Avec la crise qui se profile depuis l’automne aux portes de l’Ukraine, l’Europe affronte son point de tension le plus chaud depuis les Guerres de Yougoslavie. Mais fidèles à la pratique de la diplomatie qu’ils ont érigé en règle d’or, ses chefs d’États font tout pour trouver une résolution pacifique à la crise. La visite d’Emmanuel Macron à Moscou le 8 février s’est inscrite dans cette perspective, à savoir, calmer les velléités de Vladimir Poutine. Dans ce nouvel épisode de Ukraine, Russie : le destin d’un conflit, Michel Duclos, ancien ambassadeur, nous livre son analyse après la rencontre des deux Présidents.
Retrouvez la timeline de l’Institut Montaigne dédiée à remonter le temps et saisir la chronologie du conflit.
C’est une étrange relation qu’entretiennent Emmanuel Macron et Vladimir Poutine.
De Versailles en mai 2017, à Moscou ce 7 février, en passant par Saint-Pétersbourg en mai 2018, et sans oublier la spectaculaire visite du "tsar" russe à Brégançon en août 2018, M. Macron a déployé beaucoup d’efforts pour séduire M. Poutine. Ces efforts du Président français s’étaient jusqu’à maintenant révélés singulièrement vains.
Emmanuel Macron n’avait rien obtenu du Kremlin sur la Syrie, pas plus que sur l’Ukraine - qui était déjà le principal dossier à l’agenda franco-russe à Brégançon. Il avait aussi trouvé Poutine sur son chemin en Libye, sans parler du coup stratégique contre les intérêts français au Mali auquel se livrent ces derniers temps les Russes par le biais de la compagnie Wagner. Sur ce dernier terrain, leur action risque de favoriser une remontée en puissance des groupes djihadistes et de plonger ce pays un peu plus dans le chaos.
Malgré toutes les rebuffades, le Président français a constamment maintenu une volonté de dialogue maintes fois théorisée - l’interview à The Economist de novembre 2019 est à relire à cet égard - et défendue notamment vis-à-vis des autres Européens, le plus souvent très méfiants à l’égard de la Russie. Son crédit auprès de ces derniers ainsi que vis-à-vis des Démocrates américains s’en est trouvé sérieusement écorné : dans de nombreuses capitales, un soupçon permanent de complaisance à l’égard de Moscou entoure la démarche du Président français.
La rencontre de Moscou va-t-elle marquer un tournant dans cette relation jusqu’ici au mieux stérile et au pire toxique ?
En tout cas, les cinq heures de discussions entre les deux hommes, suivies d’un dîner où l’esturgeon était à l’honneur, n’ont pas été inutiles. Elles contribuent à faire baisser les tensions. Il faut se souvenir en outre que les Russes, suivis par tous les commentateurs, n’ont cessé de répéter ces dernières semaines que seul le dialogue avec Washington comptait aux yeux de Moscou. Après le Président Macron, le Chancelier Olaf Scholz sera reçu la semaine prochaine au Kremlin. Par le biais de ses grands États, l’Europe fait ainsi son retour sur une scène dont elle paraissait avoir été écartée.
Peut-être Vladimir Poutine s’aperçoit-il que pour transformer son chantage massif à l’invasion de l’Ukraine en avancée politique, le tête-à-tête avec Joe Biden ne suffit pas. Sans doute espère-t-il trouver chez les Européens des interlocuteurs plus faciles à manipuler. C’est là toutefois où le bilan de sa relation avec Emmanuel Macron risque de peser : le Président français, qui n’avait d’ailleurs jamais rien cédé d’essentiel à la Russie, est maintenant instruit par l’expérience.
Dans ce contexte, arrêtons-nous sur trois questions qui vont déterminer l’avenir de la crise.
La démarche d’Emmanuel Macron vis-à-vis de la Russie dans la crise actuelle procède-t-elle une fois de plus de cette pratique du cavalier seul qui est souvent reprochée au Président ?
La réponse est non, et pour au moins deux raisons. En premier lieu, à la différence précisément de ce qui s’était passé à Brégançon, le Président français a pris soin de consulter un grand nombre de partenaires européens, y compris ceux qui, à l’image des Baltes, sont les plus sensibles à la menace russe. Il a téléphoné plusieurs fois au Président Biden. En revenant de Moscou, il s’est arrêté à Kiev pour "débriefer" le Président Zelinski, puis à Berlin pour se concerter avec le Chancelier allemand et le Président polonais, Andrzej Duda.
En second lieu, et peut-être surtout, les différentes capitales occidentales, avec des accents et dans des styles différents évidemment, jouent une partition en réalité identique.
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