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02/02/2016

Mesurer les inégalités : une démarche toujours plus nécessaire

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Mesurer les inégalités : une démarche toujours plus nécessaire
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Près de dix ans après la première enquête "Trajectoires et Origines" (TeO), conduite conjointement par l'Ined et l'Insee, une version actualisée a été publiée le 13 janvier dernier. Elle expose les résultats d'un travail de recherche dont l'ampleur est inédite en France. La dernière enquête d'envergure analysant l'intégration des immigrés et de leurs descendants remonte à 1992. Elle n'avait que très peu examiné les dynamiques discriminatoires qui les touchent.

L’enquête "Trajectoires et Origines" contribue à mieux mettre en lumière et à objectiver les défaillances de notre modèle d’intégration, une démarche à laquelle l’Institut Montaigne a également pris part : dix ans après la publication de ses premiers travaux consacrés à la reconnaissance et à l’intégration des minorités, le rapport Dix ans de politiques de diversité : quel bilan ? (septembre 2014) et l’enquête de Marie-Anne Valfort mesurant les discriminations à l’embauche à raison de la religion (octobre 2015) s’inscrivent dans le cadre cette réflexion.

"Trajectoire et Origines" : des constats alarmants

Fruit d’une enquête réalisée entre l’automne 2008 et février 2009 auprès de 22 000 personnes, "Trajectoires et Origines" s’intéresse à l’articulation entre origines et discriminations pour les populations vivant sur le sol français. Ces travaux entendent mesurer les effets de l’origine dans les principaux domaines de la vie sociale (éducation, accès à l’emploi, aux services, à la santé et au logement) et ce pour les primo-arrivants comme pour leurs enfants. Tout en cherchant à identifier les mécanismes qui font obstacle à l’intégration, l’enquête analyse aussi les processus de transmission et de reproduction sociale d’une génération à l’autre.

Ces résultats sont édifiants : de chapitre en chapitre, les mêmes groupes ethniques, et en particulier les minorités dites "visibles", apparaissent comme les plus désavantagés. Ainsi "les risques de ne posséder aucun diplôme du secondaire sont plus élevés pour les descendants de migrants originaires du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne", un enfant de parents nés en Turquie aurait 27% de risques d’être au chômage, contre 8% pour la population identifiée comme "majoritaire". En 2008, parmi les fils d’immigrés interrogés, 48% seulement étaient titulaires du baccalauréat, contre 59% des garçons de la population française dans son ensemble. Ils étaient 24% (contre 16%) à être sortis du système éducatif sans diplôme du secondaire, ce taux atteignant 30% parmi les fils d’immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique sahélienne, centrale ou guinéenne, et 35% chez les fils d’immigrés venus de Turquie.

Un phénomène discriminatoire qui pèse plus durement sur les fils que les filles d’immigrés

Comme le démontrait l’enquête de Marie-Anne Valfort, qui a mesuré une discrimination bien plus prononcée à l’égard des musulmans – que des musulmanes – pratiquants, l’enquête "Trajectoires et Origines"  constate de profondes différences – à l’école comme dans le monde du travail – entre fils et filles d’immigrés.

Alors que parmi les immigrés dits de "deuxième génération", les hommes occupent des situations moins favorables que ceux de la première génération, les femmes ont des situations bien meilleures que celles des femmes migrantes. Éclairant plus précisément cette différence, l’enquête TeO observe que les fils d'immigrés "ont, dès l'école primaire, de plus grandes chances de redoublement, et, plus tard, des taux supérieurs de sortie du système scolaire sans aucun diplôme".

La faute à l’école ?

Selon l’enquête, les garçons "immigrés de deuxième génération" se disent davantage que les filles faire l’objet de "traitements injustes fondés sur leur origine" lors de l’orientation scolaire, "ou dans la façon dont les agents scolaires s’adressent à eux". En raison d’un échec scolaire massif, ils peinent à s’insérer dans la société et accumulent les indicateurs d’exclusion. Un phénomène que notre système éducatif échoue à enrayer.

Les travaux menés par Yaël Brinbaum et Jean-Luc Primon, qui ont tous deux participé à l’enquête TeO, associent le sentiment d’injustice à l’école et l’origine migratoire. Les garçons déclarent ainsi avoir eu le sentiment d’être discriminés une fois et demie à deux fois plus que les filles, principalement sur la question de l’orientation. Un constat qui corroborerait, d’après les auteurs, l’hypothèse selon laquelle le désavantage qu’ils subiraient sur le marché de l’emploi "relèverait d’un fonctionnement discriminatoire de l’école". Le système éducatif français constitue donc un rouage essentiel dans la prégnance de discriminations en France.

Un constat dressé par l’Institut Montaigne, dans son rapport Dix ans de politiques de diversité : quel bilan ?, qui faisait de l’éducation, et plus particulièrement de la petite enfance et de l’école primaire, l’une de ses priorités.

Enquêtes et études statistiques : un préalable indispensable à la lutte contre les discriminations

Dans leur conclusion, les auteurs de l’enquête TeO insistent sur la nécessité de "recueillir, de façon plus systématique, les informations qui permettent d’identifier les immigrants et leurs enfants". La loi française interdit néanmoins de collecter toute information qui ferait apparaître "directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses".

Cette "invisibilité statistique", l’Institut Montaigne la soulignait déjà dans une note publiée en 2004, Ni quotas, ni indifférence. L’entreprise et l’égalité positive. Elle constitue un frein réel à l’identification des obstacles à l’intégration à l’œuvre dans notre société. Inciter les employeurs du secteur privé comme du secteur public à mesurer la diversité ethnique de leur personnel et à publier ces résultats permettrait ainsi de mieux connaître et de mieux comprendre les mécanismes discriminatoires (propositions 1 et 2 du rapport Dix ans de politique de diversité : quel bilan ?). Alors que "proclamer l’égalité des droits ne suffit plus à réaliser l’égalité des chances", la mesure régulière des inégalités demeure un préalable indispensable à leur réduction.

Par Charlotte Groult pour l’Institut Montaigne

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