Rien ne pouvant jamais être réglé en un mois, il a, comme cela était attendu, prolongé sine die une situation d’autocratie. On ne sait pas grand chose des opinions du président tunisien, candidat indépendant et inconnu du public, élu en 2019. Il était soupçonné de sympathies pour les islamistes, ou du moins pour le modèle de société qu’ils préconisent. N’avait-il pas fait référence à la sharia pour justifier le fait que les femmes continuent d’hériter moins que les hommes ? Mais il vient de trouver grâce aux yeux des Tunisiens laïcs pour avoir mis fin à l’hégémonie des islamistes sur les institutions du pays. S’il a pu s’appuyer sur l’armée qui n’était jamais intervenue dans la vie politique, c’est bien que celle-ci était inquiète. Il faut dire qu’elle n’était pas habituée au désordre dans l’espace public sous Bourguiba puis Ben Ali. Autour d’elle s’organisent tous les mécontents et les déçus, formant en somme ce fameux parti de l’Ordre que l’on retrouve dans l’histoire de nombreux pays et qui constitue le meilleur allié des autocrates.
Kaïs Saïed s’est présenté comme l’incarnation du Tunisien ordinaire pour qui la démocratie n’a rien apporté sinon le droit de descendre dans la rue manifester sans rien obtenir. Il était en conflit depuis son élection sur le partage du pouvoir exécutif avec le chef du gouvernement, considérant que ce dernier était contrôlé par les islamistes du parti Ennahda. Dans le système parlementaire que les Tunisiens ont choisi pour leur pays, il est normal que le parti majoritaire désigne - ou du moins accepte - le choix du Premier ministre. Mais le président n’est pas convaincu, semble-t-il, que le système parlementaire convienne au pays, et les Tunisiens étaient excédés, de toute évidence, par le contrôle que le parti Ennahda exerçait sur les institutions publiques. Il aurait profité de son pouvoir pour offrir des postes à ses militants au sein de la bureaucratie.
Saïed était en conflit avec le Premier ministre et son ministre de l’Intérieur, ce dernier ayant l’autorité de tutelle sur les forces de l’ordre. Le Covid lui a offert une opportunité inespérée de faire appel à l’armée pour la mettre au centre des responsabilités de gouvernance en lui confiant la gestion de la lutte contre l’épidémie. Rien d’inquiétant jusque-là, car d’autres pays démocratiques ont eux aussi fait appel à l’armée, avec succès. A-t-il voulu jouer l’armée contre la police ? Il a en tout cas mis un coup d’arrêt à la stratégie des islamistes, soupçonnés, en Tunisie comme ailleurs, de vouloir investir les institutions de l’État et notamment le secteur clé de la sécurité. Au nom du sauvetage de l'État, donc, Kaïs Saïed a gelé les jeunes institutions démocratiques.
Avoir les moyens de la démocratie
Il est bien difficile d’apprendre à ne contrôler qu’une fraction du pouvoir et accepter de gouverner avec des contre-pouvoirs. La vérité est que Saïed est profondément hostile aux partis politiques quels qu’ils soient, comme le disent ses adversaires aussi bien que ses partisans.
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