Selon cette théorie, expliquée par Claude Le Pen dans un billet pour l’Institut Montaigne, il faudrait qu’une partie suffisamment importante du pays soit touchée par le virus pour commencer à rendre la population immune à la pandémie (tant qu’un vaccin n’existe pas, l’immunité passe par la contraction de la maladie). Cette stratégie, qui pourrait poser de nombreux problèmes éthiques, ne semble pas être assumée. En effet, il n’y a pas eu de déclaration officielle de la part de l’exécutif suédois, contrairement à ce qu’a pu faire Boris Johnson au Royaume-Uni il y a quelques semaines.
Pour l’un des épidémiologistes actuellement les plus médiatisés en Suède, Anders Tegnell, rien ne permet de dire que la tactique d'immunité collective ait été adoptée par le gouvernement. Interviewé par le média national Svenska Dagbladet, il exclut les explications qui consistent à dire que l’État a précisément adopté cette stratégie : le gouvernement regarderait plutôt les façons de rendre la courbe la moins exponentielle possible, de façon à limiter le nombre de cas déclarés en simultané et donc à préserver les capacités du système de santé à répondre à la crise sanitaire. Le chaos ne s’y ferait pas encore sentir, et ne devrait pas se produire à l’avenir. Un des atouts de la Suède face à la pandémie est la faible densité de sa population qui peut contribuer à limiter la diffusion du virus. Avec 25 personnes par kilomètre carré, contre 120 en France ou 206 en Italie, la Suède est l’un des pays à la plus faible densité en Europe. Et Stockholm, la ville de loin la plus dense du pays, compte deux fois moins d'habitants au kilomètre carré que New York et 4 fois moins que Paris.
Mais comme le souligne un article de décryptage du cas suédois publié par Le Monde, les experts sont bien loin d’être tous d’accord. Ils sont nombreux à rappeler que les hôpitaux suédois étaient déjà sous pression avant les débuts du coronavirus, avec 2,4 lits pour 1 000 habitants (526 lits au total en réanimation), soit le chiffre le plus faible de l’OCDE.
Débat entre experts, mais aussi prises de position des politiques... Alors que les médias sont de plus en plus alarmistes, les partis politiques d’opposition ne cherchent pas à profiter de la situation. En témoigne par exemple un article récent du journal régional du sud Sydsvenskan qui donne une tribune à la Chrétienne-démocrate Ebba Busch, qui essaye de comprendre les choix du gouvernement sur la base d’explications scientifiques. Et du côté des Démocrates de Suède, l’atmosphère est particulièrement calme. Le chef de ce parti d’extrême droite, Jimmie Åkesson, n’a pas saisi l’opportunité de critiquer le gouvernement minoritaire de coalition entre sociaux-démocrates et verts (malgré sa percée à l’occasion des élections législatives de 2018, n’ayant offert de majorité à aucun des blocs traditionnels, une alliance de la droite a finalement été écartée après des mois de discussions entre centristes et libéraux). Au contraire, M. Åkesson a expliqué dans le tabloïd de centre-droit Expressen qu’il fallait réfléchir à des mesures économiques réalistes puis a insisté à la télévision sur leur urgence, tout en rappelant qu’au fond, tous les politiques étaient d’accord pour dégager un consensus.
À l’étranger en tout cas, la Suède étonne voire inquiète. Le quotidien britannique The Guardian a retenu l’attention en reprenant l’expression "roulette russe" dans le titre de son article, une idée parfois utilisée par les experts pour illustrer le risque pris par la Suède. Nous verrons dans les prochains jours si le gouvernement et les experts sur lesquels il s’appuie ne font que gagner du temps, ou si la Suède a véritablement décidé d’écrire une histoire très différente de celle du reste du monde.
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