Comme on vient de le voir, le Qatar et l’Arabie saoudite avaient de bonnes raisons de se réconcilier, tandis que d’autres pays se sont ralliés au mouvement avec plus de réticences, en premier lieu les Émirats arabes unis. Une paix froide pourrait s’installer durablement, au sein de laquelle il y aura des gagnants et des perdants.
Les plus grands gagnants de la fin du blocus qatari sont les monarchies arabes telles que la Jordanie et le Maroc, qui ne seront plus pressées de prendre parti après trois ans et demi de diplomatie d’équilibriste déployée pour rester en bons termes tant avec le Qatar que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite. Il sera intéressant d’analyser leurs politiques étrangères à l’avenir, même si l’influence d’Abu Dhabi restera forte sur ces deux capitales.
L’Égypte, avec laquelle les relations étaient gelées depuis juillet 2013 avec le Qatar, restera prudente face à ce qu’elle qualifie comme des "interférences" qataries dans les affaires internes, faisant allusion aux liens entretenus par le Qatar avec la confrérie des Frères musulmans et son rôle dans le conflit libyen. Cette ouverture est cependant une excellente nouvelle pour Le Caire. L’Égypte, comme l’Arabie saoudite, souhaite redorer son image auprès de la nouvelle administration américaine, tout en sécurisant certains contrats de reconstruction et des échanges économiques plus nourris avec le Qatar. Elle a maintenant le champ libre pour jouer des deux côtés, comme en témoigne l’inauguration dès le lendemain de la signature de l’Accord d’Al-Ula d’un palace appartenant à un groupe hôtelier qatari au Caire, en présence du ministre des Finances qatari. Sisi devra cependant ménager son allié émirien, et son absence à Al-Ula était certainement une précaution utile à cet égard.
Pour les acteurs médiateurs et neutres que sont le sultanat d’Oman et le Koweït, qui avaient refusé de s’aligner sur l’Arabie saoudite en 2017, la désescalade diplomatique actée le 5 janvier dernier est une détente inestimable. Tous deux ont vu s’installer une nouvelle génération de dirigeants en 2020, et il sera intéressant d’observer leur attitude dans les mois à venir, notamment sur la question de la guerre au Yémen. Le sultanat va-t-il défier de manière plus précautionneuse les champions sunnites maintenant que le Qatar a perdu son statut d’épouvantail dans la région, ou sera-t-il rasséréné par l’échec du blocus ?
En dehors des limites de la région, la Turquie et le Pakistan vont bénéficier du processus de réconciliation politiquement et économiquement. Ankara et Islamabad seront mis à contribution dans la mise en place d’une stratégie de containment plus forte de l’Iran. Reste à voir si Doha se montrera conciliant pour faciliter le dialogue entre Erdogan et MBS.
Les Émirats arabes unis, qui pouvaient parfaitement s'accommoder d’une conflictualité gelée dans la région pendant encore très longtemps, sont les perdants de l’affaire. La relation entre MBS et MBZ sera mise à l’épreuve, et la récente normalisation des relations avec Israël est donc bienvenue dans ce contexte pour équilibrer la balance régionale des alliés d’Abu Dhabi.
L’Iran est évidemment le grand perdant de l’affaire. La réouverture de l’espace aérien saoudien aux vols qataris signifie la perte d’une manne de 100 millions de dollars par an que l’émirat lui versait au titre du survol de son espace aérien. Même si le Golfe n’est pas unifié dans la stratégie à appliquer face à l’Iran, comme on l’a vu plus haut, ce signe de détente ne joue pas en sa faveur dans l’immédiat.
Enfin, désormais contraint de donner des signes de réchauffement à son nouveau "meilleur ennemi" saoudien, le Qatar sera moins critique envers la politique saoudienne au Yémen, même s’il se placera toujours aux côtés du Koweït et d’Oman pour appeler à la fin des hostilités. Le Yémen, en définitive, reste le grand perdant des reconfigurations géopolitiques dans le Golfe, même en temps de grande chaleur.
Copyright : FAYEZ NURELDINE / AFP
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