Le sursaut démocratique de 2015
Malgré toutes ces dérives, le Sri Lanka n’en demeure pas moins, à la fin du second mandat de Rajapakse, un pays où la souveraineté appartient au peuple. Le Président, qui semblait avoir oublié cette donnée fondamentale, en fait la douloureuse expérience lors de l’élection présidentielle de 2015, où il échoue à se faire reconduire au pouvoir. Comment expliquer cette défaite, qui intervient après 10 ans de contrôle de toutes les manettes du pouvoir politique, et l’établissement d’un large réseau clientéliste impliquant l’essentiel des élites sri lankaises ? Premièrement, les méthodes de Rajapakse étaient largement impopulaires auprès de l’opinion publique sri lankaise. Les assassinats politiques, la politisation de l’appareil judiciaire ainsi que du service public, la mise au pas des médias se montrant encore critiques, la corruption extrême de la famille du Président, étaient autant d’éléments négatifs (largement relayés par les réseaux sociaux), qui ont dissuadé une majorité de Sri Lankais de voter pour un homme dont le bilan économique est, en outre, des plus mitigés.
Deuxièmement, Rajapakse a échoué dans ses efforts de fraude électorale. Par ailleurs, l’armée, faisant preuve d’une belle indépendance, a refusé d’appliquer l’état d’urgence que Rajapakse a souhaité décrété, en catastrophe, au vu des résultats électoraux. Le plus surprenant est que Rajapakse ait pris le risque d’organiser des élections libres. Il est probable que, pris au propre jeu de sa propagande et manquant de repères quant à l’évolution de l’opinion publique, il ait surestimé sa popularité, et n’ait pas même envisagé la possibilité qu’il pouvait perdre.
Le scrutin de janvier 2015 a consacré autant la défaite de Rajapakse que la victoire de Maithripala Sirisena. Homme discret et peu connu du grand public avant l’élection, Sirisena comptait, au sein du SLFP dont il était secrétaire général, parmi les rares hommes politiques ayant conservé une relative intégrité.Il s’allie au candidat du parti d’opposition de droite (United National Party, UNP) Ranil Wickremesinghe, auquel il promet le poste de Premier ministre en cas d’élection, et emporte l’adhésion des nombreux partis représentant les ethnies minoritaires de l’île et d’un grand nombre d’organisations de la société civile. L’architecte de cette "union sacrée démocratique" n’est autre que Chandrika Kumaratunga, l’ex-présidente revenue en politique afin de faire barrage à une nouveau mandat de Rajapakse.
Le couple Sirisena-Wickremesinghe remporte donc l’élection présidentielle, puis les élections législatives six mois plus tard. Pendant un an, le duo travaille à la re-démocratisation du pays afin de revenir sur les dommages causés par les 10 ans de présidence Rajapakse. Des commissions indépendantes sont formées dans tous les grands domaines de l’administration, notamment pour assurer l'indépendance judiciaire, et l’indépendance du service public et de la police. La liberté de la presse et des médias est garantie par des nouvelles lois et la création de nouvelles institutions. Les membres de ces commissions sont eux-mêmes nommés par le Conseil constitutionnel, une instance présidée par le Président du Parlement. Ce système, déjà mis en place lorsque Mme Kumaratunga était présidente, mais démantelé par Rajapakse, confère à l’appareil judiciaire un regain d’indépendance, et consacre un fonctionnement transparent et l'indépendance des services publics et de la police. Une nouvelle révision constitutionnelle réintroduit la limite à deux du nombre de mandats présidentiels.
Le jeu des ombres et des lumières
La période de démocratisation ne dure pourtant qu’un temps. Alors que Sirisena s’était fait élire en promettant de mettre fin en 100 jours à l’"executive presidency" instaurée par Rajapakse, il prend goût au pouvoir. Il se laisse surtout convaincre par le clan Rajapakse de l’hostilité du Premier ministre à son égard. L’ancien résident et son entourage cherchent en effet à reprendre les manettes de l’Etat sri lankais après la défaite surprise de 2015. La proximité croissante des Rajapakse et de Sirisena explique que les nombreuses procédures judiciaires lancées contre l’ancien Président, désormais privé de son immunité, dans des affaires d’assassinat et de détournement de fonds publics, n’aboutissent pas.
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