Alors que la victoire des Démocrates à l'élection présidentielle américaine est maintenant officielle - quoique toujours contestée par le Président Trump - le Sénat pourrait être à majorité républicaine, ce qui limiterait les marges de manœuvre du Président élu Joe Biden. Cette situation est à l'image d’un peuple américain profondément polarisé, comme l’ont révélé les élections. Maya Kandel, historienne et spécialiste de la politique étrangère américaine, nous livre son analyse des résultats de ce scrutin et de ses implications pour les États-Unis comme pour l’Europe.
Alors qu'il a obtenu 213 grands électeurs et plus de 70 millions de votes, que restera-t-il de Donald Trump ? Du trumpisme ? Quels sont les principaux enseignements du scrutin ?
J’en vois trois principalement : la confirmation du socle électoral du trumpisme, même si Trump a perdu ; la confirmation de la profondeur des divisions du pays ; et la complexité de l’équation politique à venir pour Biden.
Les élections de la semaine dernière, dont le dépouillement n’est pas terminé, ont d’abord confirmé une chose, c’est que le trumpisme existe, et que son socle électoral après quatre ans de présidence Trump est consolidé et élargi. Trump cristallise une évolution profonde du parti républicain depuis plusieurs décennies, produit d’une stratégie théorisée notamment par Newt Gingrich pour reprendre le contrôle du Congrès. Cette tendance est définie par un discours anti-système et anti-élites (au sens très large), nationaliste traditionnaliste, et réactionnaire. Trump en est un symptôme certes, mais plus important : il la porte au pouvoir, il fait entrer ce national-populisme à la Maison-Blanche, et y apporte aussi un surplus illibéral qui est l’apport spécifique de Trump à ce nouveau populisme américain, notamment à travers ses attaques contre les médias, qualifiés d’"ennemis du peuple". Cet illibéralisme ne recule devant aucune manipulation de l’information, il s’en nourrit même : en 2020, la principale source de désinformation vient de la Maison-Blanche, relayée par tout un écosystème médiatique américain mais qui porte bien au-delà, y compris en Europe en raison de circulations transatlantiques anciennes.
Deux conséquences : d’abord on sait maintenant que ce que dit Trump finit par être adopté comme la vérité par environ 40 % de l’électorat américain, et au-delà parmi ses supporters à l’international. Pour les États-Unis, cela pourrait mener à une situation dangereuse. Au-delà, le succès de la diffusion de fausses informations jetant le doute sur la légitimité du scrutin et donc de l’adversaire n’échappera pas à d’autres acteurs politiques dans d’autres démocraties, avec des conséquences dangereuses pour la solidité et la légitimité des processus électoraux et in fine des démocraties elles-mêmes. On est bien au cœur de la stratégie populiste, qui considère son électorat comme le seul "vrai peuple", et considère l’adversaire comme illégitime et son électorat comme un "ennemi intérieur".
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