publiques de plus en plus incertaines. Le secteur de la finance et celui de l’assurance, confrontés à des exigences de transparence accrues, doivent composer avec des environnements réglementaires mouvants, et avec une pression croissante des parties prenantes (clients, ONG, citoyens) sur la traçabilité des investissements.Sur le plan international, une question majeure émerge : qui va désormais assurer le leadership normatif de la finance durable ?Sur le plan international, une question majeure émerge : qui va désormais assurer le leadership normatif de la finance durable ? L’Union européenne tente d’occuper ce rôle avec sa taxonomie verte et ses règlements - comme la SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation, adopté en 2019) ou la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive, adoptée en 2022) - mais elle se heurte à la concurrence américaine et parfois aux résistances d’autres régions.L’absence d’un consensus mondial risque de produire un patchwork normatif, générateur d’arbitrages réglementaires, mais aussi de fragmentation des marchés. Dans ce contexte, les investisseurs, et en particulier les grands gestionnaires d’actifs, deviennent des acteurs politiques à part entière. Par leurs choix, leurs lignes directrices, et leurs outils de reporting, ils contribuent à façonner les standards de demain. De même, les institutions financières doivent aujourd’hui intégrer non seulement les critères ESG, mais aussi les risques liés à leur remise en cause politique, juridique ou réputationnelle.Une opportunité d’affaires pour les acteurs européens et asiatiques ?Reconnaissons une évidence : la remise en cause des critères ESG ne fait pas disparaître les risques qu’ils cherchent à encadrer. Elle ne fait que les déplacer, les dissimuler ou les renforcer, selon les contextes et les agendas politiques. Le changement climatique, les fractures sociales, les crises de gouvernance ou les vulnérabilités systémiques liées aux chaînes de valeur globales ne cessent pas d’exister simplement parce qu’on les nie. Bien au contraire : leur invisibilisation dans les grilles d’analyse financières les rend plus pernicieux, moins anticipés, et donc plus déstabilisants à terme.En effet, la géopolitique ne peut être pensée uniquement en termes de "risque" quantifiable, auquel on associerait une probabilité statistique. Elle est souvent une situation d’incertitude profonde, marquée par des dynamiques systémiques non linéaires, des ruptures inattendues et des effets en cascade. Dans un tel environnement, les stratégies d’investissement fondées sur les critères ESG permettent de mieux anticiper les tensions systémiques, de préparer des plans de résilience, et d’assurer la continuité des flux financiers dans un monde fragmenté. Dans ce contexte, l’Europe et l’Asie pourraient apparaître comme des alternatives stratégiques. Face à la volatilité croissante du cadre normatif américain, certains acteurs peuvent choisir d’adapter leurs politiques d’investissement aux risques géopolitiques croissants, plutôt que de les ignorer. Les critères ESG, loin d’être des handicaps, peuvent alors devenir des outils de stabilisation des portefeuilles et de gestion dynamique de la confiance, cette ressource certes immatérielle, mais centrale dans la finance contemporaine.C’est ici que peut émerger un enjeu de puissance normative, notamment pour l’Union européenne. On retrouve une situation qui rappelle, en miroir, le retrait des États-Unis du protocole de Kyoto en 2001, sous la présidence de George W. Bush : ce moment avait donné à l’Union européenne un rôle de leadership environnemental mondial. Aujourd’hui, la polarisation américaine sur les ESG peut ouvrir un espace similaire, et ce d’autant que l'Europe domine l’investissement ESG mondial, et qu’elle a été pionnière en matière d’investissement responsable avec le Règlement européen sur la publication d'informations en matière de durabilité dans le secteur financier (SFDR), la Directive sur la publication d'informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD) et la Taxonomie européenne pour les activités durables. Le leadership de l’UE dans les initiatives multilatérales, telles que l’Accord de Paris sur le Climat et les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, renforce également son pouvoir d’influence dans l’élaboration des normes ESG mondiales. Encore faut-il que l’Europe sache consolider son propre modèle, ce qui suppose probablement un approfondissement du marché intérieur, une plus grande cohérence des politiques fiscales, une capacité d’harmonisation des normes ou encore un investissement massif dans la transition. En effet, comme l’avance le rapport Draghi, on ne peut nier que la multiplicité des réglementations ESG (SFDR, CSRD, Taxonomie) engendre des contraintes de conformité, notamment pour les petites et moyennes entreprises (PME), tandis qu’une mise en œuvre incohérente entre les États membres risque de compromettre l'harmonisation, tandis que le "greenwashing" demeure un risque réel.Le changement climatique, les fractures sociales, les crises de gouvernance ou les vulnérabilités systémiques liées aux chaînes de valeur globales ne cessent pas d’exister simplement parce qu’on les nie.Du côté asiatique, la mutation des chaînes de valeur, l’essor des technologies vertes et la pression des classes moyennes urbaines offrent également des perspectives prometteuses. Des pays comme le Japon (initiative GX League), la Corée du Sud ou Singapour ont d’ores et déjà intégré des éléments ESG dans leurs régulations financières, et pourraient se positionner comme des hubs d’innovation responsable.La Chine, elle, développe ses propres standards, souvent orientés vers la stabilité systémique plutôt que la transparence démocratique, mais contribue néanmoins à la diversification du leadership normatif. Ainsi, en octobre 2023, la Chine a défini le concept des "Cinq piliers clés" du système financier, ou "Cinq articles majeurs", faisant référence au financement des technologies, à la finance verte, à la finance inclusive, au financement des retraites et à la finance numérique. La Banque populaire de Chine et plusieurs autres ministères ont notamment mis en place des outils de finances vertes et soutenu l’objectif édicté en 2020 d’atteindre un pic d'émissions de carbone d’ici 2030 et la neutralité carbone d'ici 2060. Ainsi, les prêts et obligations verts de la Chine ont progressé en moyenne de plus de 20 % par an depuis 2016, ce qui loin de pénaliser le pays a favorisé les avancées dans les domaines de l'énergie solaire, de l'éolien, des véhicules électriques et des batteries.Dans un monde multipolaire, la guerre des ESG pourrait bien devenir une bataille constante pour la définition des critères du capitalisme du XXIe siècle. Loin d’être condamnée par les tensions actuelles, la finance responsable pourrait alors changer d’échelle et de centre de gravité, en se réancrant dans d’autres géographies, d’autres récits, d’autres temporalités.Le CGO, architecte systémique de l’ESGC’est dans ce contexte d’instabilité croissante et de fragmentation géopolitique qu’émerge la figure du Chief Geopolitical Officer (CGO). Plus précisément, ce dernier doit devenir, dans une approche stratégique et organisationnelle, un architecte systémique de l’ESG.En d’autres termes, il doit penser en termes de systèmes, c’est-à-dire non seulement identifier les éléments d'un problème ou d'une organisation, mais aussi les relations, les rétroactions et les interdépendances entre ces différents éléments. En modélisant la complexité, il cherche à représenter et comprendre l’ensemble du système pour anticiper les évolutions et éviter les effets secondaires ou systémiques imprévus. Incarnant une nouvelle posture d’agilité, il imagine des organisations ou des stratégies capables de s'adapter aux chocs, aux incertitudes, aux changements d'environnement. Il construit des scénarios prospectifs afin de réconcilier les enjeux géopolitiques et les logiques de marché, dont celles de normes ESG de plus en plus divergentes. Ne pouvant se contenter d’être un simple veilleur de risques mesurables, sa vocation d’architecte systémique doit lui permettre d’anticiper. Ainsi, il doit concevoir des structures stratégiques où la responsabilité financière, la résilience géopolitique et la stabilité systémique convergent, en articulant des enjeux des enjeux d’investissement, de réputation, de régulation et de puissance économique. Ce point doit être pris en considération si l’on considère que la capacité des organisations à s’adapter et améliorer leur prise de décision va devenir un élément clé de différenciation et de compétitivité.Dans la mesure où son champ affecte la stratégie globale de l'entreprise (investissements, M&A, réputation ou gouvernance mondiale), et épaule la prise de décision dans un contexte incertain, la place qui revient au CGO est celle de conseiller stratégique de premier plan, soit directement rattaché au PDG, soit auprès du directeur des risques. Il est à ce titre susceptible de participer à plusieurs processus métiers, comme celui de la planification stratégique, afin d’intégrer des analyses géopolitiques dans la cartographie des risques stratégiques, sélectionner des marchés d'expansion et de désengagement. Loin de se contenter d’évaluer un sous-traitant uniquement selon les critères ESG (pollution, travail des enfants, corruption), il faudra désormais se poser un certain nombre de questions préalables à l’action : "ce sous-traitant constitue-t-il un levier géopolitique dans une confrontation d’États ? Favorise-t-il ou fragilise-t-il l’avenir économique et stratégique de mon pays, et donc de mes marchés et de mes clients ?" Dans la gestion des risques ou dans le supply chain management, autrement dit dans la formalisation des registres de risques géopolitiques ou dans l’identification des vulnérabilités géopolitiques critiques (accès matières premières, corridors logistiques, sanctions), une question similaire peut se poser : "soutient-il des économies hostiles, ou bien contribue-t-il à la résilience de ses partenaires stratégiques ?". Il en est de même en matière de fusions & acquisitions et de relations institutionnelles, où le besoin de soutenir la cohérence des prises de positions publiques et privées face aux régulations internationales sera plus que nécessaire. Enfin, les instruments mobilisés sont divers, et parfois connus : taux de vulnérabilité géopolitique de la chaîne d’approvisionnement, évaluation du risque pays pondérée par le chiffre d’affaires, score de résilience stratégique, mais aussi détection des signaux faibles, décryptage des rapports de force invisibles et analyse des dynamiques systémiques. Ils sont bien sûr amenés à évoluer en fonction du système concerné, des secteurs, des acteurs et bien sûr du type d’incertitudes.La capacité des organisations à s’adapter et améliorer leur prise de décision va devenir un élément clé de différenciation et de compétitivité.Dès à présent, les entreprises cotées doivent intégrer cette compétence de lecture géopolitique au sein de leurs équipes, notamment dans leurs services de communication financière, car elles seront de plus en plus tenues de rendre compte de leurs choix d’investissement et de partenariat à travers ce prisme élargi.Dans un monde fragmenté, où les flux de capitaux, les chaînes de valeur et les régimes de confiance sont reconfigurés à grande vitesse, le CGO devient l’acteur central de la gouvernance des risques, mais aussi des opportunités. Il ne s’agit plus de choisir entre le marché et la géopolitique, mais d’inventer une nouvelle finance responsable, capable d’embrasser la complexité sans céder à la confusion.Une première version de cet article a été présentée par Florent Parmentier à l‘occasion des Assises de la finance responsable de l’EM Lyon le 20 mars 2025. L’auteur remercie particulièrement Cyrille Bret, Laurent Célérier, Alexandre Papaemmanuel, Michaël Bret, George-Emmanuel Rosmade, Jean-Baptiste Vaujour, Romain Granjean et France Bachelot pour leurs remarques et conseils. Copyright image : Martin BUREAU / AFP Le quartier de la Défense, à Paris.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneMai 2025Métiers de l’ingénieur : démultiplier nos ambitionsFace aux défis industriels, numériques et écologiques, la France doit combler un déficit critique de compétences scientifiques. D’ici 2035, près de 100 000 ingénieurs et techniciens seront à recruter chaque année. 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