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17/12/2014

Les 35 heures : efficaces et peu coûteuses? Notre réaction en quatre points

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Les 35 heures : efficaces et peu coûteuses? Notre réaction en quatre points
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Le rapport fait au nom de la Commission d'enquête sur l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail, publié hier, mardi 16 décembre, dresse un constat plutôt positif de la mise en place des 35 heures.

L'Institut Montaigne apportait son point de vue en octobre dernier dans un rapport intitulé Temps de travail : mettre fin aux blocages : les salariés français à temps plein travaillent moins que tous leurs voisins européens, dans des proportions inquiétantes, quelle que soit l'échelle de temps considérée : hebdomadaire, annuelle ou sur la durée totale d'une carrière.

Quatre questions à Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne.

1/ Baisser le temps de travail serait un moyen efficace de lutter contre le chômage ?

Les faits parlent d’eux-mêmes : nous avons aujourd’hui un taux de chômage qui dépasse les 10 % de la population active alors que les salariés français à temps plein comptent parmi ceux ayant une des plus faibles durées de travail annuelles au monde. Les effets de moyen et long termes d’une réduction du temps de travail sur l’emploi ne semblent pas aller dans le sens d’un retour au plein emploi…

Peu d’études existent sur les effets des 35 heures sur l’emploi. L’estimation la plus optimiste est celle de l’INSEE réalisée en 2004 et qui conclue à une création de plus de 350 000 emplois de 1998 à 2002, dont 40 % induits par des dispositifs incitatifs de type allègements de charges. C’est cette estimation qui est reprise par le rapport produit par la Commission d'enquête relative à l'impact sociétal, social, économique et financier de la réduction progressive du temps de travail.

Pourtant, ces résultats ont depuis été largement remis en question, notamment par un rapport du Conseil d’analyse économique de 2007. Les auteurs de ce rapport, trois économistes reconnus, mettent en avant qu’aucune étude empirique ne permet de penser qu’une réduction de la durée du travail non subventionnée pourrait accroître l’emploi. Ils démontrent que ce sont en réalité les allégements de charges sur les bas salaires qui, en abaissant de façon massive le coût du travail peu qualifié, ont été les véritables vecteurs d’emplois au moment de la mise en place de la réduction du temps de travail. Selon ce rapport, la baisse de la durée légale de 39 à 35 heures a eu, au mieux, un impact très marginal sur l’emploi.

Les effets sur l’emploi d’une baisse des charges sur les bas salaires sont par ailleurs très documentés et on sait que des baisses de charges ciblées peuvent avoir un effet rapide et fort comme l’a montré le dispositif "zéro charges" (2008-2009) .

2/ L'allègement du temps de travail serait une politique peu coûteuse et efficace de lutte contre le chômage ?


La réduction du temps de travail n’est pas une politique de lutte contre le chômage efficace. Le nombre d’inscrits à Pôle Emploi n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui : 5 millions de chômeurs (y compris à temps partiel, mesure qui rend bien compte de la précarité).

Selon le Conseil d’analyse économique, le coût total de l’application des 35 heures dans le secteur privé est estimé à 12 Mds€ par an, résultant essentiellement des allègements de cotisations sociales mis en place. Dans les trois fonctions publiques, ce coût est essentiellement lié à l’impact budgétaire des créations d’emplois (évalué à près de 2,5 Mds€ de manière cumulée de 2002 à 2005). A ce coût, il faut ajouter 1,5 Md€ de coût des jours stockés sur les comptes épargne-temps ainsi que le coût des heures supplémentaires (1,4 Md€ par an pour la seule fonction publique d’État).

L’évaluation conduite par des économistes sur la baisse des charges sur les bas salaires a permis de mesurer l'impact du dispositif "zéro charges", créé en plein récession, de décembre 2008 à décembre 2009. Il permettait aux entreprises de moins de 10 salariés de bénéficier d'exonérations de cotisations patronales pour toute embauche (ou renouvellement de CDD) d'un salarié rémunéré en dessous de 1,6 fois le smic. Une diminution de 1 % du coût du travail a entraîné un accroissement de 2 % de l’emploi au bout d’un an et l’impact sur l’emploi apparaît dès 3 mois. J’insiste sur le fait que cette évaluation montre également que le coût net d’un emploi créé grâce à "zéro charges" avoisine zéro pour les finances publiques.

3/ La bonne productivité des salariés français aurait atténué les effets indésirables de l'allégement du temps de travail ?

La France est sixième dans le classement des pays de l’OCDE (données 2013) en termes de compétitivité par travailleur (après la Norvège, les Etats-Unis, le Luxembourg, la Belgique et au même niveau que l’Allemagne). Ces résultats sont bons, mais il est important de noter que la productivité horaire évolue très peu depuis les années 1960 contrairement aux Etats Unis ou à la Suède par exemple, alors que le nombre d’heures travaillées a largement baissé en France.

De plus, en raison du fort taux de chômage des jeunes et des seniors, 80 % des emplois sont occupés par les 25-54 ans, soit par les actifs les plus productifs et les plus à même de supporter des charges de travail importantes.

La note "Redresser la croissance potentielle de la France" publiée par le conseil d’analyse économique en septembre 2014 montre également que la croissance de la productivité française ralentit depuis la fin des Trente Glorieuses et a atteint depuis la crise de 2008 un niveau historiquement bas. Ce ralentissement s’explique par une combinaison de facteurs conjoncturels et structurels, notamment :
- le recul de la part de l’industrie dans la croissance du PIB (l’industrie étant un secteur où les gains de productivité sont très forts) ;
- les faibles dépenses en R&D qui représentent en France 2,26 % du PIB contre 2,40 % en moyenne pour les pays de l’OCDE et plus de 3 % en Allemagne et en Suède ;
- l’inadéquation entre les emplois et les formations : qu’il s’agisse des formations générales ou professionnelles, la mauvaise adéquation entre les emplois et les formations est un obstacle à l’adoption de nouvelles technologies. Alors que les emplois sont de plus en plus qualifiés, seuls 14 % des Français ont un diplôme de niveau supérieur à bac+2.

4/ Une nouvelle baisse du temps de travail serait souhaitable pour notre économie ?


Une nouvelle baisse du temps de travail n’aurait aucun  effet positif, ni sur le chômage, ni sur la compétitivité.

Diminuer le temps de travail ne permet pas de lutter contre le chômage : l’emploi est une donnée en mouvement et non pas un "gâteau" dont les parts seraient partagées entre les actifs. Lors de la mise en place des lois sur les 35 heures, ce sont les allégements de charges sur les bas salaires qui, en abaissant de façon massive le coût du travail peu qualifié, ont été les véritables vecteurs d’emplois.

De plus, à l’heure où la France traverse une crise économique majeure et doit s’inscrire résolument dans la compétition internationale, baisser à nouveau le temps de travail serait une erreur grave. Le temps de travail effectif est en effet une composante déterminante de la production, et donc de la croissance, ainsi qu’un levier majeur de compétitivité. La France est confrontée depuis plusieurs années à une baisse de compétitivité, et à une croissance atone. Le faible nombre d’heures travaillées comme la dérive du coût salarial horaire durant ces dix dernières années figurent parmi les facteurs ayant le plus handicapé l’économie française.

L’augmentation du temps de travail sans compensation salariale totale, en permettant une baisse du coût du travail, aurait un effet fort sur la compétitivité et la production du pays à court terme et devrait avoir un effet sur l’emploi à moyen et long termes. C’est ce que nous proposons de mettre en place dans notre rapport Temps de travail : mettre fin aux blocages, paru en octobre 2014.

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