Leur vision part du constat que ces quatre communautés sont privées de leurs droits à des degrés divers : les habitants de Gaza sont totalement bouclés ; les Cisjordaniens vivent dans des îlots encerclés de colonies ; quant à ceux habitant Jérusalem-Est, ils sont engagés dans un combat harassant et quotidien pour conserver leur carte de résidence, se cramponner à leur domicile ou obtenir la réparation d’infrastructures croulantes ; enfin, ceux qui ont la nationalité israélienne continuent de se sentir des citoyens de seconde zone. Redéfinie ainsi, la question palestinienne ne tourne plus autour d’une solution à deux États ou à un seul : au-delà des problèmes de souveraineté et de statut administratif, il existe un seul peuple, disent-ils, réparti entre le Jourdain et la Méditerranée, qui veut la fin d’un système colonial et de toute pratique discriminatoire.
Dès lors, leur discours est celui de la lutte pour la justice et l’égalité des droits individuels et collectifs dépassant la fragmentation géographique. Certains pensent que cela se fera dans le cadre d’un seul État, d’autres de deux États. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un seul et même combat sur tout le territoire, même si ces quatre communautés ne se connaissent que très peu car elles se rencontrent rarement. La vision est inspirée des mouvements de lutte pour la justice raciale et sociale dans le monde, en premier lieu aux États-Unis, où leur discours trouve un écho grandissant.
Ces nouvelles figures du mouvement palestinien ne sont cependant pas encore en mesure de se structurer en une force politique. L’alternative aux deux formations existantes continue de faire défaut. Le modèle reste à trouver, mais comme aucun des acteurs n’a intérêt à le voir prendre forme, il est peu probable qu’il trouve de l’aide.
La fin de la solution à deux États est-elle irréversible ? Elle devient en tout cas obsolète, "caduque" selon le célèbre mot d’Arafat à propos de la Charte de l’OLP. Plus aucun think tank en Israël ou ailleurs n’y travaille. En revanche, depuis l’annonce du plan Trump - qui prévoyait l’annexion par Israël de la Vallée du Jourdain et des colonies en Cisjordanie -, des équipes israéliennes et américaines avaient beaucoup progressé dans le repérage de zones en Cisjordanie qu’Israël pourrait annexer, renforçant ainsi la marche engagée vers un seul État.
Retournement inattendu en Israël
Il se passe en Israël des choses inédites. La flambée de colère dans plusieurs villes où se concentre la population arabe est un fait très rare dans l’histoire du pays. Le gouvernement a dû y décréter l’état d’urgence. Cela ne s’était jamais vu depuis la levée en 1966 du régime spécial appliqué aux Palestiniens qui n’étaient pas partis lors de la proclamation de l’État d’Israël. Cette fois-ci on a dû de surcroît déployer les forces de sécurité intérieure du Shin Beth en renfort de la police, débordée. Ces Palestiniens-là ne cherchent pas à remettre en cause leur statut de citoyens de l’État hébreu étant donné le sort peu enviable des habitants des territoires occupés ; ils ne font que demander la pleine égalité avec leurs concitoyens juifs.
Pendant ce temps, deux années d’impasse dans la vie politique israélienne viennent de se dénouer par la formation d’un gouvernement qui représente une révolution silencieuse. Pour la première fois, un petit parti arabe - islamiste qui plus est, dirigé par Mansour Abbas - s’est trouvé en position d’arbitre du jeu politique et a négocié son soutien à la nouvelle coalition gouvernementale que dirige (par rotation) le chef d’un parti juif religieux. Il obtient en échange la promesse de quelques bénéfices pour les citoyens arabes. Jamais auparavant les partis sionistes n’avaient osé sauter le pas en s’appuyant sur les partis arabes, de peur de compromettre le caractère juif de l’État. L’alliance des autres partis arabes, dite "liste unifiée", dénoncent Mansour Abbas, l’homme qui a brisé l’unité de leur front et ironisent sur "l’arabe de service" qui aurait conclu un marché de dupes : obtenir la reconnaissance de droits qui étaient de toute façon dus aux citoyens arabes. Mais Mansour Abbas est un Palestinien du Néguev, où vit le "lumpenprolétariat" d’Israël. Il sait parfaitement que des droits - même reconnus dans les textes - doivent être renégociés lorsque le rapport de force est défavorable. Mansour Abbas, chef d’un petit parti sans assise populaire significative et sans grande crédibilité, a donc décidé de faire cavalier seul. L’Autorité palestinienne le traite de collaborateur.
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