Les conclusions en ont été entérinées par une résolution du Conseil de sécurité. En voici l’essentiel : un cessez-le-feu, la conférence internationale elle-même et un processus de transition mené par les Libyens. On a reproché aux organisateurs de ne pas inviter les protagonistes mais il fallait mettre les puissances régionales et internationales devant leurs responsabilités avant de forcer les Libyens à trouver un compromis entre eux. Il fallait surtout donner les moyens à l’Envoyé spécial de conduire sa mission. De fait, les pays participants se sont engagés dans le communiqué final de la conférence à s’abstenir d’interférer dans le conflit armé et les affaires intérieures de la Libye.
Moins de deux mois plus tard pourtant, Ghassan Salamé a démissionné, seul moyen de pression que les envoyés spéciaux de l’ONU ont à leur portée, laissant son adjointe, l’Américaine Stephanie Williams, poursuivre seule. Ghassan Salamé ne disparaît pas pour autant du dossier et y travaillera encore longtemps dans l’ombre. Il est d’autant plus efficace qu’il s’est affranchi des égards dus aux uns et aux autres.
Les communiqués de l’ONU sont accompagnés des formules habituelles sur la nécessité de restaurer la souveraineté, l’indépendance, l’intégrité territoriale et l’unité nationale. Ces mots, qui finissaient par sonner creux, sont pourtant pris au sérieux cette fois. Les pays européens, dont la France, rouvrent leur ambassade, les acteurs régionaux changent de comportement, et le marché pétrolier semble se préparer aux conséquences d’une reprise rapide des exportations de pétrole libyen.
Mais la conférence de Berlin a eu lieu il y a quinze mois. Alors pourquoi tant de temps perdu et comment ce nouvel accord a-t-il été possible ? La clé se trouve dans un reset de l’approche onusienne, qui a considéré le militaire comme la colonne vertébrale de la solution. Un plan opérationnel avait été annexé au communiqué final de la conférence de Berlin, qui prévoyait de créer une commission militaire mixte. Ce comité dit des 5+5 - composé de cinq membres nommés par le gouvernement de Tripoli et de cinq autres désignés par Haftar - est chargé de fixer les modalités pratiques du cessez-le-feu, et notamment d’un mécanisme de surveillance stricte de l’embargo sur les livraisons d’armes. Cette fois, l’ONU a tiré les leçons des échecs passés et a considéré que le travail de la commission militaire était un préalable nécessaire à la viabilité des instances politiques. Le terrain est donc prêt pour engager le grand ménage sécuritaire indispensable.
La Libye fournit la preuve, dix ans après la chute de Kadhafi, que la matrice onusienne classique de la transition post-conflit - une constitution suivie d’élections - ne peut fonctionner lorsqu’on est devant une autorité fragmentée entre des centaines de milices, de groupes extrémistes et de bandes criminelles auxquels s’ajoutent des milliers de mercenaires étrangers. Lorsqu’on part de cette réalité-là, on ne peut que commencer par travailler à assurer une sécurité minimale qui permette à un gouvernement de s’installer dans un bâtiment protégé par une force armée nationale, plutôt qu’en demandant à un peuple exsangue de choisir ses gouvernants. Dans un contexte de guerre, ce sont soit des chefs de guerre qui parviennent à se faire élire (c’est le cas de Haftar), soit des figures politiques sujettes à des pressions de toutes parts. Certes, le contrôle des civils sur les militaires est en théorie nécessaire, mais dans les faits, ceux-là ne peuvent que perdre leur crédibilité (et par conséquent leur légitimité) s’ils ne parviennent pas à gouverner.
L’autre élément essentiel de l’accord est son volet financier. Le rôle des États-Unis a été décisif à cet égard. Washington a mené à l’automne dernier une médiation entre les deux gouvernements rivaux et a réussi à former une commission qui décide de la distribution des revenus du pétrole. L’administration américaine a commencé par convaincre la Banque centrale à Tripoli d’ouvrir ses livres afin de connaître ses réserves (que les Libyens eux-mêmes ne connaissent pas). Elle a ensuite mis sous sanction les grands trafiquants qui volaient et vendaient le pétrole en Europe. Le Maréchal Haftar a alors levé le blocus des ports pétroliers.
Enfin, la libération des prisonniers de part et d’autre a permis la construction d’une relation entre les figures politiques et surtout militaires de la commission 5+5, afin qu’elles commencent à se penser comme partie d’un projet national.
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