L’attitude de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a été encore plus choquante, et potentiellement plus dommageable à terme. Les chiffres diffusés par l’OMS ne faisaient aucune mention du fait que les asymptomatiques n’étaient pas inclus dans le total de cas, et ce même après que la Turquie l’a officiellement annoncé. L’organisation n’a même pas ajouté une note ou un avertissement à ses chiffres, et pendant plusieurs mois, la Turquie avait officiellement moins de cas que l’Autriche, la Hongrie, ou la Serbie - trois pays beaucoup moins peuplés que la Turquie. L’OMS a à la place félicité la Turquie pour ses efforts dans la lutte contre le Covid, mettant en avant l’augmentation considérable du nombre de tests pratiqués et la politique d’isolation de tous les cas positifs au Covid-19, quels que soient leurs symptômes. Le bureau de l’OMS en Turquie a récemment annoncé que l’organisation ne savait pas que les chiffres fournis par la Turquie ne comprenaient que les patients, et non les cas.
Un combat perdu d’avance ?
Un grand nombre de pays ont imposé de nouvelles mesures - couvre-feux, confinements régionaux, interdictions des rassemblements - alors que la deuxième vague de l’épidémie commençait à se faire sentir. Les mesures initialement prises par la Turquie ont surtout été cosmétiques, sauf en ce qui concerne la fermeture des écoles - une mesure que la plupart des pays européens n’ont pas reconduite, considérant qu’elle mettait en péril la jeunesse. Ces chiffres comptabilisant uniquement les patients, et non les cas positifs, n’ont pas entrainé la mise en place de mesures sérieuses malgré les nombreux avertissements des professionnels de santé et de l’Association médicale turque, qui ont été perçus par le gouvernement comme des tentatives de déstabilisation de sa politique de lutte contre le Covid. Le chef d’un des partis de la majorité présidentielle, M. Devlet Bahçeli, a même accusé l’Association médicale turque de répandre de fausses informations et de semer la panique, et a demandé sa fermeture administrative, ce qui a fait tomber encore plus bas le moral des professionnels de santé.
Tandis que le virus se répandait de manière désormais incontrôlable, la Turquie renonçait à toute l’avance initialement prise. Bien que les personnes âgées de plus de 65 ans soient priées de rester chez elles, la propagation rapide du virus parmi les jeunes a fait augmenter les risques pesant sur les personnes âgées. Le taux de contamination chez les jeunes a aussi mis sous tension le système de santé car les contaminations n’étaient désormais plus concentrées dans les grandes villes mais s’était répandue partout ailleurs dans le pays, où les foyers sont plus grands et incluent plus de personnes âgées, sans parler des villes moyennes où le nombre de lits d’hôpital et de réanimation par habitant est plus faible. Enfin, les personnels de santé, après de longs mois à combattre la propagation rapide de l’épidémie, ont commencé à montrer des signes d’épuisement.
Le 25 novembre, alors que la propagation de l’épidémie échappait désormais à tout contrôle, le ministre de la Santé Koca a finalement décidé de fournir le "vrai" nombre de cas et non juste de patients, et imposé des mesures plus strictes dont des couvre-feux nocturnes et pendant le week-end. Ces mesures, annoncées très tardivement, demeurent cependant plus limitées que celles adoptées au cours de la première vague. Même si les restaurants et les écoles ont été fermés, les mosquées et les centres commerciaux sont toujours ouverts. Au moment de l’écriture de cet article, le 8 décembre, aucune interdiction de voyage, qu’elle soit nationale ou internationale, n’avait été mise en place. Dans ces conditions, la Turquie a rapidement grimpé dans les classements mondiaux des contaminations, occupant même la première place.
La réponse turque à la pandémie est ainsi un exemple clair de l’ère post-vérité dans laquelle la politique s’inscrit désormais, dans laquelle la réalité n’entretient plus de connexion avec les faits et est détournée afin de répondre aux exigences politiques et économiques.
Tandis que la panique et la surprise de la première vague disparaissaient et que la confiance augmentait, les faits et les avis des experts ont été de plus en plus marginalisés, leurs points de vue étant même vus comme une menace à l’intérêt national. Les principes même d’une gouvernance saine, comme la transparence, la responsabilité, la participation ou la confiance ont complètement disparu. Les citoyens étaient tenus de bien comporter, mais n’avaient aucune idée de la gravité de la situation.
Finalement, malgré tous les désirs du gouvernement et son besoin de succès, l’ère de la post-vérité qui a permis la réponse turque à la pandémie a aussi transformé une victoire en défaite pour nous livrer à un hiver qui s’annonce rude.
Copyright : Adem ALTAN / AFP
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