L'épidémie de coronavirus réduit peut-être les inégalités mondiales sur le plan de la santé, puisque les continents les plus pauvres et les plus jeunes sont les moins affectés pour le moment. Mais le Covid-19, selon Dominique Moïsi, risque d'aggraver encore les inégalités sur le plan économique et social.
Dans l'univers d'incertitudes infinies qui est le nôtre depuis les débuts de l'épidémie de coronavirus, trois questions l'emportent sur d'autres. Y aura-t-il une deuxième vague de l'épidémie ? Trouvera-t-on, et dans quel délai, un vaccin ? Enfin les géants démographiques de la planète que sont l'Afrique et le sous-continent indien (plus d'un quart de l'humanité à eux deux) subiront-ils de plein fouet l'épidémie ?
Cette dernière question contribuera tout particulièrement à donner sa signification globale et son ampleur à l'épidémie de coronavirus. En termes géopolitiques, le coronavirus est peut-être un accélérateur de l'histoire. Se peut-il qu'il produise aussi un effet de rééquilibrage entre continents ? À moins que, de manière plus "classique", il ne fasse qu'approfondir et accélérer les inégalités de conditions qui existent déjà entre sociétés et à l'intérieur de celles-ci ?
La "Peste blanche"
En cette fin d'avril 2020, ce qu'on appelait hier les pays du tiers-monde semblent moins affectés par l'épidémie que les pays riches et développés. Les trois quarts des près de 200.000 victimes décédées sont européennes ou américaines. En Afrique, le Covid-19 commencerait à être appelé par certains, la "Peste blanche". Une dénomination provocatrice, qui intègre - si elle correspond vraiment à la réalité - une dimension de revanche : "Vous ne voulez pas de moi comme réfugié politique ou migrant économique : eh bien je ne veux pas de vous, qui êtes devenus porteurs de l'infection, sur mon continent."
Cette dénomination est paradoxale, à l'heure où Donald Trump parle du "virus chinois". Elle l'est plus encore, quand on sait qu'aux États-Unis les Afro-Américains sont particulièrement affectés par la pandémie. Dans une ville comme Chicago, la communauté noire ne représente que 30 % de la population, mais constitue 70 % des victimes du virus. Dans le NHS (le système de santé britannique), les études montrent que les personnels de couleur (d'origine africaine ou indo-pakistanaise) risquent de développer nettement plus des formes graves de la maladie que les autres.
Un effet égalisateur
En "temps normal", surtout depuis les progrès spectaculaires réalisés par la médecine, l'espérance de vie des populations les plus aisées et les plus éduquées est très supérieure à celle des plus pauvres et des moins éduquées. Cet écart s'est même approfondi au cours des dernières années avec l'explosion des inégalités. Historiquement, les épidémies ont à l'inverse constitué pendant des siècles et, en apparence au moins aujourd'hui encore, "des grands égalisateurs" qui affectent de manière égale, les puissants et les misérables. Saint Louis est mort de la peste (ou du typhus), Louis XV de la petite vérole et Boris Johnson s'est trouvé pendant quelques heures entre la vie et la mort. Ce phénomène d'égalisation des destins individuels s'appliquerait-il également à la relation entre les continents ? La pyramide des âges ne protège-t-elle pas l'Afrique et le sous-continent indien face à un virus qui menace surtout les personnes âgées ?
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