Les modalités et en particulier les garde-fous du traçage comme du pistage diffèrent entre les différents pays d’Asie orientale. Passons-les rapidement en revue :
- La prudence la plus grande caractérise le Japon, qui limite aujourd’hui le pistage aux données des opérateurs téléphoniques, anonymisées, et ce pour les patients effectivement contaminés, afin d’identifier les clusters potentiels. Les usagers peuvent de plus déclarer d’eux-mêmes leurs symptômes sur une application de santé publique. Mais le Japon impose l’hospitalisation en isolement à toute personne présentant un symptôme.
- À l’opposé, Corée du Sud et Hong Kong pratiquent le pistage numérique le plus intrusif et coercitif. En Corée, le traçage a commencé avec les membres d’une secte religieuse qui s’était rendue à Wuhan, puis le pistage obligatoire de tous les déplacements de ses membres. L’obligation de pistage, sans consentement, est étendue à toutes les personnes symptomatiques ou susceptibles de l’être en fonction d’un croisement des données combinant les téléphones et la localisation, l’usage des cartes bancaires ; la vidéo-surveillance (notamment pour le port du masque), le tout sans intervention judiciaire. Les personnes en quarantaine sont pistées par une application gérée par le ministère de l’Intérieur. À Hong Kong, le traçage obligatoire des visiteurs et des personnes symptomatiques s’accompagne désormais du port obligatoire de bracelet électronique pour les nouveaux arrivants et les personnes en quarantaine.
- Entre ces deux options, Singapour et Taiwan présentent donc une voie moyenne. À Taiwan, les données sur les arrivées aux frontières ont été croisées avec celles des consultations médicales pour identifier les patients potentiels. Les personnes placées en quarantaine sont dotées d’un téléphone surveillant leur localisation, et elles sont même identifiées publiquement en cas de sortie intempestive.
Rien de ce qui précède n’est agréable. Mais à l’exception de Singapour (ce qui posera le problème de la vérification des codes sources), les autres pays cités sont des démocraties entières. Aucun de ces pays n’a eu à adopter un confinement total – mais tous interprètent par contre le confinement de certaines catégories (patients, arrivants…) comme un isolement total et non un simple repli sur un espace familial très vulnérable à la contamination. Tous, même la Corée frappée par l’accident de masse d’une secte religieuse, ont des bilans humains bien moins importants que les nôtres. Tous ont conservé une grande part de leurs activités économiques, comme en attestent les données de mobilité Google. Nous laissons de côté le cas de la Chine, qui relève de multiples problématiques et où les faits eux-mêmes ne sont pas assez vérifiés.
Concluons à l’adresse de nos concitoyens : nous venons de perdre entièrement la liberté d’aller et venir, une concession indispensable pour casser la courbe épidémique. Le prix économique est lui aussi colossal. Nous savons que la sortie inconditionnelle du confinement est un mythe, et que de multiples mesures intermédiaires doivent être prises. Nous sommes devant une situation à la fois exceptionnelle et d’une durée finie, même si elle reste impossible à préciser.
La sortie par étapes du confinement ne saurait donc faire l’économie d’instruments de traçage et de pistage numérique. Le gouvernement s’attaque à la question avec un peu d’avance, et c’est une bonne chose. Des solutions efficaces et acceptées passent par plusieurs caractéristiques : d’abord, le plus vite possible, une gestion distincte de celle du ministère de l’Intérieur, et donc une mise à niveau, enfin, des capacités du ministère de la Santé. Ensuite, des codes-sources ouverts et vérifiables, ainsi que des garanties sur la durée de conservation des données et une supervision a posteriori (car l’urgence, elle, est devant nous). La confiance des citoyens est à ce prix. L’équipement des Français en portables de niveau suffisant doit être soutenu pour atteindre la masse critique d’utilisateurs, que les épidémiologues estiment aux deux tiers de la population. Pour la même raison, il est contre-productif, même si c’est politiquement très tentant, de se limiter à une utilisation volontaire de ces instruments. La santé des Français est à ce prix.
Idéalement, il faudrait souhaiter l’adoption rapide de normes et de règles européennes – en particulier dans l’espace Schengen. Dans l’immédiat, cela revient à mélanger des situations totalement différentes sur le plan épidémique (Italie : 16.000 morts ; Danemark : 187), et donc à retarder tout le processus. Et pourtant, cette disparité se retrouve à l’intérieur de plusieurs pays. L’Asie combine les autres mesures avec une fermeture généralisée des frontières pour les personnes, ce qui n’est viable à terme nulle part. Les applications numériques que la France adoptera doivent être d’emblée assez ouvertes pour être adoptables par les visiteurs, à commencer aujourd’hui par les transporteurs internationaux. L’harmonisation européenne doit être l’étape suivante.
Copyright : Odd ANDERSEN / AFP
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