Au lendemain de l'effondrement de l'URSS, la Chine s'était livrée à une analyse détaillée des causes qui avaient mené à la désagrégation de l'empire soviétique : une économie civile trop faible, un leader (Mikhaïl Gorbatchev) trop mou. Elle semble aujourd'hui oublier une troisième cause fondamentale : des dépenses militaires trop élevées, liées à un appétit impérial trop grand.
Au cours des dernières décennies, la Chine pouvait encore se vanter d'être une sorte d'anti-URSS. Le revenu par tête d'habitant y est passé de 333 dollars en 1991 à 7.329 dollars en 2017. Et l'espérance de vie moyenne des Chinois a crû de 34 ans entre 1960 et 2010. Le problème aujourd'hui, dans le contexte de la guerre commerciale naissante avec les Etats-Unis, est que la Chine pourrait bien répéter les erreurs de l'URSS d'hier. Certes contrairement à l'URSS, la Chine - pour peu qu'elle fasse preuve de patience - a les moyens de ses ambitions. Sa principale richesse - sa percée dans le domaine de l'intelligence artificielle en est la preuve - est humaine, et non énergétique.
Après s'être réjoui, trop tôt, de l'arrivée à Washington d'un président improbable qui par son comportement ne pouvait que conforter le statut virtuel de numéro un de la Chine, Xi Jinping commence à s'inquiéter d'un homme qui ne joue plus selon les règles établies, et qui l'obligerait même à remettre en question les piliers de sa stratégie. Est-il raisonnable de se faire tant d'adversaires en Asie, ou de dépenser des sommes considérables pour s'assurer le concours de régimes peu fiables partout dans le monde, si au bout du compte on s'affaiblit à l'intérieur par le biais de dépenses excessives ?
S'il est un domaine où la Chine et l'Amérique divergent radicalement c'est au niveau des doutes. On ignore si Xi a des états d'âme, il est clair que Donald Trump n'en a pas. Et pourtant c'est lui qui - même s'il pose de bonnes questions, comme celle des pratiques chinoises en matière de commerce ou de propriété intellectuelle - apparaît comme l'apprenti sorcier numéro un. Trump isole l'Amérique au moment où elle aurait le plus besoin d'alliés. II se lance dans une guerre commerciale qui ne peut que faire des perdants de part et d'autre.
Une parenthèse ou un cycle ?
Il existe pourtant une interrogation fondamentale : la course à la guerre froide avec la Chine est-elle bien la conséquence de l'élection de Donald Trump ? Si en 2020 le locataire de la Maison-Blanche changeait radicalement, si un démocrate modéré, rationnel, en faveur du multilatéralisme arrivait au pouvoir, la relation entre les Etats-Unis et la Chine changerait-elle du tout au tout ? Rien n'est moins sûr. La Chine poursuit et sans doute poursuivra une ambitieuse politique impériale, quelles que soient les orientations de la présidence américaine. Mais, surtout, la victoire de Trump en 2016 n'a pas été seulement le résultat d'un accident. Elle traduisait la montée en puissance d'une culture de peur et de colère qui est très loin d'avoir disparu dans ce que l'on appelle l'Amérique profonde.
Pourtant la confrontation directe entre ces deux planètes que sont les Etats-Unis et la Chine n'est pas inévitable. La jeunesse chinoise continue de rêver d'une Amérique synonyme - en dépit de Donald Trump - d'ouverture d'esprit et de culture d'excellence. Du côté américain, la Chine est certes de plus en plus perçue comme une menace stratégique, mais elle demeure aussi un marché qui fait toujours rêver.
Que doivent faire l'Europe et plus précisément la France devant cette "nouvelle guerre froide" ? Certains vont jusqu'à suggérer un renversement d'alliances. "Notre avenir est avec la Chine", disent-ils, "il n'est plus avec les Etats-Unis". D'autres, comme l'auteur de ces lignes, sont plus prudents. L'Amérique n'est certes plus la protection qu'elle était, mais la Chine nous regarde avec beaucoup d'appétit.
Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 28/09/18).
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