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01/12/2010

Cap sur une plus grande coopération militaire

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Cap sur une plus grande coopération militaire
 Maylis Brandou
Auteur
Directrice adjointe

Alors que le dernier sommet de l'OTAN s'est clos discrètement (19-20 novembre), la France cherche quant à elle, depuis son retour dans le commandement militaire intégré de l'Alliance Atlantique en 2009, à faire entendre sa voix et peser sur les décisions stratégiques. A l'issue de ce sommet, Nicolas Sarkozy s'est ainsi félicité de l'accord sur le projet de bouclier antimissile, correspondant à ce que souhaitait Paris : "pas unilatéral, pas coûteux, pas hostile à la Russie, au contraire" (lemonde.fr). Non seulement la France est parvenue à trouver un compromis avec l'Allemagne sur le bouclier antimissile et la dissuasion militaire, mais elle a également pesé dans l'adoption du nouveau concept stratégique (équivalent à un ordre de mission pour la prochaine décennie) qui "conforte la place prépondérante de la dissuasion nucléaire dans la stratégie de l'organisation" (lemonde.fr), dissuasion nucléaire qui reste pour l’heure un des piliers de la politique de défense nationale.

Depuis que son Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a redéfini les axes d´une nouvelle stratégie dans le domaine de la sécurité et de la défense en 2008, la France entend rénover ses relations avec l´OTAN tout en s´activant sur le front européen[1]. Elle s´est même vu confier des postes clés, aussi bien dans l’OTAN que dans le récent Service européen d’Action extérieure, avec Pierre Vimont, secrétaire général exécutif du service européen d'action extérieure (2010) ou encore Patrice Bergamini, à la tête de l’agence de renseignements de l’Union européenne (2010). Mais à défaut de parvenir à lancer une véritable Europe de la défense, la France et le Royaume-Uni – pays pourtant historiquement eurosceptique et réticent à l’idée de s´émanciper de son allié américain – se sont entendus pour jeter les prémisses d´une coopération aussi inédite que substantielle.

  • "Pour une plus grande coopération militaire entre la France et la Grande-Bretagne"

Il y a un mois, cette coopération était encore tenue pour impossible, même si le livre vert britannique de février 2010 donnait déjà le ton[2]. Dans une tribune publiée conjointement par Le Figaro et le Daily Telegraphmardi 2 novembre dernier, Roland Rudd, président de Business for New Europe, et Claude Bébéar, président de l’Institut Montaigne, ont ainsi appelé la France et la Grande-Bretagne à accroître leur coopération militaire. Cet appel, auquel se sont ralliés de nombreux signataires, a été lancé le jour du 31ème sommet franco-britannique qui a réuni à Londres Nicolas Sarkozy et David Cameron.

En 2002, l’Institut Montaigne, dans son rapport La sécurité extérieure de la France face aux nouveaux risques stratégiques, appelait déjà à redéfinir le cadre de sécurité et de défense de la France en l’adaptant à l’environnement du début du XXIe siècle, impliquant une révision fondamentale de ses concepts, de ses modes d’organisation et de ses moyens. L´Institut Montaigne proposait une nouvelle stratégie de sécurité basée sur l´articulation entre engagement européen et préservation de l´autonomie stratégique nationale. La coopération étroite décidée par Londres et Paris s’inscrit justement dans une démarche d’investissement concomitant dans l’Europe de la défense ainsi que dans l’OTAN, avec pour objectif le renforcement de leur position nationale de leader en matière de sécurité et de défense.

  • Une coopération militaire substantielle

Dans le contexte d´austérité budgétaire actuel, une coopération renforcée est indispensable si ces deux pays souhaitent maintenir leurs capacités militaires et les développer afin de demeurer des acteurs essentiels au sein de l´OTAN, de l´Union européenne et des Nations Unies. "Dès lors que l’autonomie opérationnelle est préservée, la mise en commun de moyens de transport stratégique et de ravitaillement en vol, et de leur soutien, apparaît comme une première mesure pragmatique générant des économies", souligne la tribune du 2 novembre. En effet, le gel voire la coupe des budgets militaires – à l’ordre du jour dans la plupart des pays européens – peut tout à fait aller de paire avec une efficacité renforcée dans le domaine de la sécurité et de la défense de ces deux pays dont les budgets consacrés à la défense sont les deux plus élevés en Europe. C’est d’ailleurs ce sur quoi sont tombés d’accord le Président de la République française et le Premier ministre du Royaume-Uni en décidant le 2 novembre dernier (cf. Elysée.fr):

- de signer un Traité de coopération en matière de défense et de sécurité afin de développer la coopération entre leurs forces armées, de mutualiser les matériels militaires, de construire des installations communes et de renforcer la coopération industrielle et technologique,

- de coopérer dans les technologies liées à la gestion des arsenaux nucléaires en "centralisant" d’une part la recherche sur les capacités de dissuasion nucléaire dans un centre de développement technologique commune (Aldermaston, Royaume-Uni) et d’autre part la modélisation des performances des têtes nucléaires françaises et britanniques dans une installation commune (Valduc, France),

- de mettre en place une force expéditionnaire commune interarmées (terre, air, mer) disponible en fonction des besoins émanant de l’OTAN, de l’Union européenne ou encore des Nations Unies,

- de se doter de la capacité à déployer une force aéronavale d’attaque intégrée franco-britannique, d’ici à 2020.

  • Quelles avancées cet accord bilatéral permet-il ?

Si la mutualisation de certains programmes de défense avait déjà été envisagée au cours des derniers mois, un pas a été franchi depuis, non seulement dans le degré de coopération mais également dans ses modalités. Les deux pays ont parcouru un long chemin avant d´accepter une telle évolution aboutissant à un partenariat aussi dense. Il y a deux mois, un partage des capacités françaises et britanniques en matière de porte-avions était jugé irréaliste par Liam Fox, ministre de la Défense britannique. Les accords signés le 2 novembre affichent des objectifs bien plus ambitieux : en 2016, Londres harmonisera ses dispositifs sur son futur porte-avions opérationnel avec ceux de la France afin de permettre aux avions binationaux d’opérer à partir des porte-avions des deux pays.

Autre avancée symbolique, leur coopération dans le domaine des armes nucléaires. Comme le défendaient Claude Bébéar et Roland Rudd dans leur tribune, "coopérer sur la maintenance des têtes nucléaires constituerait une première étape essentielle vers une force de dissuasion mutualisée". Cette coopération nucléaire concrète est un signe fort qui dénote une confiance mutuelle accrue. La réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN l´année dernière a été à ce titre un signal fort envoyé aux Britanniques. Cette rupture symbolique s’inscrit dans un processus long et continu de renforcement de l’influence française auprès de l´OTAN, de la défense européenne et en matière d’actions extérieures. Décidés à coopérer intensément dans le secteur industriel des missiles afin de partager les coûts de développement, Paris et Londres entendent jouer un "rôle leader en matière de sécurité et de défense" (Elysée). En regroupant leurs forces en vue d´agir ensemble, en optimisant leurs capacités et en rentabilisant mieux leur investissement de défense, Nicolas Sarkozy et David Cameron souhaitent faire émerger des "champions européens" en mesure de concurrencer les États-Unis (Elysée).

Notes

[1] A titre d´exemple, la Déclaration du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008 sur le renforcement des capacités de la politique européenne de sécurité et de défense, sous la présidence française de l’UE.

[2] "L'OTAN reste la pierre angulaire de notre sécurité. Cependant, comme Européens nous devons prendre de plus grandes responsabilités pour assurer notre sécurité ensemble. Une coopération de défense des Européens plus forte offre des opportunités, dont le moindre n'est pas (de permettre) un rôle plus large de la défense dans la résolution des conflits et l'établissement de la paix. Le Royaume-Uni améliorera de façon importante son influence si nous et nos partenaires européens parlent et agissent de concert. Un rôle robuste de l'UE dans la gestion de crises peut renforce l'OTAN. Jouer un rôle leader au cœur de l'Europe peut renforcer nos relations avec les Etats-Unis." (http://www.senat.fr/rap/r09-658/r09-6580.html)

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