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25/01/2019

Chine : une fois sortie du silence statistique, à quoi ressemblera l'économie?

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Chine : une fois sortie du silence statistique, à quoi ressemblera l'économie?
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

La semaine dernière, nous avons traité dans ce blog de l'énigme américaine, une "fin de cycle sans fin". Cette semaine, nous nous tournons vers la Chine, autre pays de paradoxes et de contradictions profondes.
 
Juste avant d'entrer dans le silence radio statistique causé par les célébrations du Nouvel An lunaire - précisément parce que c'est un événement du calendrier lunaire - la Chine a montré des signes inquiétants de faiblesse, qui ont fait vaciller les marchés financiers mondiaux. La difficulté pour les analystes est de distinguer les tendances structurelles - un déclin constant de la croissance potentielle - des fluctuations de court terme. Les facteurs structurels, à commencer par le déclin de la force de travail et incluant le désendettement forcé des entreprises chinoises, continueront à réduire la croissance potentielle, actuellement de l'ordre de 6,5 %, vers 5 %, voire même moins, au cours des cinq prochaines années. Les fluctuations à court terme sont plus difficiles à prévoir car elles sont souvent le résultat d’une boucle d’interaction entre la politique économique, qui peine à gérer une économie de plus en plus complexe, et l'économie réelle elle-même. Cependant, puisque la logique de cette boucle est connue, à défaut des détails, il est possible d’esquisser un scénario pour 2019.

L’estimation du PIB pour le quatrième trimestre récemment publiée - une augmentation de 1,5 % en termes réels par rapport au troisième trimestre.

L’estimation du PIB pour le quatrième trimestre récemment publiée - une augmentation de 1,5 % en termes réels par rapport au troisième trimestre, ou de 6,4 % par rapport à l’année précédente - semble contredire d’autres indicateurs, tels que le ralentissement sensible des ventes au détail réelles (hausse de 5,8 % en novembre, après 7,5 % au premier semestre de l’année), une baisse de 17 % de la production automobile en novembre, ou une forte contraction des exportations japonaises vers la Chine, touchées par une faible demande de semi-conducteurs, elle-même sous-produit de la guerre commerciale avec les États-Unis

Les données du Bureau national des statistiques (NBS) sont souvent moquées comme peu fiables et politiquement serviles. Une évaluation plus équilibrée consiste à dire que les agents du NBS tentent de tirer le meilleur parti d’un système d'information statistique obsolète, toujours façonné par des concepts soviétiques tels que les quantités, plutôt que les valeurs et les volumes, et largement inapte à évaluer une économie dans laquelle les services prennent maintenant la part du lion.

Peut-être en raison de la mauvaise qualité de leurs données, les statisticiens ont-ils tendance à aplanir les fluctuations cycliques, sous-estimant les ralentissements aussi bien que les accélérations. Et s’agissant d’exercices d’estimation en temps réel, tels que celle du PIB, ils adoptent probablement une position très conservatrice. Malgré cela, les marchés financiers et les analystes privés ne sont pas dupes et ils tablent déjà sur une stagnation du PIB, voire une contraction, au quatrième trimestre, avec une éventuelle contagion aux premiers mois de 2019.
 
Quelles sont les causes de ce ralentissement ? La plus évidente est l’impact de la guerre tarifaire de Donald Trump et les actions des États-Unis, ou la menace de telles actions, contre les appropriations de propriété intellectuelle par des entreprises technologiques chinoises. Cela a peut-être commencé à perturber les chaînes d'approvisionnement asiatiques dans ce secteur stratégique. Mais il y a aussi deux facteurs domestiques importants.

  • Premièrement, la Chine passe sans cesse d’une politique d'expansion du crédit – ce qui augmente excessivement le levier d’endettement – à une politique de restriction, et ce depuis le stimulus massif qui prévint l’effondrement de l'économie chinoise en 2009. Comme le gonflement du crédit - via des banques d'État souvent liées aux responsables locaux du parti, ou des prêts entre pairs (P2P) via des plateformes Internet - est opaque et ouvre la porte à la corruption, les restrictions de crédit mises en place par la banque centrale (Banque populaire de Chine, PBC) sont amplifiées par des objectifs politiques tels que la lutte contre la corruption. On peut penser que c'est exactement ce qui s'est passé fin 2018, après une augmentation importante et politiquement indésirable de l'endettement des entreprises en début de l'année.
     
  • Deuxièmement, la réduction de la taxe sur les ventes d’automobiles a été supprimée au début de 2018, amenant les consommateurs à anticiper leurs achats à la fin de 2017 et entraînant une forte chute par la suite (un effet de base qui doit relativiser la baisse de 17 % déjà mentionnée). Les politiques semblent avoir été pris au dépourvu, au point qu’un organe consultatif officiel a précipitamment prôné une nouvelle réduction de taxe. Ironiquement, cela pourrait déprimer davantage les ventes de voitures : les consommateurs retarderont leurs achats jusqu'à ce que la baisse de taxe soit adoptée. Mais bien sûr, un puissant rebond suivrait, au grand soulagement des officiels. En l’occurrence, le marché automobile chinois est loin d’être saturé et la tendance à long terme des ventes de voitures neuves se redressera, bien qu’à un rythme bien plus lent qu’il y a dix ans. La production automobile avait presque triplé de 2009 à 2011. C'est le passé.

 
La preuve la plus fiable d’un ralentissement généralisé est la réaction de la PBC, qui a déjà ouvert le robinet à liquidités en réduisant d’un point le ratio de réserves obligatoires que les banques commerciales doivent respecter, injectant ainsi 570 milliards de yuans dans l’économie. Même avec une réduction hypothétique de la taxe sur les ventes de voitures, cela ne suffira pas à relancer l’économie : l’injection de liquidités ne représente que 0,7 % du PIB. Bien que la Chine puisse offrir suffisamment de concessions pour empêcher une autre hausse de tarifs douaniers par les États-Unis, il est aussi tout à fait possible que les négociations commerciales échouent. Dans ce cas, la Chine n’aurait pas d’autre choix que de recourir à un stimulus monétaire et fiscal plus important. Il est également possible que la PBC soit priée d’être moins stricte en matière de qualité du crédit et de suspendre temporairement le processus de désendettement. Une fois encore, un cycle de crédit guidé par des considérations politiques remettrait en cause l’objectif de stabilité financière, pourtant cité en première position par Xi Jinping. Le Japon en est passé par là, et les dirigeants chinois savent comment cela s’est terminé.

Cela soulève une question évidente : avec une dette des entreprises atteignant 160 % du PIB (à la mi-2018, rapport de la BRI décembre 2018), l’économie va-t-elle s’écraser sur le fameux "mur de la dette" ? Paul Krugman a posé la question dans un récent éditorial ("L’économie chinoise va-t-elle se heurter à la grande muraille ?" New York Times, 15 janvier), confessant qu’il l’avait déjà pensé il y a huit ans et concluant que, même si les fondamentaux macroéconomiques sont pire qu’alors, le cas n’est pas encore convaincant. Les marchés financiers chinois pourraient fournir des indications sur la soutenabilité de la dette des entreprises cette année, si les politiciens s'abstenaient de toute ingérence.

Le montant des obligations défaillantes s’élevait à 150 milliards de yuans, soit moins de 0,2 % du PIB.

Les événements de crédit, c’est-à-dire les défaillances d’obligations de sociétés, ont été multipliés par dix l’an dernier par rapport à la moyenne de 2015-2017, mais leur taille reste assez marginale : le montant des obligations défaillantes s’élevait à 150 milliards de yuans, soit moins de 0,2 % du PIB. Étant donné que la Chine a désespérément besoin de marchés financiers plus efficaces, à la fois pour mieux allouer les ressources et pour offrir un plus large éventail de produits d'épargne fiables à sa population, une augmentation régulière du nombre de défaillances d'entreprises est une bonne nouvelle, car un historique bien documenté des défaillances est le seul moyen pour les marchés d’évaluer correctement le prix des obligations d’entreprises. Bien qu’elles perçoivent la rationalité de laisser les entreprises faire défaut sur leurs obligations lorsque leur situation financière n’est plus tenable, les autorités chinoises ne peuvent s’empêcher de s’immiscer dans le marché quand elles craignent que les choses ne s’aggravent et qu’elles attisent la colère des épargnants. Il faudra savoir lire entre les lignes des événements de crédit, cette année.

Même si le mur de la dette est trop lointain pour justifier des scénarios catastrophiques à court terme, la question reste ouverte tant que les décideurs continueront à recourir à l'expansion du crédit et à la manipulation des marchés pour prévenir les ralentissements. À mon avis, la Chine connaîtra son jour de vérité de la dette, à un moment difficile à prévoir, mais cela ne sera pas nécessairement aussi catastrophique que ne le prédisent certains analystes. La raison en est que la dette publique chinoise reste très basse par rapport aux normes internationales, à moins de 50 % du PIB. C'est plus que soutenable pour une économie qui continue de croître à un taux nominal de 9 %. On pourrait même avancer que la dette publique, qui, dans un monde de monnaies fiduciaires, est l'ultime actif sûr et liquide, est trop basse pour le système financier et le secteur de l'épargne.

La Chine connaîtra son jour de vérité de la dette, à un moment difficile à prévoir, à un moment difficile à prévoir, mais cela ne sera pas nécessairement aussi catastrophique que ne le prédisent certains analystes.

Voici ce qui, à mon avis, se produira lorsqu’une crise du crédit de grande ampleur s’annoncera : les autorités chinoises renfloueront les banques et le secteur bancaire parallèle, de peur d’une crise systémique. Le plomb sera transformé en or : une dette privée de mauvaise qualité deviendra en partie une dette publique de haute qualité. La Chine fera ce que toutes les économies développées ont fait, face à une crise de la dette. Prenons l'exemple de l'Espagne : en 2008, sa dette publique n’était que 35 % du PIB, tandis que l’endettement de ses entreprises atteignait 130 % du PIB. Aujourd’hui, la dette publique représente près de 100% du PIB, mais le secteur privé a assaini son bilan. Entre-temps, l'Espagne a traversé une profonde récession, mais pas une dépression. La Chine fera de son mieux pour éviter même une récession de style espagnol - ses filets de protection sociale ne sont pas assez solides pour une telle épreuve - et elle sera capable de le faire car, contrairement à l'Espagne, elle est un créancier net du reste du monde tandis que l'Espagne est débitrice et, enfin et surtout, la Chine garde un contrôle strict de ses frontières pour les mouvements de capitaux.

À ce stade, les atouts de l'économie chinoise - investissements massifs dans la technologie, épargne très élevée, montée d'une classe moyenne urbaine nombreuse et bien éduquée, esprit d'entreprise dynamique et concurrence acharnée sur le marché intérieur - l'emportent probablement sur ses faiblesses - niveau d'endettement insoutenable des entreprises, marchés des capitaux inefficaces, taux de dépendance croissant, état de droit faible et protection sociale insuffisante. Dans l'état actuel des choses, le gouvernement dispose d'une marge de manœuvre suffisante pour contrer tout déficit de demande important au moyen de relances budgétaires et monétaires ciblées. Dans l’ensemble, les autorités chinoises ont davantage tendance à utiliser les instruments fiscaux plutôt que de recourir à la dévaluation du yuan, qui provoquerait une fuite des capitaux et irait à l’encontre de la politique étrangère volontariste de la Chine.
 
Préparez-vous à un rebond significatif de la Chine une fois que l'économie sera sortie du silence statistique et profitez-en tant qu’il dure. Au bout du compte, les forces structurelles profondes qui ralentissent l’économie chinoise auront le dessus. La seule question qui restera posée est celle-ci : la Chine réussira-t-elle à éviter d’être piégée dans un stade de développement intermédiaire ? La réponse est pour l’instant inconnue.

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