Voilà un objectif à la hauteur des ambitions de Mme Lagarde : aligner les efforts de recherche de la BCE et des banques nationales en matière de lien climat-économie, lui allouer les moyens humains nécessaires et se montrer exigeant sur les résultats. Ce serait un bon moyen d’éclairer et d’être entendu des opinions publiques et des décideurs politiques.
La politique monétaire face aux chocs climatiques
Reste la politique monétaire proprement dite – peut-elle être enrôlée au service de la lutte contre le changement climatique ? Benoit Cœuré, dans son intervention déjà citée, a bien cadré le débat. Dans la mesure où le changement climatique a des conséquences économiques et financières, la BCE est impliquée, par définition. Comme les chocs de nature climatique, qu’ils soient temporaires (sécheresse, inondations…) ou permanents (augmentation de la fréquence et/ou de l’amplitude), sont des chocs d’offre, réduisant ou augmentant l’offre de certains biens ou de facteurs de production via les migrations climatiques, ils sont difficilement traitables par la politique monétaire. Si la banque centrale peut s’accommoder d’un choc temporaire – par exemple, une augmentation temporaire des prix due à une sécheresse exceptionnelle ne doit pas entraîner de réaction monétaire — ce n’est pas le cas d’un choc permanent. Supposons par exemple que la croissance soit durablement réduite par le changement climatique. Dans ce cas, le taux d’intérêt d’équilibre qui ancre la politique monétaire serait lui-même diminué, mais en même temps, les prix dévieraient de leur trajectoire souhaitée à un niveau d’activité plus faible qu’auparavant. La politique monétaire ne peut pas grand-chose aux chocs d’offre, climatiques ou non, comme le rappelait Jay Powell à propos de la politique commerciale de l’administration Trump.
Mais qu’en est-il du choix des actifs mobilisés pour la politique monétaire, qui sont pour l’essentiel des obligations souveraines et privées? Ne devraient-ils pas favoriser les titres de dette d’entreprises climato-responsables, et punir celles qui le sont moins ? Christine Lagarde, en appelant de ses vœux une claire nomenclature des actifs selon leur degré de responsabilité climatique par l’Union européenne, indiquait clairement que la BCE inclurait ces éléments dans ses opérations de politique monétaire, qu’elles soient de refinancement des banques ou de bilan, à côté des critères traditionnels de liquidité et de risque. La balle est donc dans le camp politique – et c’est heureux car ce n’est pas à la BCE de définir ces critères. Lors de ses opérations de refinancement, ou de son programme d’achat d’actifs, la BCE intégrera les critères "verts" dans ses choix de titres de dette privés. Comme les actifs de la BCE sont essentiellement des titres publics (82 % des actifs détenus dans le programme d’achat d’actifs, par exemple), l’impact de cette nouvelle politique sera faible, au-delà de l’effet d’annonce. Le débat semble donc être clos.
Une "décote verte" sur les dettes publiques ?
L’est-il vraiment ? Christian Gollier pose souvent la question : lorsqu’un automobiliste émet 32 kg de CO2 en consommant 10 litres de diesel, qui est responsable, l’entreprise qui a extrait le pétrole, le raffineur, ou le consommateur ? Un peu déplaisante, la réponse est qu’au bout du compte, c’est le consommateur final. Si l’on accepte cette analyse, le "verdissement" des actifs de la BCE prend une toute autre dimension. Imposer des pénalités aux titres de dette d’une entreprise pétrolière, par exemple, ne paraît pas plus justifié que d’en exempter la dette publique d’un pays dont les résidents émettent plus de CO2 que leurs voisins. La logique de verdissement des actifs de la BCE, dans les opérations de refinancement par exemple, devrait ainsi conduire à appliquer une décote aux titres de dette de leur pays, proportionnelle aux émissions de CO2 par habitant. Soyons concrets : selon les chiffres compilés par le Global Carbon Project, en 2017, les émissions par habitant (en incluant celles des produits importés) de l’Allemagne, à 10,8 tCO2 par habitant, étaient 40 % supérieures à celles de l’Italie (7,7 tCO2), 52 % à celles de la France (7,1) et 66 % supérieures à celles de l’Espagne (6,5) ! Imaginons un bref instant qu’une politique de "décote verte" soit appliquée par la BCE. En augmentant le coût de financement de l’économie, elle créerait une forte incitation pour les électeurs et les gouvernements des pays les plus pollueurs à adopter de véritables politiques de réduction de leurs émissions. Ne rêvons pas trop : la voie dans cette direction se heurterait à un blocage politique total.
En conclusion, espérons que cette expérience mentale aide à réaliser que le verdissement de la finance, y compris à la source même de la liquidité, n’ira pas bien loin dans le chemin de réduction des émissions. Si l’on veut vraiment changer les comportements, les modes de production et de consommation, il faudra bien en venir à une tarification du carbone, quelle qu’en soit la source, production domestique ou importations.
Copyright : Daniel ROLAND / AFP
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