Docteur en sciences politiques, Bruno Palier est directeur de recherche du CNRS à Sciences Po, au Centre d’études européennes et de politique comparée. Dans son ouvrage Réformer les retraites, paru en juin 2021, Bruno Palier se penche sur l’histoire et la diversité des systèmes de retraites existants en Europe, et décrypte les arguments qui ont poussé les gouvernements à réformer ces systèmes au cours des dernières décennies.
Menées à l’étranger ou en France, les réformes sur la retraite répondent, selon son analyse, tant à des enjeux démographiques qu’économiques. Leur mise en œuvre implique ainsi des arbitrages importants en matière de redistribution entre les générations, entre les hommes et les femmes et entre les différents groupes sociaux. La politisation de ces réformes demeure particulièrement visible selon l’auteur, notamment sur la question de l’emploi des seniors ainsi que sur le sujet de la capitalisation des retraites. En ce jour de vote de la réforme française, il a répondu aux questions de l’Institut Montaigne.
Prenons un peu de recul sur la réforme. Quels sont les différents régimes de retraite en Europe, leurs avantages et leurs inconvénients ? De quelle(s) tradition(s) la France est-elle héritière et de quel modèle s’inspire la réforme du gouvernement ?
En les comparant, on note que tous les systèmes de retraites sont hybrides. Les décomposer implique de s’interroger sur leur mode de financement, par capitalisation ou par répartition. Il est également nécessaire de se pencher sur la nature des prestations en question : il peut s’agir de prestations définies ou de systèmes de cotisations définies. Dans le premier cas, on établit à l’avance combien vous toucherez si vous avez cotisé pendant 42 ans sous le régime de retraite français. Selon ce cas de figure, vous bénéficiez de 50 % de votre salaire de référence, ce qui correspond à la moyenne de vos vingt-cinq dernières années, pour ce qui est du secteur public. Dans le second cas, celui du système à cotisations définies, le montant de vos cotisations mensuelles au système de retraite définit votre pension une fois l’âge venu. Cela vaut pour les systèmes par capitalisation : vous savez ce que vous mettez de côté, mais la valeur du capital dépendra de l'état de l’économie. Des systèmes de répartition ont un fonctionnement similaire, les systèmes par points, comme le régime complémentaire français. On connaît le coût d'achat d'un point, mais on ignore sa valeur de liquidation, soit combien il vaudra. Cela sera décidé par les partenaires sociaux lors du départ à la retraite.
C’est en retraçant l’histoire des systèmes de retraites qu’on comprend la composition de ces différents piliers.
La première étape que tous les systèmes de retraites ont connu, c’est celle d’une intervention publique visant à ne pas laisser les “vieux” dans l’extrême pauvreté. Je me permets de dire “les vieux” car c’était l’expression courante qu’on utilisait alors. Ils étaient peu nombreux. Seul un faible nombre vivait assez longtemps pour en arriver au point de ne plus être en capacité de travailler. Ce premier pilier se retrouve sous différents formats dans les systèmes de retraites qui voient le jour en Angleterre d’abord, puis en France, au tournant du XIXe et XXe siècle. Dans le format britannique, il s’agit de garantir un revenu minimum à tous les plus âgés. Dans le cas français, c’est la prise en charge des “vieillards et des indigents”, votée le 14 juillet 1905, une loi d'assistance sociale mise en œuvre au niveau municipal.
Les préoccupations concernant les salariés devenant trop faibles pour travailler marquent une deuxième étape, avec la mise en place d’un mécanisme d’assurance-vieillesse. Selon ce mécanisme, le salarié et son employeur versent une partie du salaire de l’employé à une assurance sociale, soit une somme dont il pourra disposer à partir d’un certain âge. Jusqu’en 1945, la plupart des régimes d’assurance sociale reposent sur un régime par capitalisation. En d’autres termes, l'employeur conserve une partie du salaire et le place soit dans son entreprise, sur les marchés ou auprès d’un assureur. Ce salaire est plutôt conservé au sein de l’entreprise et géré par les partenaires sociaux en Allemagne, et placés sur les marchés par les partenaires sociaux en France. Aux États-Unis, des gestionnaires d'actifs opèrent ces placements, selon le système des pensions funds.
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