La question de ce que les démocraties sont prêtes à faire pour défendre les valeurs qu’elles professent est à nouveau posée vingt-sept ans après Srebrenica. Comme la Bosnie à l’époque - en dramatique décalage avec un continent qui entendait jouir d’une paix retrouvée - l’Ukraine estime ne pas se battre simplement pour sa survie mais pour une certaine idée de l’ordre international. La crainte que peut avoir Kyiv, comme Sarajevo à l’époque, est qu’une certaine fatigue s’installe au sein des gouvernements comme des opinions à mesure que l’on s’habituera à la découverte de charniers et de massacres.
Si la guerre est amenée à durer, nul doute que des voix de plus en plus nombreuses se feront entendre pour retourner à une forme de normalité avec la Russie. Le débat sur l’efficacité des sanctions est d’autant plus voué à s’intensifier que celles qui ont été prises assument de toucher l’ensemble de la population. Ce choix n’est pas sans rappeler l’embargo voté par l’ONU (Russie comprise, la Chine s’abstenant) en 1992 contre la RFY. À l’époque, il s’agissait d’adresser un message au peuple serbe, au minimum pour lui signifier son désaccord, au mieux pour l’inciter à se retourner contre Milosevic. Or il est douteux que ces deux objectifs aient été atteints, même si les Serbes ont fini par renverser Milosevic en octobre 2000 après une décennie de ruine économique et morale. Et la société russe est encore plus isolée du débat politique international que ne l’était celle de la Serbie à l’époque.
Conclusion
Ces parallèles nous conduisent à deux conclusions.
La première concerne les buts de notre soutien à l’Ukraine. À ce stade de la guerre, une défaite militaire totale de Moscou est un objectif que l’on peut décemment se fixer, même sans le dire ouvertement. La Russie ne s’arrêtera pas sans être arrêtée (monstruosités comprises), et l’issue politique découlera de la situation militaire. C’est aussi la seule façon d’avoir la main sur la sortie de conflit, à la fois pour éviter d’éventuelles exactions commises dans l’autre sens, mais aussi un compromis de type Dayton - pour lequel on aurait tordu le bras de Kyiv - bancal, forcément temporaire et ouvrant la porte à d’autres conflits futurs, et donc à d’autres tragédies.
La Russie a peut-être en mémoire l’attitude de l’OTAN en 1999, lors de la prise de l’aéroport de Pristina par ses parachutistes : au commandant des forces de l’OTAN lui demandant de le reprendre immédiatement, l’officier britannique en charge des forces locales avait répondu par une réplique restée dans l’histoire : "mon général, je ne vais pas initier la Troisième Guerre mondiale pour vous". Si c’est le cas, il importe de renverser la perception russe, en prenant des risques mesurés.
La seconde nous ramène aux Balkans contemporains et à la politique de l’Union européenne dans cette région : à l’heure de la renaissance, localisée mais aidée par Moscou, du nationalisme serbe, tout ce qui se passera sur le théâtre ukrainien aura un impact, direct ou indirect, sur cette périphérie immédiate de l’Union. Au-delà du sort de l’Ukraine et de la Moldavie, l’UE gagnerait donc à repenser d’emblée, et de manière urgente, l’ensemble de sa politique de voisinage.
COPYRIGHT : Anatolii STEPANOV / AFP
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