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06/09/2019

Un "reset" des relations transatlantiques ? Les apparences sont parfois trompeuses

Un
 Erik Brattberg
Auteur
Directeur du programme Europe et Fellow à la Fondation Carnegie

Après avoir assisté, il y a quelques jours, à la commémoration du début de Première Guerre mondiale en Pologne, le secrétaire d'État des États-Unis Mike Pompeo a saisi l'occasion de se lancer dans une frénésie diplomatique à Bruxelles. Au cours d’une série de rendez-vous avec les nouveaux dirigeants de l'Union européenne (UE), le message du diplomate en chef américain a été étonnamment conciliant, avec la promesse d’un "reset" de la relation, aujourd’hui tendue, entre l'UE et l'administration Trump. Bien sûr, il convient de se méfier d’une lecture trop ambitieuse de ce seul mouvement diplomatique, de la part d’un seul fonctionnaire de l'administration, et même de la part de quelqu'un comme Mike Pompeo, qui est exceptionnellement proche de son président. Pourtant, sur ce sujet, Donald Trump est apparemment sur la même longueur d’onde. La cordialité du ton de Mike Pompeo est sans aucun doute un sursis bienvenu après son discours, mal reçu, à Bruxelles à la fin de l'année dernière, mais les chances d'une refonte significative de la relation transatlantique resteront faibles.

Lors de sa visite d'État à la Maison-Blanche en avril 2018, Emmanuel Macron avait proposé d'unir les efforts face à la Chine ; cette proposition a été rejetée par Donald Trump, qui aurait fait remarquer, dit-on, que l'UE est un délinquant commercial "pire" que la Chine.

Derrière cette ouverture américaine renouvelée à direction de Bruxelles, il y a la perception, à Washington, que la nouvelle équipe de l'UE dirigée par la présidente (élue) de la Commission Ursula von der Leyen, le président (désigné) du Conseil Charles Michel, Josep Borrell, proposé au poste de haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le président du Parlement européen David Sassoli représente un groupe moins "hostile" que les dirigeants européens sortants. Il est sans doute vrai qu’à Berlin, on connaît Ursula von der Leyen comme une transatlantique convaincue. De la même façon, Charles Michel avait auparavant exprimé son soutien à la poursuite du partenariat avec Washington sous la présidence de Donald Trump. Mais si l’on met à part l’arrivée de ces nouvelles personnalités, il est probable que les divergences politiques fondamentales opposant les deux parties perdurent voire, dans certains cas, s’aggravent au cours de l'année à venir.

Prenons l'Iran, par exemple. Alors qu’Emmanuel Macron est actuellement à la tête d'une initiative visant à négocier de nouveaux pourparlers entre les États-Unis et l'Iran, l'administration américaine avait clairement indiqué qu'elle poursuivrait sa stratégie de "pression maximale" contre Téhéran tout en menaçant de sanctions les tentatives européennes visant à maintenir l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) en vie. Le manque de confiance entre les deux camps a sans aucun doute été l'une des principales raisons pour lesquelles il a été, cet été, si difficile de construire une réponse transatlantique commune dans le détroit d'Ormuz.
 
Parmi les autres questions à l'agenda de Mike Pompeo figuraient le commerce, la Chine et les initiatives de défense de l'UE - autant de questions qui, dans des circonstances plus normales, devraient toutes être assez mûres pour une coopération transatlantique. Sur le plan commercial, Donald Trump s'est très vite retiré des négociations du Traité de libre-échange transatlantique (TTIP) menées par le président Obama et a imposé, aux producteurs européens d’acier et d’aluminium, des sanctions tirant leur fondement sur des enjeux de sécurité nationale. Bien que de nouvelles discussions commerciales entre les États-Unis et l'UE soient en cours et que des progrès soient pas-à-pas réalisés, le spectre des droits de douane américains contre les constructeurs automobiles européens qui se profile à l’horizon (une décision est attendue à l'automne) pourrait porter un coup mortel à ces discussions, voire déclencher une guerre commerciale totale. Les tensions ne pourraient en être qu’accrues dans l’éventualité de nouvelles mesures de l'UE en matière de taxation des géants américains du numérique et en matière de politique industrielle. 

Pendant ce temps-là, le cas chinois devrait en principe servir d’opportunité pour un engagement transatlantique plus fort - si Donald Trump ne le pensait pas autrement. Lors de sa visite d'État à la Maison-Blanche en avril 2018, Emmanuel Macron avait proposé d'unir les efforts face à la Chine ; cette proposition a été rejetée par Donald Trump, qui aurait fait remarquer, dit-on, que l'UE est un délinquant commercial "pire" que la Chine (une posture qu'il a continué à adopter à plusieurs reprises lors de ses meetings politiques). Et, cette semaine, dans une diatribe sur Twitter, apparemment pensée pour faire écho à la visite de Mike Pompeo à Bruxelles, Donald Trump a une fois encore repoussé l'idée d’une coopération avec l'UE sur la Chine. L'aversion qu’il éprouve à l'égard du multilatéralisme et de l'Organisation mondiale du commerce sape également le potentiel d'une stratégie multilatérale coordonnée pour lutter conjointement contre les pratiques commerciales et économiques déloyales de la Chine. La grande ironie ici, c'est bien sûr que l'Europe elle-même est devenue plus critique à l'égard de la Chine au cours de ces dernières années.

Enfin, les nouveaux programmes de coopération de l'UE en matière de défense devraient profiter à Washington puisqu'ils fournissent de nouveaux mécanismes et incitations à l'Europe pour générer des capacités dont elle a désespérément besoin, contribuant ainsi au partage transatlantique des "charges". Cependant, l'administration Trump a redoublé de scepticisme sur la coopération structurée permanente (PESCO) et le Fonds européen de défense, les qualifiant même de "pilule empoisonnée". Si la question des restrictions imposées aux entreprises américaines dans les nouveaux projets de défense de l'UE est une préoccupation légitime, l'approche autoritaire adoptée par l'administration américaine est contre-productive. Il faut s'attendre à ce que ces divergences ne fassent que persister, car la nouvelle Commission européenne continuera probablement à faire pression en faveur d'une intégration plus forte de l'UE dans le domaine de la défense.

La visite de Mike Pompeo offre un aperçu de cet espoir : l'administration Trump commence peut-être enfin à reconnaître la nécessité stratégique d'avoir, comme partenaire, une Union européenne plus forte.

Ajoutons à cette liste le climat, qui est une priorité absolue pour la prochaine Commission européenne, pour lequel rien ne laisse présager que l'administration Trump soit prête à renouer avec l’accord de Paris et à l’endroit duquel les perspectives transatlantiques pour l'année prochaine sont loin d’être optimistes. 
 
Cela ne signifie pas pour autant que les deux camps doivent renoncer à s'engager l'un avec l'autre. Au contraire, il s’agirait que les dirigeants de l'UE résistent à l’évidente tentation d'attendre le départ de Donald Trump ; tout bonnement, déjà, parce qu’il a de fortes chances d'être réélu. De plus, des progrès isolés sur certaines questions peuvent encore être réalisés pendant sa présidence. La visite de Mike Pompeo offre un aperçu de cet espoir : l'administration Trump commence peut-être enfin à reconnaître la nécessité stratégique d'avoir, comme partenaire, une Union européenne plus forte. Mais pour pouvoir aboutir à des progrès réels, l'administration Trump doit abandonner son aversion idéologique pour l'UE et le multilatéralisme, son soutien en faveur d'un Brexit sans accord, son soutien aux populistes européens et ses arrières-pensées commerciales malavisées. 
 
Ce n'est qu’avec la possibilité d’un rétablissement d’une confiance mutuelle qu'une nouvelle relation transatlantique plus équilibrée, dans un XXIe siècle marqué par une concurrence croissante entre grandes puissances, pourra voir le jour. Tant que Donald Trump sera à la Maison-Blanche, ce sera un défi - de taille.

 

Copyright : Sebastien ST-JEAN / AFP

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