Dès lors, le pessimisme est de rigueur quant à ce que pourrait être la réaction de la Chine et de la Russie à un septième essai nucléaire nord-coréen. Un durcissement des sanctions semble hors de portée. Une déclaration unanime du Conseil de sécurité apparaît comme un scénario optimiste, tant la Chine et la Russie jouent à faire porter la responsabilité de la prolifération nord-coréenne sur la stratégie américaine - en miroir à leurs récits sur l'Ukraine, et sur Taiwan.
L'ombre de la Russie
Dans ce contexte, il est légitime de s'interroger aujourd'hui sur la dimension clandestine de la relation Russie-Corée du Nord. Lors de son récent discours de Valdaï, Vladimir Poutine a accusé la Corée du Sud de fournir une assistance militaire à l'Ukraine, alors même que celle-ci est contestée par Séoul, qui ne reconnaît qu’une assistance humanitaire, et qu'aucune preuve ne permet de démontrer son existence. Poutine a ponctué son accusation d’une menace : "Comment la Corée du Sud réagirait-elle si nous reprenions notre coopération en matière d’armement avec le Nord ? Est-ce que ça vous plairait ? ".
Il y a pourtant trois pistes suffisamment sérieuses pour être évoquées, et qui suggèrent la possibilité que cette coopération en matière d’armement aurait déjà pu renouer - même s’il demeure impossible de l’établir à ce jour.
- Le déni vigoureux des Russes après les accusations du New York Times (qui s’appuient sur du renseignement américain déclassifié) selon lesquelles l'armée russe en serait réduite à se procurer des munitions nord-coréennes n’empêche pas certains auteurs russes de lister quels systèmes produits par la Corée du Nord seraient utiles à la Russie pour vaincre l'Ukraine : lance-roquettes, howitzers Koksan sans électronique embarquée, tanks… Aucun de ces systèmes n’a été photographié sur le terrain. Des munitions type obus sont plus difficiles à identifier, mais nul doute que si elles sont livrées et utilisées par les Russes, l'analyse forensique le démontrera.
- La ressemblance frappante entre l’Iskander-M russe et les missiles balistiques nord-coréens de courte portée photographiés depuis 2018 soulève des interrogations raisonnables quant à de possibles transferts de technologie.
- L'étude de l'International Institute for Strategic Studies (IISS) sur la propulsion moteur-fusée (RD-250) des missiles intercontinentaux nord-coréens pointe du doigt la possibilité de réseaux de prolifération clandestins à partir de l'usine de Yuzhmash à Dniepr, en Ukraine. Après les échecs répétés de ses ambitions intercontinentales, le programme missilier nord-coréen franchit soudain le cap de la maîtrise de la propulsion en 2016-2017, avec un nouveau dispositif. L'affaire est opaque. Les missiles intercontinentaux soviétiques, puis russes, se fournissaient à Yuzhmash jusqu'à l'annexion de la Crimée en 2014, date après laquelle les Russes ne passent plus commande à ce complexe industriel. Le rapport produit, au moment de sa publication, un fort déni ukrainien, allant jusqu'à l'accusation officielle d'une fabrication russe visant à couvrir "leurs propres crimes".
Que faire ?
S'il demeure impossible de démontrer une contribution active de la Russie, ou de certains réseaux russes, à la prolifération nord-coréenne, il est évident que la Corée du Nord n'accélérerait pas autant son programme balistique si elle ne bénéficiait pas de l’environnement propice que les politiques étrangères chinoises et russes ont construit autour d'elle, et qui créent les conditions de son impunité. Alors que l'attention des milieux de sécurité en Europe est accaparée par l’Ukraine, les risques de prolifération active de la Russie vers l'Iran et la Corée du Nord semblent pourtant un sujet qui mérite des ressources.
Pour la Chine, la question se pose aujourd’hui sous l'angle non de la prolifération, mais du commerce de biens de consommation ou de produits pétroliers prohibés. La Chine est relativement sensible aux coûts réputationnels en ce domaine. D'une part, elle tolère les transferts maritimes entre bateaux chinois et nord-coréens dans sa zone économique exclusive, qui permettent des violations du régime de sanction. De l'autre, elle a pu réagir lorsque les activités internationales de surveillance de cette zone amenaient à démontrer, photos à l’appui, que de tels transferts avaient lieu.
Copyright : Anthony WALLACE / AFP
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