Interrogée par la chaîne de télévision BBC World, la porte parole du BJP, le parti du Premier ministre, a insisté sur le fait que ces rassemblements, tant politiques que religieux, dépendaient du "bon vouloir" des gouverneurs des différents États indiens. Ils n'étaient donc pas "du ressort" de l'État fédéral. Ce qui est techniquement vrai, mais politiquement faux. Narendra Modi - tout comme Jair Bolsonaro au Brésil, ou en son temps Donald Trump aux États-Unis - n'a pas pris, ou plutôt n'a pas voulu prendre, la pleine mesure de la crise sanitaire.
Au printemps 2020, j'avais participé, via-Internet, à une réunion avec un haut responsable indien. Son assurance, proche de l'arrogance, m'avait, à l'époque, troublé. À l'en croire, tout était sous contrôle en Inde, et allait le rester. Des États locaux agissant de manière coordonnée et responsable, un système de santé adapté, une population jeune : l'Inde n'était pas un problème.
Le pays allait, bien au contraire, constituer une des réponses à la crise sanitaire. La première démocratie mondiale et sa grande rivale autoritaire, la Chine, demeuraient dans la même catégorie de puissance. Et elles étaient plus que jamais engagées dans une compétition de soft, comme de hard power.
Discours triomphaliste
Un an plus tard, alors qu'il y a plus de Chine et moins d'Inde en Asie du fait de la pandémie, on prend toute la mesure de l'ironie tragique de ce discours triomphaliste indien. L'Inde s'étant déjà déclarée victorieuse du virus, l'a tout simplement ignoré, se comportant comme une "superpuissance vaccinale", offrant ses vaccins à plus de 74 nations dans le monde, exportant ainsi des doses qui lui ont fait cruellement défaut ces jours-ci. Aujourd'hui encore, seul 5 % de l'immense population de l'Inde est vacciné. Au rythme actuel, il faudra encore 700 jours pour que le pays arrive à vacciner 70 % de sa population, et atteigne ainsi un niveau d'immunité satisfaisant.
Les images qui nous proviennent de l'Inde, depuis plusieurs semaines maintenant, semblent tout droit sorties de "L'Enfer" de Dante. Ces milliers de corps qui brûlent en plein air, illuminant le ciel de leurs flammes tragiques, ne semblent pas seulement provenir d'une autre géographie, mais d'un autre temps. La course désespérée à l'oxygène d'une société qui se bat pour tenter de répondre à la défaillance des autorités est dramatique tout autant qu'elle est admirable.
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