On retrouve aujourd'hui sous une forme et un vocable autres, ce qui constitua une différence fondamentale dans l'approche des deux pays à l'égard de l'Europe. Pour Paris, l'Europe était la carte qui permettait à notre pays de rester lui-même par d'autres moyens, autrement dit un outil de puissance et d'influence. Pour Bonn, puis Berlin au contraire, l'Europe était un instrument de contrôle, sinon d'auto-contrôle de l'Allemagne.
Une décadence compétitive
Le dépassement de cette disparité fondamentale dans nos approches respectives de l'Europe est rendu plus difficile encore du fait de l'affaiblissement des élites politiques au pouvoir des deux côtés du Rhin. Angela Merkel n'est plus ce qu'elle était et Emmanuel Macron n'est peut-être pas en train de devenir ce que l'on espérait qu'il devienne. Son élection surprise en 2017 avait semblé préparer un rééquilibrage nécessaire entre les deux pays. Ce n'est pas qu'il y avait trop d'Allemagne, il n'y avait pas assez de France et ce peut-être depuis au moins 1995 et la fin de la présidence Mitterrand. A la fin des années 1980, Pierre Hassner décrivait la relation Etats-Unis/URSS comme un processus de décadence compétitive entre les deux pays. On serait tenté d'appliquer la formule aujourd'hui à la relation politique entre la France et l'Allemagne. Avec cependant une différence majeure. Nous ne sommes pas dans un jeu à somme nulle. La faiblesse de Berlin constitue un handicap pour Paris et vice-versa.
Peut-on être ambitieux pour l'Europe, rallier une majorité de ses concitoyens derrière soi, lorsque l'on est profondément contesté dans son propre pays ?
Contrairement à ce que l'on pourrait penser, la réponse est "oui", fondamentalement "oui". Les Européens n'aiment peut-être pas, peut-être plus l'Europe, ils n'en sont pas moins conscients que, dans un monde toujours plus dangereux, ils ont besoin d'Europe. Pour peu, bien sûr, qu'ils aient le sentiment d'être protégés par elle. Il ne faudrait pas qu'au rêve de "Fin de l'Histoire" des années 1990, succède en 2019 la hantise de "la Fin de l'Espoir", c'est-à-dire le crépuscule du projet européen.
Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 25/11/18).
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