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16/03/2017

[Anti-brouillard] Réduction du nombre de fonctionnaires : cinq questions pour faire le point

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[Anti-brouillard] Réduction du nombre de fonctionnaires : cinq questions pour faire le point
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Pour que l'action publique gagne en efficience et redevienne soutenable financièrement, la réduction des effectifs des fonctions publiques est un levier souvent envisagé et actionné depuis dix ans au moins. Des candidats à la présidentielle en font encore cette année un pilier de leur programme. Quels sont leurs projets ? A quelles conditions sont-ils réalisables ? Qu?en est-il ailleurs en Europe ?

Cinq questions pour faire le point.

En valeur absolue, la France compte le plus grand nombre de fonctionnaires en Europe. C’est notamment pour cette raison que la question de la rationalisation du fonctionnement administratif se pose depuis plusieurs années déjà. A la révision générale des politiques publiques (RGPP) lancée par Nicolas Sarkozy en 2007 a succédé la modernisation de l’action publique (MAP) sous le gouvernement de François Hollande, avec pour objectif commun, entre autres, la maîtrise voire la réduction des effectifs de la fonction publique. Améliorer les services proposés aux usagers, réaliser les économies structurelles nécessaires, répondre aux besoins de modernisation : ces objectifs ambitieux dépendent en effet directement de la structure des emplois de l’État.

Que proposent les candidats ?

Emmanuel Macron et François Fillon sont les deux candidats qui projettent une réduction importante du nombre de fonctionnaires sur la durée du quinquennat. Leurs propositions diffèrent cependant en termes de nombre de suppressions prévues et de répartition des postes ciblés.

François Fillon propose la suppression d’environ 500 000 emplois publics en cinq ans. Cette mesure vise les postes compris comme étant des emplois de la fonction publique, sur ses différents versants, c’est-à-dire l’État, les collectivités territoriales et le secteur hospitalier, à la fois fonctionnaires et contractuels. Cependant, dans son projet, les secteurs de la justice, de la police et de la défense seront protégés.   

Emmanuel Macron estime quant à lui possible de supprimer 120 000 postes de fonctionnaires sur la durée du quinquennat : 70 000 venant des collectivités et 50 000 de l’État. Notons qu’il propose en parallèle la création de 4 000 à 5 000 postes sur le périmètre de l’Éducation nationale.

De leur côté, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon critiquent fermement les suppressions prévues par leurs rivaux et ne souhaitent pas faire de la réduction de la dette publique une priorité. En ce sens, le premier prévoit le recrutement de 40 000 enseignants et le second propose de créer 200 000 postes de fonctionnaires pour faire du service public "le bras armé de la République".

Enfin, Marine Le Pen propose de maintenir le statut de fonctionnaire et d’en durcir les contours, sans pour autant s’exprimer précisément sur une éventuelle restructuration de l’emploi public.

Quelles sont les économies budgétaires projetées ?

François Fillon et Emmanuel Macron ont pour objectif d'accroître l’efficacité du fonctionnement de l’administration publique tout en réduisant la dette publique. A partir du coût moyen d’un agent public entrant, il est possible d’estimer les gains financiers qu'impliquent leurs propositions de la façons suivante :

 

Candidat

Postes supprimés en 5 ans

Postes supprimés par an

Secteurs ciblés

Économies réalisées

François Fillon

500 000

100 000

État, collectivités territoriales, secteur hospitalier (sans précisions sur les périmètres touchés)

14 Md€ par an une fois l’ensemble des suppressions opérées

Emmanuel Macron

120 000

24 000

70 000 postes des collectivités locales et 50 000 postes de l’État

3,36 Md€ par an une fois l’ensemble des suppressions opérées

Quel processus pour que ces propositions soient appliquées ?

Le levier principal pour atteindre cet objectif de suppression est le non-remplacement systématique des départs à la retraite.

Au sein de l’État, l’objectif budgétaire de non-remplacement est fixé par la loi de finances chaque année, et décliné selon les politiques publiques. Le cadre actuel de la loi de finances semble suffisant.

Pour le secteur hospitalier, la limitation des remplacements des départs à la retraite peut être atteinte à travers la loi de financement pour la Sécurité sociale et la fixation par le gouvernement de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM, plafond de dépense à ne pas dépasser).

Pour les collectivités territoriales, la réduction est plus difficile à mettre en œuvre. En effet, la Constitution reconnaît le principe de “libre administration” des collectivités et l’État ne peut donc leur imposer un mode de gestion.

Il faut toutefois rester vigilant au fait que la principale difficulté dans la mise en œuvre de la proposition concerne le risque de conflit social à grande échelle.

Ces projections sont-elles réalistes ?

Ces suppressions s’inscrivent dans la même logique de non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux que la RGPP, conduite entre 2008 et 2012. La Cour des comptes estime que cette politique a permis une économie de l’ordre de 840 M€ par an. Bien qu’elle se soit concentrée sur le personnel de l’État, alors que François Fillon et Emmanuel Macron proposent d’y inclure d’autres secteurs, elle n’avait permis qu’une réduction de 6,6% des effectifs de l’État, soit une suppression de 144 000 postes seulement.

Dans cette perspective, la proposition de François Fillon apparaît très ambitieuse. Au delà de la répartition des postes supprimés par secteur, qui demande encore à être précisée par le candidat, il est impératif de tenir compte des impacts macro-économiques induits d’autant plus que l’interchangeabilité des postes pose un défi conséquent. Avec une réduction du nombre de postes quatre fois plus rapide que celle prévue par Emmanuel Macron, la mesure du candidat des Républicains imposerait un recours plus important, au moins temporairement, à des contractuels. Néanmoins, sa proposition vise l’ensemble des emplois publics et inclut donc ces mêmes contractuels dans la plan de réduction des effectifs. Ainsi, même avec une augmentation des heures de travail des fonctionnaires à 39 heures, la faisabilité d’une telle mesure pose question.

Pour les deux candidats, des aléas persistent lorsqu'il s’agit d’évaluer la performance des mesures proposées. En effet, le flux de départ à la retraite est difficile à estimer précisément, notamment du fait de la pyramide des âges impactant particulièrement l’État et le secteur hospitalier. Par ailleurs, le chiffrage réalisé ne prend pas en compte une éventuelle réforme des retraites, également proposée par François Fillon, qui aboutirait à repousser l’âge de départ à la retraite et minorera temporairement le flux des départs à la retraite dans la fonction publique.

Les autres pays Européens réduisent-ils le nombre de leurs emplois publics ?

L’objectif de réduction du nombre de fonctionnaires a déjà été mis en œuvre dans les années 1990 dans certains pays : Canada, Italie, Finlande. Depuis la crise financière de 2008, d’autres pays ont cherché à réduire le nombre d’emplois publics : Royaume-Uni, Grèce, Portugal, Espagne. Dans la quasi-totalité des exemples cités, les mesures ont été prises dans un contexte de volonté de maîtriser un déficit public perçu comme excessif ou de crise budgétaire grave.

La Suède et le Danemark sont allés plus loin dans cette logique et ont mis en oeuvre une suppression quasi totale du statut de la fonction publique. En 1993, la Suède a supprimé pour l’ensemble des fonctionnaires l’emploi à vie et l’a remplacé par un contrat d’emploi similaire au secteur privé. Au Danemark, la réforme mise en place en 2001 a limité le statut à certaines catégories de fonctionnaires (haut fonctionnaires, police, justice, défense), le statut des autres fonctionnaires étant régis par des dispositions contractuelles.
 

Pour aller plus loin :

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