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Note
Janvier 2017

L’impossible
État actionnaire ?

Auteurs
David Azéma
Associé, Perella Weinberg Partners

David Azéma est vice-président de l’Institut Montaigne depuis 2017. Il est notamment l’auteur d’une note pour l’Institut Montaigne sur l’État actionnaire (2017).

David Azéma a rejoint Perella Weinberg Partners en tant qu’associé en 2017. Il a commencé sa carrière comme auditeur à la Cour des comptes en 1987. En 1993, après deux ans au cabinet du ministre du Travail, il a rejoint la SNCF où il a occupé les fonctions de chargé de mission à la direction de la stratégie, de conseiller du Président et de directeur des filiales et des participations. Il a ensuite occupé, au Royaume-Uni, les fonctions de Président de ICRRL (Intercontinental and Regional Railways Limited) puis de Président-directeur général d’Eurostar Group Ltd, filiale de la SNCF, de la SNCB et de Eurostar UK en charge du service à grande vitesse Eurostar. Il a rejoint le groupe VINCI en 2002 en tant que Directeur général délégué de VINCI Concessions. En 2008, il est revenu au sein de la SNCF comme Directeur Général délégué Stratégie & Finances avant d’être nommé Directeur Général Délégué du Groupe SNCF en 2011. En 2012, tout en restant au Comité Exécutif du groupe SNCF, il a pris la Présidence du Directoire du Groupe Keolis jusqu’en 2012. De 2012 à 2014, il a occupé le poste de directeur général de l’Agence des Participations de l’État. Entre 2014 et 2016, il a été Chairman Global Infrastructure Group, vice-président de la banque de financement et d'investissement pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique chez Bank of America Merrill Lynch. 

David Azéma est licencié en droit, diplômé de Sciences Po Paris et de l’ENA.

"La fonction d’actionnaire, qu’elle soit purement financière ou stratégique, n’est pas adaptée aux pouvoirs publics. Ce n’est ni une critique, ni un problème : c’est un fait qu’il convient d’assumer pour mettre fin à une ambiguïté contre-productive", David Azéma.


En ce début d’année 2017, les actualités autour de l’Etat actionnaire n’ont pas manqué : approbation - sous réserve - de la restructuration d’Areva, cession de titres d’Engie, OPA amicale de Safran sur Zodiac…Ces événements ont donné lieu à de nombreux commentaires, positifs ou négatifs, sur la gestion du portefeuille de l’Etat. 
 
Au-delà de ces réactions à chaud, David Azéma, vice-président de l’Institut Montaigne, met en lumière les contradictions irréconciliables entre les finalités et les règles qui régissent l’action publique et celles qui s’appliquent aux actionnaires. Il questionne la pertinence de la présence de l'État au capital d’entreprises commerciales.

Sans exclure que le contrôle d’une activité économique par celui-ci puisse se justifier dans certaines circonstances, cette note vise à montrer que la présence directe de l’État au capital d’entreprises cotées emporte, par nature, beaucoup plus d’inconvénients et de risques que de bénéfices. C’est pourquoi l’État devrait soit exercer un contrôle exclusif des activités qu’il contrôle, soit se retirer ou, à tout le moins, confier à une entité tierce la gestion de son portefeuille de titres.

 

Qu’est-ce qu’un État actionnaire ?

L’État actionnaire désigne l’intervention directe de l’État au capital d’entreprises commerciales. En France, le bras armé de ces interventions est l’Agence des Participations de l’État (APE), créée en 2004, et placée sous la tutelle du ministre de l’Economie et des Finances. Au 30 décembre 2016, la valeur des entreprises détenues par l’État à travers l’APE s’élève à 90 milliards d’euros (soit plus de 4 % du PIB). Sur ces 90 milliards d’euros, 59,7 milliards sont le fruit des 14 sociétés cotées (parmi lesquelles EDF, Engie, Orange ou encore ADP).

Participations de l’État au capital en % (2016)
EDF85,63 %
ADP50,63 %
Engie32,76 %
Areva28,83 %
Thalès25,97 %
Eramet25,66 %
Renault19,74 %
Air France KLM17,58 %
Safran14,00 %
PSA13,68 %
Orange13,45 %
Airbus10,94 %
Dexia5,73 %
CNP1,11 %

L’État peut-il et doit-il être présent financièrement au sein des entreprises ?

La logique de l’actionnariat…

L’actionnaire recherche la rentabilité. Ce “contrat” est énoncé aux dirigeants d’entreprises comme aux salariés : son objectif capitalistique est clairement assumé. Sans succès de l’entreprise, l’actionnaire se réserve le droit “d’abandonner”, c’est-à-dire de se retirer, et éventuellement d’investir dans une nouvelle entité en France comme à l’étranger.

Cette logique, que l’on peut qualifier de “capitaliste”, est la clé de la prise de participation des acteurs privés dans une entreprise. Elle peut s’accompagner d’un souhait de peser stratégiquement au sein de cette dernière, sans que ce soit systématique.

… peut-elle être assumée par l’État ?

Pour répondre à cette question, il suffit d’imaginer la réaction des citoyens devant un État retirant ses participations à une entreprise nationale pour investir à l’étranger, dans un secteur plus rentable.

  • Le principal obstacle à l’actionnariat public, dans une économie capitaliste et libérale, réside dans la contradiction entre la finalité et les règles de l’action publique et celles du secteur privé. L’État n’a pas la culture de l’actionnaire. Pouvoir de nommer et de révoquer des dirigeants, de fixer les rémunérations, de bloquer ou d’approuver des opérations en capital, de céder sa participation pour manifester une perte de confiance, autant d’actions qui font partie du quotidien des actionnaires et que l’État peut difficilement s’attribuer. A cela s’ajoute son aversion absolue à la prise de risque, qui est également en totale contradiction avec l’esprit même de l’actionnariat, ainsi qu’une profonde désynchronisation des deux mondes : quand le temps du politique et de l’administration est rythmé par les échéances électorales, celui des entreprises est tourné vers le cycle des résultats financiers.

… Bien d’autres raisons nourrissent cette incompatibilité

  • L’État n’a pas tous les droits d’un actionnaire. Le cadre juridique (celui du droit public) qui s’impose à l’État actionnaire français – en particulier lorsqu’il détient en direct ses participations – est souvent en contradiction avec le droit qui régit la vie des entreprises dans lesquelles il est investi (droit des sociétés ou droit boursier). L’État s’en trouve paradoxalement affaibli dans la gouvernance des entreprises de son portefeuille. Devant obéir à de multiples contraintes législatives ou politiques, il n’a pas l'agilité d’un actionnaire  normal.
  • L’État ne sera jamais considéré comme un actionnaire normal par les investisseurs comme par les dirigeants d’entreprises. De ce fait, la gouvernance de l’entreprise se trouve perturbée et ses capacités stratégiques obérées. Pour preuve, la simple présence d’un représentant de l’État au sein d’un Conseil d’administration conduit le plus souvent les administrateurs indépendants à faire taire tout sens critique vis-à-vis du management pour se solidariser avec lui, contre l’État.

"L’État n’est pas un "homo economicus" et ne le sera jamais : le vouloir actionnaire, c’est espérer de lui ce dont il n’est pas capable, ni responsable". David Azéma.

Les logiques de l’État et de l’actionnaire

Quel avenir pour l’État actionnaire ?

Regarder avec lucidité et sans idée préconçue la performance et l’utilité de l’État actionnaire ne peut que conduire à émettre de sérieux doutes sur la pertinence du maintien de son portefeuille.

La nécessité de s’interroger à ce sujet est définitivement confirmée par les derniers chiffres de l’APE : le portefeuille des actions cotées de l’État a subi en 2016 une baisse de 11,5 % de sa valeur, tandis que le CAC40 a progressé de  4,9 %. Sur l’année 2015, le portefeuille de l’État a connu une chute de 13,15 % de sa valeur, lorsque l’indice CAC 40 a affiché dans le même temps une hausse de quelque 8,53 %.

Partant de ces constats, et affrontant avec lucidité le paradoxe que la situation actuelle porte intrinsèquement en elle, quel avenir pouvons-nous dessiner pour l’État actionnaire ?

Pour l’Institut Montaigne, la présence de l"État dans les entreprises commerciales doit être fortement limitée, même si elle ne peut pas disparaître partout. Sa participation doit être repensée :

  • en étant orientée vers les entreprises dont les missions correspondent à celles de l’État ; non pas les entités répondant à des objectifs capitalistiques, mais celles qui ont au cœur de leur action des activités dites de service public ;
  • en intervenant seulement par l’intermédiaire d’une agence indépendante, protégée de toute forme d’intervention publique.

Cette note formule deux recommandations qui permettraient de résoudre la contradiction de l’État actionnaire et de lui définir de véritables objectifs, au service de l’action publique.

1
Déterminer quelles sont les entreprises ou activités aujourd’hui dans le portefeuille de l’État qui imposent un contrôle de l’État et définir des règles de détention et de gouvernance propres à ces objets
Détails

Ces entreprises devraient répondre à trois critères cumulatifs : produire des services considérés comme publics, être l’objet d'interventions permanentes du politique affectant leur gestion ou leurs équilibres financiers, avoir des ressources importantes provenant du contribuable et non du client

Leur capital devrait être entièrement détenu par l’État, qui devrait en consolider l’activité et définir une gouvernance ad hoc lui permettant de disposer effectivement du contrôle du conseil tout en préservant l’autonomie de gestion de l’entreprise. Leur pilotage devrait être assuré par une agence rattachée au Premier ministre.

2
Limiter la présence directe de l’État au capital des autres entreprises commerciales de son portefeuille à un nombre très limité de situations
Détails

Cette recommandation implique plusieurs décisions de premier ordre, à savoir :

  • engager un programme massif de cessions de participations publiques et/ou remettre ces participations en gestion à Bpifrance, sans contrainte de seuil de détention, et à des fins de rendement ;
  • mettre en place d’autres instruments nationaux ou européens que la détention de titres pour atteindre ses objectifs de stratégie industrielle.

Cette recommandation générale devra être adaptée pour tenir compte de certaines situations particulières et notamment celles où intervient un pacte d’actionnaire. Elle n’exclut évidemment pas que l’État conserve une capacité d’intervention exceptionnelle directe, en capital, pour faire face à une situation de crise.

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