Dès lors, certains peuvent considérer le règlement intervenu le 10 novembre comme un simple aménagement du système de gestion par la Russie de sa zone d’influence. Dans cette optique, la force de M. Poutine consiste, plutôt que de vouloir imposer par la force la domination russe, à s’adapter aux nouveaux équilibres : la Russie reste l’arbitre, mais reconnaît une place à la Turquie et une réévaluation de la position de l’Azerbaïdjan par rapport à l’Arménie. S’agissant de la Turquie, la Russie n’est pas allée jusqu’à accepter qu’elle soit partie à l’accord de cessez-le-feu, mais le Président Poutine a multiplié les déclarations ménageant M. Erdogan.
On peut sans doute objecter à cette lecture que des tensions sont inévitables entre intérêts russes et turcs ou que le règlement du 10 novembre n’est pas tenable sur le long terme. C’est possible en effet, mais il faut reconnaître au Président russe qu’il a su établir un nouveau type de relation avec ses alliés – turcs, iraniens, et d’ailleurs à certains égards chinois (de plus en plus présents en Asie Centrale par exemple) –, qui amalgame les éléments de tensions assumées et de compromis patiemment élaborés.
Notons au passage que la République islamique d’Iran, alliée traditionnelle de l’Arménie, a elle aussi dans les derniers jours du conflit pris fait et cause pour l’Azerbaïdjan – sans doute soucieuse d’avoir sa part au moment des comptes et aussi pour tenir compte des sentiments de sa nombreuse minorité azérie. Ironiquement, Israël a également été l'un des principaux partisans - et fournisseurs d'armes - de Bakou depuis le tout début.
Un nouveau changement du statu quo territorial par la force
Ceci étant dit, il est permis d’avoir une autre lecture de la crise et de son épilogue, pas nécessairement contradictoire avec ce qui vient d’être exposé.
Dans cette seconde interprétation, deux éléments doivent être mis en exergue : l’accord du 10 novembre endosse un nouveau changement de frontières en Europe par la force. On peut certainement dire que techniquement il n'y a pas eu modification de frontières, mais personne ne peut nier que nous sommes confrontés à un changement du statu quo territorial, le second en sept ans, après la Crimée en 2013-14, contrairement aux principes de la Charte de Paris de 1990 ; et l’Occident est resté pratiquement inerte pendant le conflit et se trouve évidemment absent de son règlement.
Sur ce dernier point, les Russes n’ont pas caché que l’un des objectifs de leur médiation était de tenir à l’écart les Occidentaux – et plus précisément la France et les États-Unis, qui formellement co-président avec la Russie le "groupe de Minsk", en principe en charge depuis des années de trouver une solution au conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Comme ils l’ont fait en Syrie avec le "processus d’Astana" (Iran, Russie, Turquie), ils ont préféré une structure ad hoc avec des acteurs régionaux à une instance reconnue par la communauté internationale.
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