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15/07/2014

Accès gratuit (!) au généraliste et responsabilisation des acteurs ?

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Accès gratuit (!) au généraliste et responsabilisation des acteurs ?
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Les grandes orientations de la prochaine loi de santé publique dévoilées le 19 juin par la ministre de la Santé prévoient la généralisation du tiers payant notamment chez les médecins généralistes. Cela signifie que les patients seront dispensés d'avance de frais chez le médecin. Destinée à lever l'obstacle financier à l'accès aux soins, cette mesure pose la question de la prise en charge des frais de santé en France, répartie entre les ménages, l'assurance maladie et les organismes complémentaires.

Le tiers payant : une mesure qui existe déjà pour 35 % des actes de ville

Aujourd’hui, 35 % des actes réalisés en médecine de ville sont déjà réglés en tiers payant (1). Par exemple, les ménages modestes bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et de l’aide médicale d’Etat (AME) sont dispensés d’avance de frais. De même, les actes réalisés dans des lieux spécifiques comme les centres de santé ou encore les services de protection maternelle et infantile (PMI) sont réglés en tiers payant.

Des obstacles techniques … et surtout structurels à la généralisation

La généralisation de cette mesure signifie que les médecins seront payés directement par l’assurance maladie et l’assureur complémentaire du patient. Cette décision et le débat qu’elle suscite soulignent les incohérences de notre système.

Les partisans de cette mesure avancent le fait que le tiers payant est pratiqué dans de nombreux pays étrangers (Allemagne, Autriche ou encore Pays-Bas), cependant il convient de noter deux éléments essentiels :

- à l’étranger, il n’existe pas d’assureurs complémentaires "à la française" adossés à l’assurance maladie obligatoire et dont les remboursements sont directement dépendants de cette dernière. L’assuré a en face de lui un seul assureur qui prend en charge la totalité des dépenses prévues au contrat et régule le système à son niveau. Par exemple, en Allemagne, une caisse ou un assureur privé pour certaines catégories de la population, aux Pays-Bas, une caisse mutualiste ou un assureur privé, un seul assureur facilite évidemment la mise en place technique d’un dispositif de tiers payant ;

- dans ces pays, cette dispense d’avance de frais s’accompagne d’une double responsabilisation des patients et des médecins. Les patients se voient dans l’obligation de recourir à un médecin référent (gate keeper) qui l’oriente à travers un parcours de soins, quant aux médecins, ils exercent dans le cadre d’un contrat qui les lie à l’assureur, ce dernier étant en concurrence avec d’autres assureurs. C’est le fondement d’une concurrence régulée entre caisses d’assurance, où la maîtrise des coûts passe par une contractualisation avec les offreurs de soins avec pour les assureurs l’aiguillon constitué par la recherche de compétitivité.

Ces différents aspects sont analysés avec pertinence dans une note récente du conseil d’analyse économique Refonder l’assurance-Maladie(2). Cette note souligne notamment les effets pervers de la mixité de notre "système mixte d’assurance" avec l’assurance maladie d’une part et les complémentaires santé d’autre part.

Ainsi, la proposition d’accès gratuit au généraliste, dans un contexte de mixité de système d’assurance et d’absence de véritables réseaux de santé ne va pas dans le sens de la responsabilisation des patients et des... médecins.

Enfin, à l’heure où l’on annonce 10 milliards d’euros d’économies sur le système de santé, on peut s’étonner d’un certain manque de cohérence dans les signaux envoyés : d’un côté réduire les dépenses et de l’autre favoriser le tout gratuit…

(1) IGAS, Rapport sur le tiers payant pour les consultations de médecine de ville, juillet 2013.

(2) Conseil d’analyse économique, Refonder l’assurance maladie, Brigitte Dormont, Pierre-Yves Geoffard et Jean Tirole, avril 2014.

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