V. Poutine insiste toujours plus sur la "stabilité" qui, en termes économiques, signifie "stagnation", estime aussi Vladislav Inozemtsev. Selon cet économiste libéral, sans renoncer à la croissance, le Kremlin n’est pas prêt à créer les conditions d’une reprise si elle implique des réformes structurelles, des changements institutionnels et des ajustements de politique étrangère. De plus en plus, souligne la Nezavissimaia gazeta, le niveau de démocratie est défini au regard des garanties sociales octroyées par l’État et non par le développement des institutions politiques, en conséquence la liberté d’expression et de réunion et la société civile - "qualifiées de manière péjorative de démocratie bourgeoise" à l'époque soviétique - perdent nettement en importance. Selon le quotidien moscovite, cette orientation est moins déterminée par les aspirations de la population que par les convictions de V. Poutine et de son entourage le plus proche. Sa XVIIe intervention devant l’Assemblée fédérale rappelle les vieilles constructions idéologiques, note Andrei Kolesnikov. Ce discours était empreint du style soviétique digne d’un secrétaire général du PCUS lors d’un congrès du parti, ironise Dmitri Orechkine. Comme à cette époque, il faut être attentif non pas à ce qui est dit, mais à ce qui est omis, note le politologue. Souvent, les propos de Poutine contredisent la réalité, mais jamais aussi nettement que mercredi dernier, d’après le correspondant de la FAZ, qui relève au passage le lapsus du Président russe qui a confondu le traité de sécurité collective et le pacte de Varsovie...
Une Russie, forteresse assiégée
Les dossiers de politique internationale ont aussi été passés sous silence. La raison est simple, selon le journaliste indépendant Konstantin Eggert, le Président russe n’avait rien à dire sur ces sujets, compte tenu de l’ostracisme auquel est soumis son pays de la part de l’Occident, avec lequel les relations sont réduites au minimum. Cela dit, la stratégie de pression militaire sur l’Ukraine ("brinkmanship"), destinée à montrer que c’est toujours la Russie qui mène la danse ("Moscow still calls the shots"), a plutôt bien fonctionné, constate le FT, l’Occident s’est alarmé, J. Biden et V. Zelensky ont demandé à rencontrer V. Poutine. Pour un expert politico-militaire comme Alexandre Golts, la seule carte que peut jouer le Kremlin, "à rebours des souhaits de son propre électorat", c’est celle de la "forteresse assiégée". "Avec toute l'élite du pays, V. Poutine est sincèrement convaincu que la majorité des révolutions qui se produisent actuellement dans le monde ont des causes extérieures", explique également Pavel Louzine. Cela dispense le pouvoir de se pencher sur les difficultés internes du pays, il considère la population comme des "moutons" qu’on doit "non seulement diriger mais manipuler". Cette vision simpliste du monde imprégnait les services secrets soviétiques, dont V. Poutine est la personnification. Le recours au thème de la "forteresse assiégée", observe Alexandre Golts, s’accompagne dans le discours au parlement de déclarations menaçantes ("la réponse de la Russie sera asymétrique, rapide et ferme. Les organisateurs de n’importe quelle provocation, qui menace les intérêts fondamentaux de notre sécurité, regretteront comme jamais ce qu’ils auront fait").
Le passage sur la Biélorussie et la mention du projet de coup d’État, qui aurait été fomenté pour renverser et tuer A. Loukachenko, constituent pour beaucoup d’experts de la Russie le point crucial de l’intervention de V. Poutine. On a l’impression, écrit Andrei Kolesnikov, que l’opération menée par les services spéciaux russes et biélorusses pour appréhender les comploteurs a été spécialement organisée à la veille de l’adresse à l’Assemblée fédérale. Cette affaire présente "tous les traits d’un récit de propagande pour justifier de nouvelles répressions", affirme de son côté la FAZ.
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