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17/04/2019

Réforme des retraites : le faux débat autour de l'âge de départ

Réforme des retraites : le faux débat autour de l'âge de départ
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Parmi les grands chantiers de l’exécutif pour l’année 2019 figure la réforme des retraites. Une réforme politiquement complexe, rendue d’autant plus sensible par le contexte social et le mouvement des Gilets jaunes. L’âge de départ à la retraite cristallise ainsi les débats : comment garantir la viabilité du système ? Quelle réforme permettra de restaurer la confiance des citoyens dans leur système de retraites, tout en prenant en compte les impératifs financiers qui s’imposent à lui ? Victor Poirier, directeur adjoint des études à l’Institut Montaigne, nous livre son analyse.

Dans le cadre du grand débat national, la question de la réforme des retraites - qui devrait être majeure - n’a pas été l’un des sujets les plus discutés. Quels en sont les enjeux ?

Selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites de juin 2018, qui tiennent compte des évolutions démographiques et de différents scénarios de croissance, il manquera 5 milliards d’euros en 2022 pour assurer l’équilibre financier du régime des retraites. Cela est dû au double effet de la croissance démographique et de l’allongement de la durée de vie : il y a de plus en plus de retraités et de moins en moins d’actifs en proportion, donc de moins en moins de cotisations pour chaque retraité.

Il manquera 5 milliards d’euros en 2022 pour assurer l’équilibre financier du régime des retraites.

Le gouvernement ne souhaitant pas dépasser le seuil des 14 % de produit intérieur brut (PIB) de dépenses pour les retraites (la moyenne de l’Union européenne est à 10 %), comment répartir entre davantage de convives un gâteau de la même taille ? Face à cet impératif démographique, il est nécessaire de prendre des décisions.

Il existe trois leviers pour redresser le système des retraites : augmenter le montant des cotisations vieillesse, diminuer le montant des pensions ou augmenter l’âge de départ à la retraite. Dans un contexte de crise sociale - au sein du mouvement des Gilets jaunes, 65 % d’entre eux déclarent vivre des fins de mois difficiles - il paraît inconcevable de diminuer significativement les pensions. Dans un contexte de faible compétitivité, il paraît tout autant problématique d’augmenter les cotisations, sous peine de renchérir le coût du travail. Le seul levier restant est donc l’âge de départ à la retraite.

Le débat autour de cette réforme s’est de fait cristallisé sur la question de l’âge de départ à la retraite, avec une opposition entre les partisans de son recul et ceux qui estiment qu’il ne faudrait pas y toucher. Pensez-vous réaliste de reculer l’âge légal de départ à la retraite ?

La question de l’âge de départ à la retraite doit de toute façon être abordée, même si elle ne doit pas être la question centrale. Emmanuel Macron avait certes pris l’engagement, lors de sa campagne, de ne pas y toucher : néanmoins, aucune solution viable n’a été apportée en échange. Ce n’est pas un hasard si l’OCDE, qui a dévoilé la dernière version de son étude économique de la France le 9 avril dernier, préconise de relever l’âge de départ à la retraite afin de garantir la viabilité du système. 

L’idée d’un système de "bonus malus" visant à inciter les Français à travailler plus tard, sous peine de voir leurs pensions réduites, n’est qu’une manière détournée de repousser l’âge (réel) de départ à la retraite. En effet, certains retraités devront continuer à travailler jusqu’à ce qu’ils aient assez cotisé pour bénéficier d’une pension de retraite décente, et ce peu importe leur âge.

Il faut de plus casser les a priori, tant auprès des pouvoirs publics que des entreprises. 

  • Premièrement, nombreux sont les Français souhaitant continuer à travailler après 60 ans. Comme nous l’avions décrit dans le rapport Faire du bien vieillir un projet de société, les seniors qui restent en emploi se sentent en moyenne plus intégrés dans la société et sont en meilleure santé que ceux qui, au même âge, sont déjà partis à la retraite. La réforme des retraites doit constituer une opportunité de traiter le sujet de l’emploi des seniors : le taux d’activité des 60/64 ans reste très faible aujourd’hui en France (inférieur à la moyenne européenne de 10 à 12 points).
     
  • Cela nous amène à un deuxième a priori : il faut absolument encourager le monde économique à passer outre l’âge des salariés et à se concentrer sur leur motivation et leur expérience. Le monde de l’entreprise a tendance à croire que l’on ne peut plus travailler au-delà de 50 ans alors que les 50-55 ans possèdent un savoir-faire éprouvé que les plus jeunes n’ont pas. Retarder l’âge de départ à la retraite va de pair avec une valorisation du travail des plus âgés, sans quoi les pensions de retraite économisées seront transformées en indemnités chômage.

Quelle stratégie permettrait de faire avancer le débat et d’aller vers un système des retraites qui soit à la fois plus juste et viable ?

Sur le principe, la réforme qui s’annonce pose comme objectifs clairs la justice et la lisibilité, avec une unification des régimes de retraite aboutissant sur un système à points. Nous avions déjà mis en avant les vertus de cette idée : le manque de lisibilité du système actuel créant un "flou", lui-même source d’injustice sociale ressentie. Le problème réside dans le fait que cette réforme, en elle-même, ne permet pas d’assurer la santé financière du régime à long terme.

Une réforme systémique comme celle actuellement discutée n’a aucun effet réel sur la réduction des déficits à long terme. Il y a trois ans, nous avancions l’idée qu’il fallait d’abord assurer la viabilité financière du système actuel, par une réforme paramétrique portant l’âge de la retraite à 63 ans et la durée de cotisation à 43 ans, avant de réfléchir à une réforme de plus grande ampleur qui restructurerait tout le système. Cela est toujours pertinent aujourd’hui. 

Une réforme systémique n’est pas nécessairement la panacée, car elle risque de ne pas vouloir faire de déçus, et donc de ne pas affronter frontalement les problèmes dont notre système souffre.

De façon générale, une logique d’objectifs devrait primer sur une logique de moyens. Pour ce qui est des objectifs, nous devons aspirer à une meilleure lisibilité, une plus grande justice sociale et une viabilité du système sur le long terme. Se pose ensuite la question des moyens : une réforme systémique n’est pas nécessairement la panacée, car elle risque de ne pas vouloir faire de déçus, et donc de ne pas affronter frontalement les problèmes dont notre système souffre. Le message à porter dans le débat citoyen est le suivant : étant donnée l’équation démographique, plus il y aura de retraités et plus il faudra ajuster soit le montant des pensions, soit le niveau des cotisations, soit l’âge de départ à la retraite.

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