Davantage que dans la déclaration de 2008, les origines de l’intervention russe en Ukraine sont à trouver dans le raidissement du pouvoir russe à partir de l’élection de 2012 et dans le choix de Kiev - soutenu par la population - de signer à l’époque un accord d’association avec l’Union européenne.
L’annexion de la Crimée, à la suite d’un référendum tenu dans des conditions qui rappellent fortement le plébiscite en faveur de l’annexion du Sudetenland, et l’intervention russe au Donbass ont fait de l’Ukraine un pays en guerre. La Crimée est désormais "russifiée" (sur 49 paroisses relevant du patriarcat de Kiev existant en 2014, il n’en reste que cinq) et, comme les pays baltes après 1940, est sans doute perdue pour longtemps pour Kiev. Le sort du Donbass, lui, reste en jeu. La diplomatie franco-allemande a joué un rôle clé en permettant l’établissement d’une feuille de route pour le règlement du conflit (accords de Minsk-1, 2014, et Minsk-2, 2015) prévoyant un cessez-le-feu, le retrait des forces étrangères et un statut d’autonomie pour le Donbass. Pour l’heure, quelques 75.000 hommes continuent à se faire face sur un front de 450 kilomètres et le conflit a déjà fait près de 15.000 morts.
La vision révisionniste du Kremlin
La Russie ira-t-elle plus loin ? Non content de soutenir les séparatistes du Donbass, le Kremlin évoque avec nostalgie la "Nouvelle Russie" (région de la Mer noire). Tout indique que trente ans après l’indépendance de l’Ukraine, Moscou n’a pas digéré la séparation. Exceptionnellement long pour une publication présidentielle, l’important texte "Sur l’unité historique des Russes et des Ukrainiens", que M. Poutine a signé de sa plume à l’été 2021, développe sa vision. Argumenté, le propos n’en est pas moins révisionniste à un triple égard.
D’abord, M. Poutine prétend que la Russie est l’héritière naturelle de la "Rus’ kiévienne". Cette matrice originelle des trois nations slaves orientales (biélorusse, russe, ukrainienne), fondée par les Varègues (Vikings) au 9ème siècle, était une prospère fédération de principautés administrée par Kiev, centre spirituel de la région. Dans ce récit - non dénué de popularité en Occident - après sa chute (invasion mongole du 13ème siècle), la Moscovie en devint la légitime héritière et son destin de "réunifier les terres russes".
Ce récit, fondé sur le principe médiéval translatio imperii, date des 15-16ème siècles : il avait pour but de légitimer les conquêtes territoriales de la Moscovie. La construction du mythe national russe, destiné à rompre avec le passé tatar, exigeait en effet de s’inscrire dans un passé kiévien, ce qui voulait dire byzantin et romain (d’où la "Troisième Rome") Ivan III fut acclamé à la fin du 15ème siècle comme tsar (césar), appellation qui deviendra officielle sous le règne de son petit-fils Ivan Le Terrible, "souverain de tous les Rus’", et qui deviendra au 18ème siècle "tsar de toutes les Russie" : la grande, la petite (Ukraine) et la blanche (Biélorussie).
Dans ce récit, la Russie se veut la protectrice des nations slaves orientales. Mais ce fut pour les Ukrainiens une union forcée. Au 15ème siècle, les cosaques, qui avaient fondé un ensemble de communautés dans la partie sud-est du territoire actuel de l’État, se rebellèrent contre la République des Deux Nations. Ils proclamèrent en 1649 le "Hetmanat", un gouvernement indépendant. Cinq ans plus tard, ils s’estimèrent contraints de rechercher le soutien russe face aux appétits polono-lituaniens. Mais le traité de Pereïasliv (1654), décrit par Moscou comme une "union", résulta en un mariage forcé alors que les cosaques ne souhaitaient qu’une alliance pour se défendre contre la République des Deux Nations (Pologne et Lituanie).
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