Réussite relative toutefois : atteindre le second tour n’est pas synonyme de victoire, encore moins de cohabitation potentielle. Si selon les dernières estimations, la NUPES pourrait finalement obtenir entre 135 et 165 sièges - soit entre 2 et 3 fois plus que la gauche élargie actuellement dans l’hémicycle - Emmanuel Macron conserverait bien la majorité absolue à l’Assemblée, avec entre 310 et 350 sièges.
Non, les Français n’élisent pas leur Premier ministre
"Élire le Premier ministre en France" est certes une bonne formule politique et électoraliste mais constitue un pur abus de langage. Si les élections législatives des 12 et 19 juin 2022 ont pour vocation d’élire un député dans chacune des 577 circonscriptions électorales de l’Assemblée nationale - et ainsi d’obtenir une majorité sous une étiquette politique commune - ces scrutins ne présagent en rien le choix du futur chef du gouvernement.
Sous la Ve République, le choix du Premier ministre relève uniquement du président de la République, conformément à l’article 8 de la Constitution du 4 octobre 1958. La France diffère en cela de nombreux autres États européens tels que l’Allemagne, où le chef du gouvernement (le Chancelier) est élu par le Bundestag (la chambre basse du Parlement) sur proposition du président. D’un point de vue juridique, le président n’est donc pas contraint de nommer une personnalité politique en particulier à Matignon.
Dès lors, imaginons les scénarios potentiels si la NUPES obtenait une large victoire aux élections législatives. Il serait alors très risqué pour Emmanuel Macron de nommer un Premier ministre opposé à la coalition des partis de gauche. Le gouvernement est en effet responsable politiquement devant l’Assemblée nationale - cela signifie que l’Assemblée peut mettre fin aux fonctions du gouvernement par le biais d’un vote de défiance ou de l’adoption d’une motion de censure.
Tout d’abord, s’agissant du vote de défiance, le premier alinéa de l’article 49 de la Constitution dispose que le Premier ministre peut engager la responsabilité du gouvernement devant l’Assemblée nationale sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale. Ce discours est en principe suivi d’un vote de confiance. Le gouvernement doit remettre sa démission au président de la République si le discours du Premier ministre n’obtient pas l’approbation de la majorité des députés. Le vote de confiance suivant le discours de politique générale est traditionnellement usité mais reste facultatif.
En 1968, Maurice Couve de Murville s’était passé d’un vote de confiance suite à son discours de politique générale. Plus récemment, entre 1988 et 1993, il n’y a pas non plus eu de vote de confiance suite aux déclarations de politique générale de Michel Rocard, Édith Cresson et Pierre Bérégovoy.
Concernant ensuite les motions de censure, elles permettent de mettre en cause la responsabilité du gouvernement à tout moment. Elle doit avoir été signée par au moins un dixième des députés (soit 58 d’entre eux). Le vote a lieu quarante-huit heures après le dépôt de la motion, qui doit être adoptée à la majorité des membres, soit 289 députés. L’adoption de la motion de censure contraint le Premier ministre à remettre sa démission au président de la République.
Dans le cas où la NUPES obtiendrait la majorité absolue des voix, Emmanuel Macron ne serait donc pas - constitutionnellement - obligé de nommer Jean-Luc Mélenchon à Matignon. En effet, le président de la République pourrait tout à fait nommer une toute autre personne parmi la nouvelle alliance de la gauche, qui puisse faire consensus au sein de cette nouvelle majorité. Emmanuel Macron pourrait également avoir recours à l’article 12 de la Constitution : la dissolution de l’Assemblée nationale, pour convoquer de nouvelles élections législatives. En pratique, cette option n’a toutefois que peu de chance de se réaliser en raison du risque politique qu’elle implique. La dissolution de l’Assemblée nationale en 1997 par Jacques Chirac - qui disposait pourtant d’une majorité parlementaire - s’était traduite par une victoire de la "Gauche plurielle" aux élections législatives anticipées et donc, d’une période de cohabitation.
Une autre possibilité pour la NUPES est celle d’obtenir une majorité relative à l’Assemblée. La coalition de gauche pourrait en effet se retrouver avec le plus grand nombre de députés de tous les groupes à l’Assemblée nationale, sans pour autant atteindre le seuil de majorité absolue, fixé à 289 sièges. Elle serait alors contrainte de s’allier à des députés hors de sa coalition afin d’atteindre la majorité absolue lors du vote des textes législatifs. Ici, la capacité d’Emmanuel Macron à choisir un Premier ministre de sa coloration politique pourrait aussi être menacée par la mise en cause de la responsabilité du Gouvernement, dans le cas où la NUPES et les autres forces de l’Assemblée (Rassemblement national, Les Républicains) ne voteraient pas la confiance au Premier ministre, ou adopteraient une motion de censure. Dégager un consensus durable autour du gouvernement en place serait alors passablement difficile mais pas impossible, d’un point de vue institutionnel.
Ajouter un commentaire