Mais, le contexte a changé, observe Gevorg Mirzaïan, l'Ukraine a interdit aux avions biélorusses le survol de son territoire et se déclare prête à imposer des sanctions contre Minsk. La Biélorussie doit montrer à Moscou qu'elle est prête à "brûler ses vaisseaux" avec l’Occident. Selon le politologue Alexandre Klaskovski, c'est moins la Crimée qui intéresse le Kremlin que l'intégration, afin de lier durablement le sort de la Biélorussie à celui de la Russie. Quant à Loukachenko, fidèle à sa stratégie habituelle, il menace l'Occident et l'Ukraine de reconnaître l'annexion de la Crimée s'ils intensifient leurs pressions.
"Il ne faut pas sous-estimer les interlocuteurs biélorusses de Poutine et Loukachenko lui-même, analyse Denis Meliantsov, ils lui ont présenté de manière convaincante la contestation en Biélorussie comme exclusivement antirusse et pro-occidentale, destinée à priver la Russie d'un allié important". Le Président russe a fait sienne cette conception, Loukachenko a "carte blanche" pour se livrer à toute exaction s'inscrivant dans le schéma "l'Occident veut me renverser et je défends Smolensk", résume le sociologue Grigori Ioudine. À l'encontre de la thèse qui veut qu'un Loukachenko, délégitimé et fragilisé, soit dans la main de Moscou, beaucoup de commentateurs considèrent qu'en recherchant l'escalade, il manipule le Kremlin et en fait un "otage". "90 % de la politique de Loukachenko visent à placer Poutine dans une dépendance totale à son égard", affirme Gleb Pavlovski. Loukachenko doit éviter deux écueils, remarque l'ancien conseiller du Kremlin, passé dans l'opposition, éviter une trop grande dépendance par rapport à Moscou, qui l'exposerait à être renversé, et se montrer trop distant envers la Russie, ce qui accroît le risque d'un complot fomenté par son entourage. "On a coutume de dire que Loukachenko dépend de Poutine, en réalité l'année passée montre que c'est tout le contraire, c'est précisément Loukachenko qui manipule avec succès Poutine", estime Gregori Ioudine. "En allant consciemment à la confrontation permanente pour obtenir toujours plus d'aide et de protection du Kremlin", Loukachenko nous a "pris en otage", déplore le journaliste Anton Orekh. "Il place constamment Moscou devant le fait accompli et présente comme un résultat substantiel toute montée des tensions avec l'opposition et avec l'UE", dénonce Alexandre Baounov.
Une "biélorussisation" de la Russie ?
"L'alternative au régime actuel [en Biélorussie], c'est une tentative de prise de pouvoir par des forces qui mettront en œuvre dans ce pays un scenario ukrainien", affirme Timothée Bordatchev, chercheur du club Valdaï. Les politologues indépendants quant à eux dénoncent le retour en Russie du syndrome de la "forteresse assiégée". Dans les années 1920, puis 1990, la Russie fustigeait un "cordon sanitaire" destiné à l'isoler de l'Europe, rappelle le sociologue Sergueï Medvedev. Au XXIème siècle, c'est elle-même qui a mis en place un "cordon anti-sanitaire de régimes très toxiques" - Abkhazie, Ossétie du sud, Crimée, Donbass, Transnistrie - qui "isolent la Russie du monde, engendrent des coûts croissants et contribuent aussi à l'empoisonner". Moscou ne peut ni s'en détacher ni les incorporer, mais doit les soutenir, explique le sociologue. Mikhaïl Rykline évoque ces "régions grises" qui servent de "zones tampon", où règne l'insécurité, auxquelles s’ajoute désormais la Biélorussie. Anton Barbachine inclut dans cette liste la Tchétchénie de Ramzan Kadyrov, qui gère cette république comme son fief et bafoue les lois de la fédération, se rendant coupable de multiples exactions, sur lesquelles Moscou ferme les yeux.
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