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23/01/2015

Réaffirmer la laïcité, pilier de notre "vivre-ensemble"

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Réaffirmer la laïcité, pilier de notre
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Les attentats de janvier interrogent avec violence un des fondements de notre pacte républicain : le principe de laïcité. Décryptage au lendemain des annonces du gouvernement sur le rôle de l'école et la laïcité, et retour sur nos propositions issues de notre publication Faire vivre la promesse laïque (publiée en mars 2013).


Dix ans bientôt après les émeutes de 2005 qui ont débuté à Clichy-sous-Bois et à Montfermeil, la France se trouve plus que jamais confrontée à la radicalisation des discours et des actes. Dès lors, ce sont toutes les dimensions qui permettent de "faire société" qui sont interrogées : le logement et la rénovation urbaine, l’éducation, l’emploi, la sécurité, le rapport au politique comme au religieux.

Dans la continuité de ses travaux sur la politique de la ville, où le débat public s’envenime autour des tensions entre partisans du communautarisme et défenseurs du modèle français d’intégration, l’Institut Montaigne souhaite rappeler les conclusions de sa note Faire vivre la promesse laïque (qui fait suite à l’ouvrage Banlieue de la République publiée avec Gilles Kepel en 2011). Ce travail est le fruit d’échanges avec des représentants religieux, des chercheurs et des fonctionnaires.

La laïcité, pierre angulaire du pacte républicain

Comme l’a rappelé le Conseil d’État, "il n’existe pas de définition de la laïcité" et "peu de concepts ont reçu des interprétations aussi diverses"(1) : consacrée à l’article premier de la  Constitution du 4 octobre 1958, le régime de la laïcité relève d’un corpus juridique épars auquel participe notamment, mais non exclusivement, la loi du 9 décembre 1905.

Elle est cependant un principe fondateur de la République, un pilier sur lequel repose le "vivre ensemble". De fait, la laïcité se définit comme l’application de deux principes : la neutralité des collectivités publiques et la séparation des Églises et de l’État, d’une part ; la liberté de culte, d’autre part.

L’absence de définition exhaustive de la laïcité permet une grande souplesse dans l’application de ses principes. Cette malléabilité a rendu possible l’intégration de religions nouvelles au sein de la  société française ainsi que l’adaptation aux nombreuses évolutions sociales du 20e siècle, parmi lesquelles la sécularisation, la démocratisation de l’enseignement ou encore l’évolution du paysage religieux.

L’Institut Montaigne a formulé quatre séries de propositions qu’il souhaite réaffirmer dans le débat public :

1) Soutenir les valeurs laïques dans les territoires

Si le principe de laïcité doit évidemment être pensé à l’échelle nationale, son application doit être déclinée au plus près du terrain et des problématiques locales. La promotion de solutions pratiques doit donc être à la charge des acteurs locaux, élus, responsables religieux et associations. Il s’agit là d’un principe central à la mise en œuvre, à la bonne compréhension et à la vigueur de la laïcité aujourd’hui.

=> Les propositions de l’Institut Montaigne pour réaffirmer les valeurs laïques au niveau local :
- réunir le corpus de textes qui se rapportent à la laïcité, puis le diffuser et l’expliquer à l’ensemble des agents des trois fonctions publiques ;
- soutenir la création ad hoc d’organes municipaux de concertation qui peuvent fournir des espaces de dialogues et contribuer à trouver des compromis adaptés à la vie communale quotidienne ;
- mettre un site Internet à disposition des élus locaux pour leur permettre de partager les bonnes pratiques, sous la direction du ministère de l’Intérieur ou de l’Association des maires de France.

2) Faciliter l’apprentissage de la laïcité dès l’école primaire

L’école, principal vecteur d’assimilation dans la République, est devenue un sujet emblématique de débats sur la laïcité : autrefois le port de signes religieux et la cantine scolaire, aujourd’hui la prévention de la radicalisation religieuse cristallisent les débats. En effet, "c’est dans l’enceinte scolaire que s’articulent les impératifs de la liberté de conscience et les exigences de neutralité propres au service public. L’apprentissage des valeurs laïques qui permettent le vivre ensemble se fait dès la petite enfance et l’école primaire en est le creuset" (2).

Le gouvernement vient ainsi d’annoncer une série de mesures organisées autour de quatre axes pour réaffirmer la place de l’école, "creuset de la citoyenneté" mais dont la mission d’égalité a été entamée par "l’accroissement des inégalités(,) la prévalence du déterminisme social (et) l’incapacité collective à prévenir le décrochage scolaire endémique d’une partie de notre jeunesse" (3).

En effet, il existe des réponses d’ordre social à apporter aux tensions autour de la laïcité pour pacifier les relations sociales, réaffirmer la place de l’État dans les banlieues et favoriser le désenclavement de ces territoires par des politiques de lutte contre l’échec scolaire et d’aide à l’insertion professionnelle notamment.

L’institution scolaire doit ainsi veiller à ce que soient respectés les principes essentiels de la société française : les valeurs laïques doivent être fermement rappelées dès l’école primaire, tout en conservant leur souplesse d’application.

=> Les propositions de l’Institut Montaigne pour renforcer l’apprentissage de la laïcité :
- mieux former les fonctionnaires au contact du public, et particulièrement les enseignants, pour leur permettre d’appréhender les enjeux de la laïcité ;
- associer systématiquement les parents et les familles, en soutenant les outils de dialogue entre l’école et les familles, comme la "Mallette des parents" ;
- ne plus transiger sur l’assiduité ;
- supprimer les ELCO (enseignements des langues et cultures d’origine), dispositif qui "relève d’une logique communautariste (et) va souvent à l’encontre de l’intégration des jeunes issus de l’immigration" (4), pour les remplacer progressivement par d’autres structures comme des associations agréées ou des cours de langue dans le cadre de l’Éducation nationale, etc.

3) Construire un islam de France

Religion dont la présence durable sur le territoire métropolitain est la plus récente, l’islam s’organise progressivement mais non sans difficultés. Son organisation est un enjeu essentiel qui participe de la réalité du "vivre ensemble" dans la République. Deux défis en particulier doivent être adressés :
- la mise en place d’instances réellement représentatives : le Conseil français du culte musulman (CFCM) est une instance divisée qui ne répond pas aux questions concrètes que se posent les musulmans aujourd’hui ;
- la formation des imams : l’offre de formation théologique musulmane en France reste pauvre. Il importe donc d’en encourager le développement au sein des universités, en s’inspirant par exemple des efforts menés en ce sens en Allemagne.

4) Ouvrir une réflexion sur les lieux de culte en France

La construction et la gestion des lieux de culte se heurtent à des difficultés de financement mais aussi à de nombreuses incompréhensions. Si ces problématiques touchent particulièrement l’islam et le protestantisme évangélique, toutes les religions sont concernées.

Un audit des lieux de culte devrait être réalisé en France par les services du ministère de l’Intérieur, afin de :
- cartographier l’ensemble des lieux de culte présents sur le territoire national (fréquence d’utilisation, état de salubrité et de sécurité, etc.) ;
- évaluer les besoins en lieux de cultes complémentaires et dresser une liste des lieux inutilisés ;
- étudier des pistes d’action concrètes avec les représentants des cultes, comme la reconversion de certains lieux inutilisés ou la construction de nouveaux lieux de culte.
Pour être menées à bien, ces propositions doivent être étudiées dans le cadre d’un débat serein et d’une consultation des différents acteurs, dans un esprit de concertation et de compréhension.

Liste des personnes auditionnées dans le cadre de la note Faire vivre la promesse laïque

- Monsieur Guy Arcizet, ancien Grand Maître du Grand Orient de France ;
- Monsieur Claude Baty, Président de la Fédération protestante ;
- Madame Florence Bergeaud-Blackler, Anthropologue, Marie Curie fellow du Laboratoire d’Anthropologie des Mondes Contemporains (LAMC), Université Libre de Bruxelles ;
- Monsieur Gilles Bernheim, Grand Rabbin de France ;
- Monsieur Houari Bouissa, Adjoint au maire de Tourcoing, historien et chercheur sur les questions de laïcité et d’Islam ;
- Monsieur Guy Carcassonne, Professeur en droit public à l’université de Paris X-Nanterre ;
- Monsieur Eric de Labarre, Secrétaire général de l’Enseignement catholique ;
- Monsieur Jean Glavany, ancien Ministre, député des Hautes-Pyrénées ;
- Monsieur Bernard Godard, Consultant auprès du Bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur ;
- Monsieur Gilles Kepel, Professeur à l’IEP de Paris, membre de l’Institut universitaire de France ;
- Monsieur Xavier Lemoine, Maire de Montfermeil ;
- Madame Maryvonne Lyazid, Adjointe du Défenseur des droits, vice-présidente du Collège chargé des discriminations et la promotion de l’égalité ;
- Monsieur Tareq Oubrou, Théologien, Grand Imam de Bordeaux ;
- Monsieur Djelloul Seddiki, Directeur de l’Institut de théologie El Ghazali (Grande mosquée de
Paris).

(1) Conseil d’Etat, Un siècle de laïcité, 2004.
(2) Institut Montaigne, Faire vivre la promesse laïque, mars 2013.
(3) Ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, « Onze mesures pour une grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République », 22 janvier 2015.
(4) Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, Rapport au président de la République remis par Bernard Stasi, décembre 2003.

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