Troisième point, cela produit une équation politique extrêmement complexe pour Biden, même avant d’évoquer le Sénat, dont la majorité est encore dans la balance. En effet, ces élections confirment aussi l’affaiblissement du centre politique (même s’il faut attendre la fin du dépouillement et les premières analyses plus fines de l’électorat). À la Chambre, les Démocrates perdent des sièges en raison de défaites de candidats centristes, ce qui augmente le poids politique des progressistes : les deux groupes devraient être à force quasi-égales désormais ; côté républicain, on voit l’arrivée de candidats aussi trumpistes que Trump, avec notamment l’élection de partisans de QAnon, une fantasmagorie complotiste dont la rationalité défie l’intelligence, mais qui n’a cessé de s’étendre jusqu’à faire une percée en Europe en 2020. Au-delà, Biden va devoir prendre en compte la réalité politique mise à jour par son élection : un parti démocrate capable de l’emporter au niveau national de plus de 5 millions de voix, mais qui en raison du système électoral ne parvient pas à traduire ce poids en pouvoir législatif. Il va également devoir compter avec une Cour Suprême dont l’équilibre a été durablement modifié par son prédécesseur, et dont l’orthodoxie demeure ultralibérale (au sens européen) sur le plan économique et social.
Quelles seront les marges de manœuvre de Joe Biden, au niveau domestique et en termes de politique étrangère, compte tenu de l'extrême polarisation de l'électorat américain et avec un Sénat qui pourrait être à majorité républicain ?
Les marges de manœuvre de Biden dépendront largement du "troisième tour" de l’élection, les deux sénatoriales de Géorgie le 5 janvier 2021, qui détermineront le sort du Sénat. Dans le meilleur des cas, qui relèverait déjà de l’exploit pour les Démocrates dans un État qui vote républicain depuis trois décennies, le Sénat serait parfaitement divisé à 50-50 entre républicains et démocrates : dans ce cas, la majorité sur chaque vote serait déterminée par le vote de la vice-présidente, Kamala Harris, qui est selon la Constitution également présidente du Sénat. Mais une marge aussi faible permettrait aussi à tout sénateur récalcitrant une influence décisive sur un sujet particulier : on songe par exemple au sénateur de Virginie, Joe Manchin, démocrate très hostile à toute législation anti-énergies fossiles.
Au-delà, une telle situation ne règlerait pas l’organisation du pouvoir au sein du Sénat, par exemple les présidences et compositions des commissions dont le pouvoir est crucial dans le fonctionnement parlementaire américain. Une telle division parfaite s’était déjà produite après les élections de 2000, pendant 6 mois (un sénateur démocrate avait ensuite changé de parti, "réglant" ainsi le problème) : les leaders républicain et démocrate avaient été capables de trouver un accord pour régler les questions d’organisation interne, dont la Constitution ne dit rien. Un tel accord serait-il aussi aisé dans le contexte politique actuel ? Rien n’est moins sûr.
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