La victoire du Parti démocrate progressiste à Taïwan, en résistance à l'impérialisme chinois, et la révolte des Iraniens face aux mensonges du régime des mollahs dans la frappe de l'avion ukrainien, aussi éloignés soient-ils géographiquement, sont révélatrices d'un même phénomène, pour Dominique Moïsi. Les pressions excessives exercées par les États ne sont pas sans limites, et l'attachement aux idéaux démocratiques est mieux partagé à travers la planète qu'on veut bien le laisser croire.
Itinéraire de Paris à Jérusalem. C'était le titre d'un récit de voyages publié en 1811 par François René de Chateaubriand. Plagiant Chateaubriand, devrait-on en ce début d'année 2020, parler d'un "Itinéraire de Taipei à Téhéran" pour bien saisir la complexité du monde et en rejeter les interprétations culturelles simplistes ?
La comparaison/opposition entre les événements qui viennent de se dérouler à Taïwan et en Iran est particulièrement éclairante. Au moment où Taïwan disait pacifiquement, par la voie électorale, "non" à la Chine, l'Iran disait "non" dans la rue au régime des mollahs. À Taïwan, Tsai Ing-wen était réélue triomphalement avec 57 % des voix et une majorité renforcée pour le DPP (le Parti Démocrate Progressiste). En remettant en cause le statut quo existant à Hong Kong, la Chine de Xi Jinping a jeté les habitants de Taïwan dans le "camp de la liberté". Ce qui ne signifie pas le parti de "l'indépendantisme". Le pouvoir en place à Taipei fait preuve de prudence. Mais, depuis les pressions grandissantes exercées par Beijing sur Hong Kong, les habitants de Taïwan se sentent un peu moins chinois et beaucoup plus taïwanais.
Mélange d'incompétence et de mensonge
Ils ont voté pour le statu quo et le maintien de la démocratie, l'État de droit et la liberté dans leur île. Les défilés pacifiques des partisans des deux grands partis qui se sont disputé le pouvoir, ont démontré de manière spectaculaire le contraste existant entre Taïwan, Hong Kong et la Chine de Beijing. Passion contenue par le respect de l'autre à Taïwan, violence entre les autorités et le peuple à Hong Kong , silence muselé à Beijing. Poutine a largement réussi à "dépolitiser" les Russes, même si la "Génération Poutine" commence à prendre ses distances avec un pouvoir qu'elle a toujours connu. La Chine de Xi Jinping a fait exactement l'inverse. Elle a "repolitisé" contre elle, si cela était encore nécessaire, la Chine de Taïwan. En Asie, la peur de la Chine continentale ne pousse pas seulement ses voisins à consolider les liens stratégiques qui existent entre eux. Elle conforte, de Taipei à Tokyo, la cause de la démocratie : parfait exemple d'un espoir fondé sur la peur.
En Iran, c'est exactement l'inverse. Un sentiment d'humiliation intense a débouché sur la colère et la violence. La destruction en plein vol par deux missiles iraniens d'un avion civil ukrainien et, plus encore, le mensonge accompagnant initialement cette erreur tragique ont conduit la nation à se retourner contre ses dirigeants. Quelques jours auparavant, pourtant, l'assassinat du général Soleimani avait réuni la nation derrière son État. Le mélange d'incompétence et de mensonge dont a fait preuve le pouvoir - alors que la plupart des victimes (près de 200) étaient iraniennes ou d'origine iranienne - était tout simplement trop grand. Il est trop tôt pour savoir si cette tragédie sera pour le régime iranien l'équivalent de ce que fut pour l'URSS le drame de Tchernobyl. Se traduira-t-elle par une perte de confiance irrémédiable en un pouvoir qui provoque par son incompétence la mort de ses propres citoyens ?
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