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17/06/2019

Quand le destin de l'Asie se joue à Hong Kong

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Quand le destin de l'Asie se joue à Hong Kong
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Trente ans après la répression contre le printemps de Pékin, les manifestations dans l'ancienne colonie britannique illustrent une tension commune à toute la zone : les citoyens souhaitent la poursuite de la stabilité et de la croissance, mais pas à n'importe quel prix. Pas question, en particulier, de sacrifier l'Etat de droit.

"À chacun sa vérité", aurait pu dire Pirandello. L'année 2019 restera comme celle du trentième anniversaire de Tiananmen et de la chute du mur de Berlin. Mais que privilégier : la victoire de la répression ou celle de la liberté ? Pour Pékin, la réponse est claire : le maintien de l'ordre sur la place Tiananmen n'était pas seulement nécessaire. Il marque la consolidation, sinon le point de départ de la réussite économique de la Chine. Ce qui est contestable sur le plan historique : la croissance avait précédé Tiananmen.

Pour Xi Jinping, la centralisation absolue du pouvoir - la main de fer sans le gant de velours - est la clef de la poursuite de la croissance économique et de la stabilité politique. Sans croissance, pas de stabilité, sans stabilité, pas de croissance. La chute du mur de Berlin, l'autre événement de l'année 1989, constitue pour la Chine un parfait contre-exemple : la liberté conduisant à la confusion, sinon au chaos.

Stabilité ou chaos ?

C'est dans ce contexte politique et idéologique qu'il convient de replacer les événements récemment intervenus à Hong Kong. C'est au moment où la Chine étale sa réussite, approfondit ses ambitions et célèbre la justesse de ses choix passés, qu'au moins un million de Chinois de Hong Kong se retrouvent dans la rue, dans ce qui apparaît comme la plus importante manifestation jamais organisée depuis le retour du territoire à la Chine en 1997.

Et si la concentration toujours plus grande du pouvoir conduisait, non pas à la stabilité, mais au chaos ? "Le tact dans l'audace, c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin", disait Jean Cocteau.

Les lois d'extradition, si elles avaient été mises en application, auraient permis à la justice chinoise [...] de dominer le sort des citoyens de Hong Kong.

À Hong Kong, la Chine a tout simplement été trop loin. Les "lois d'extradition" qu'entendait faire passer l'exécutif de Hong Kong remettaient en cause le principe même "d'un pays, deux systèmes" sur lequel a reposé le retour du territoire à la Chine. Comment, au moment où Pékin prétend établir progressivement l'état de droit en Chine en agitant le drapeau de la lutte contre la corruption, le gouvernement de Hong Kong pouvait-il remettre en cause ce même état de droit ? Et s'attaquer en particulier à l'indépendance de la justice, dans des territoires qui sont censés bénéficier d'un système économique et administratif, bref d'une mini-constitution, qui leur est propre ?

Les lois d'extradition, si elles avaient été mises en application, auraient permis à la justice chinoise - celle d'un pays où l'Etat règne sur le Droit, plus qu'il n'obéit à ce dernier - de dominer le sort des citoyens de Hong Kong. Combien seront-ils, parmi les classes supérieures, à voter avec leurs pieds et à quitter le territoire ?

Le risque d'un exode

Face à des sociétés "mûres", qui grâce aux voyages et à Internet peuvent établir des comparaisons entre ce qu'elles vivent et ce que connaissent "d'autres" plus favorisées, les régimes autoritaires ne sont pas une garantie absolue de stabilité, loin de là. La vie n'est pas un long fleuve tranquille pour les régimes qui se durcissent et campent sur leurs certitudes.

La Russie de Poutine, avant la Chine de Xi Jinpingvia Hong Kong, vient d'en faire l'expérience. Elle a dû relâcher un journaliste victime d'une grossière manipulation policière, devant les protestations d'une partie non négligeable d'une presse pourtant prudente d'habitude à l'égard du pouvoir.

La vie n'est pas un long fleuve tranquille pour les régimes qui se durcissent et campent sur leurs certitudes.

En privilégiant, comme ils le font, les émotions nationales au détriment de toutes les autres, les régimes autoritaires pensent faire le bon pari. "Soyez fiers de votre patrie, de votre civilisation, progressez économiquement : la liberté n'est pas si importante que cela." La réalité est plus complexe. À Pékin ou à Moscou, on peut se réjouir des divisions qui existent et semblent s'approfondir dans le monde occidental entre démocraties libérales "classiques" et démocraties "illibérales". Mais le continent asiatique lui-même est traversé par des divisions qui se renforcent entre pays centralisateurs et pays attachés à la démocratie comme le Japon et Taiwan.

Le Japon, futur "Occident asiatique" ?

La fin du XXe siècle était censée avoir enterré le conflit des idéologies. Pour Samuel Huntington, le conflit des civilisations allait dominer le XXIe siècle. Il existe certes une compétition de modèles entre la civilisation chinoise et le monde occidental. Mais cette rivalité englobe culture et culture politique et devient problématique. Au nom de la gloire de la Chine, le pouvoir chinois actuel entend que tous ceux qui se sentent avant tout chinois s'inclinent devant les exigences de Pékin. Or les citoyens de Hong Kong peuvent se sentir chinois avant tout, tout comme sur ce plan les Singapouriens d'origine chinoise. Mais ils chérissent une différence qui, à leurs yeux, n'est pas marginale, mais centrale : l'Etat de droit, sinon une forme limitée mais réelle de démocratie dans le cas de Hong Kong.

L'Inde et le Japon ont pour ambition, en se rapprochant, d'équilibrer la Chine, mais ils le font au sein d'une Alliance de démocraties, comme peuvent le faire plus globalement au sein d'un monde indopacifique tous ceux qui sont attachés aux valeurs de liberté et de tolérance. Le Japon peut se définir simplement comme une puissance maritime face à la puissance continentale qu'est la Chine. Mais n'est-il pas aussi l'"Occident asiatique" ? Et il le sera toujours plus face au durcissement du régime et à la montée des ambitions chinoises. C'est le destin de l'Asie qui se joue à Hong Kong.

 

Avec l'aimable autorisation desEchos (publié le 15/06/2019)

Copyright : HECTOR RETAMAL / AFP

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