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Note
Janvier 2019

IA et emploi en santé :
quoi de neuf docteur ?

Auteur
Laure Millet
Experte Associée - Santé

Laure Millet est experte associée en Santé à l'Institut Montaigne après avoir dirigé le Programme Santé puis le Pôle Cohésion sociale de l’Institut. 

Membre de la Chaire Santé de Sciences Po Paris, titulaire du Harkness Fellowship du Commonwealth Fund, elle est  aujourd'hui basée à l’Université de New York au sein du Langone Hospital.

Vous vous rendez à l’hôpital pour une opération du coeur ?

  • Dès la salle d’attente, vous êtes pris(e) en charge instantanément grâce à une solution d’intelligence artificielle (IA) qui va transmettre au secrétaire médical votre dossier médical numérique. Ainsi, vous ne patientez pas pendant de longues heures avant que l’on s’occupe de vous ;
     
  • Un logiciel de reconnaissance vocale met immédiatement à jour votre dossier selon les informations que vous lui fournissez : nouvelle adresse, traitements médicamenteux, nom de la personne qui viendra vous chercher lors de votre sortie, etc. Tous ces éléments permettront à l’hôpital de réaliser une prise en charge personnalisée et adaptée à votre situation médicale ;
     
  • Vous êtes ensuite transféré(e) directement par un(e) infirmier(e) vers votre chambre. À partir des données d’admission, un système d’IA aide à gérer les flux et la répartition des patients dans les différents services, et mobilise les ressources humaines selon les besoins du service de cardiologie. Cela vous évite une longue attente dans les couloirs du service ;
     
  • Une fois installé(e) dans votre chambre, une communication est établie avec votre chirurgien par le biais d’une e-consultation sur tablette électronique. La conversation est enregistrée et un algorithme analyse un éventuel problème cardiaque en fonction du ton de votre voix et de votre rythme respiratoire. Ceci permet d’anticiper et d’évaluer tout risque lié à l’anesthésie et à la prise en charge opératoire ;
     
  • Vous êtes ensuite emmené(e) au bloc. Un(e) infirmier(e) prend le temps de vous expliquer quelles sont les étapes pré et post-opératoires, leur durée et les procédures à suivre lors du réveil ;
     
  • Le ou la chirurgien(ne) et l’anesthésiste sont alors prévenu(e)s de votre arrivée au bloc, l’intervention peut commencer.
     
IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ? - scénario


Cela vous paraît futuriste ? Pourtant, ces innovations existent déjà et se mettent peu à peu en place à l’hôpital. Dans l’hôpital du XXIème siècle, l’ensemble des professionnels de la santé vont voir leurs métiers se transformer.

L’objectif de cette note est d’interpeller les pouvoirs publics sur la nécessité d’anticiper les effets de l’IA sur l’emploi en santé et de proposer une stratégie d’accompagnement. Elle vise également à déployer une méthodologie d’évaluation des effets du déploiement de l’intelligence artificielle et de la robotisation sur le secteur de la santé.

L’essor de l’apprentissage automatique ou machine learning. Celui-ci a permis des progrès considérables dans le développement d’algorithmes précis et dans l’augmentation de la puissance de calcul des machines. Par exemple lors d’une coloscopie, un système d’IA peut repérer des cellules cancéreuses, à l’instar d’un oncologue, parce qu’il a appris à reconnaître ce type de cellules.

Que peut nous apporter l’IA dans le domaine de la santé ?

La santé : un secteur prioritaire pour le déploiement de l’IA

En mars dernier, le président de la République soulignait le caractère stratégique de l’IA en santé lors de la remise du rapportDonner un sens à l’intelligence artificielle par le député Cédric Villani. Il annonçait que la santé figurerait parmi l’un des quatre secteurs identifiés comme prioritaire avec le transport, la défense et l’environnement. Ce caractère stratégique de l’IA en santé était à nouveau confirmé lors de la présentation du plan de transformation du système de santé "Ma Santé 2022", intégrant un important volet consacré au numérique. 

Les applications de l’IA en santé sont multiples et auront des effets sur l’ensemble du parcours de soins, de la pose de diagnostic à la décision de prise en charge thérapeutique, en passant par les essais cliniques et les examens médicaux. La récente création du Health Data Hub, une plateforme nationale sécurisée de collecte et de traitement des données de santé, est d’ailleurs une étape essentielle de ce dispositif.

L’IA va bouleverser les pratiques médicales et l’organisation de l’hôpital
 

IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ? - domaines IA


Des offres technologiques de pointe

Dans les instituts de recherche médicale, l’IA va augmenter les capacités du médecin. En effet, certains établissements de pointe développent déjà des projets très avancés. C’est le cas de l’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) de Strasbourg qui souhaite intégrer des techniques d’IA aux opérations chirurgicales. Le projet Visible Patient : virtual and augmented reality permet, grâce à des solutions assistées par ordinateur, de réaliser une modélisation 3D et personnalisée du patient avant l’opération. Cette technologie simplifie l’intervention chirurgicale, car le chirurgien peut planifier son opération à l’avance. Ces informations 3D sont ensuite stockées afin de créer une importante base de données, très utile pour le développement de technologies d’IA en chirurgie. 

En radiologie, une start-up développe en France un algorithme qui améliore le dépistage par mammographie pour détecter le cancer du sein. 

En cardiologie, une entreprise française a développé un algorithme extrêmement puissant, capable d'analyser des électrocardiogrammes et d'améliorer le diagnostic des maladies cardiaques.

En ophtalmologie, un logiciel développé aux États-Unis identifie les signes de rétinopathie diabétique avec une précision de 90 %.

Les fonctions support aux soins vont être elles aussi impactées par l’IA. Au CHU de Nantes, des logiciels intelligents ont le potentiel de faire gagner du temps aux équipes techniques et administratives notamment par l’optimisation du codage de l’activité de l’hôpital permettant d’anticiper les flux de patients. Le CHU cherche également à optimiser les interventions de maintenance de ses locaux et équipements grâce à l’IA.

Un remède contre les déserts médicaux 

L’IA peut également être utilisée pour lutter contre les déserts médicaux et la fermeture de certains plateaux techniques (blocs opératoires, réanimation, imagerie, endoscopie). En 2018, la France compte plus de 11 000 villes classées comme des territoires marqués par une pénurie médicale. Les technologies d’IA, et plus largement les innovations numériques comme la télémédecine (consultation par vidéo-conférence avec un médecin), pourraient ainsi permettre de lutter contre les déserts médicaux. Les chatbots d’assistance sont déjà utilisés pour interroger le patient à distance et analyser une rechute éventuelle, notamment dans le suivi des maladies psychiatriques. Ces technologies permettent ainsi une prise en charge plus rapide et un meilleur suivi à domicile des patients. 

Mais si les métiers de la santé veulent bénéficier des promesses de l’intelligence, il est important d’avoir une vision claire de l’impact que celle-ci pourrait avoir notamment sur les emplois. Une meilleure information et une stratégie d’anticipation et de formation des personnels sont nécessaires. 
 

Quels sont les impacts de l’IA sur les emplois dans le domaine la santé ?

Un impact majeur sur les emplois difficile à évaluer

De nombreuses études s’intéressent à l’impact de l’IA sur l’emploi, avec des conclusions très variables.

  • 47 % des emplois aux Etats-Unis présentent un fort risque d’automatisation d’ici dix à vingt ans, selon une étude largement commentée et publiée en 2013 par les chercheurs Carl Benedikt Frey et Michael A. Osborne.
     
  • Le cabinet Roland Berger avait estimé en 2014 que 42 % des emplois étaient menacés par l’automatisation en France à l’horizon 2025
     
  • A l’inverse, un rapport de Dell et de l’Institut pour le futur de 2017 estimait que 85 % des emplois en 2030 n'existaient pas encore aujourd’hui.
     
  • Une étude publiée par l’entreprise américaine Cognizant Technology Solutions Corp, estime quant à elle que l’intelligence artificielle pourrait créer 21 millions d’emplois.

Suppression ou création massive d’emplois ? Ces études, bien que discordantes, ont un point en commun : elles estiment toutes que l’IA aura un impact majeur sur le marché de l’emploi. Mais elles ne se concentrent pas sur un secteur particulier.

Pour mesurer les impacts de l’IA sur l’emploi dans le domaine de la santé, nous proposons une méthodologie en six étapes :

 

IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ? - méthodologie


Celle-ci permet d’aboutir à une première estimation du taux de substitution (rapport entre le nombre d’activités considérées comme fortement substituables et le nombre total d’activités du métier) moyen pour l’ensemble des métiers des fonctions de support en santé, qui s’établit autour de 15 % : dans ces fonctions support, ce sont donc environ 40 000 à 80 000 emplois qui pourraient faire l’objet d’une automatisation.

Les exemples décrits précédemment pour la radiologie et l’ophtalmologie montrent que les spécialités médicales doivent aussi réfléchir à la transformation de leur exercice. Cependant, il n’existe pas pour les spécialités médicales de registre recensant les activités associées. Un référentiel devra être construit, en concertation avec les professionnels de santé.

Les métiers de santé concernés

Dans le secteur de la santé, les principaux impacts de l’IA s’observent au niveau de la pratique médicale et de la dispensation des soins (impact sur les personnels médicaux) mais aussi sur les fonctions qui interviennent dans l’organisation plus globale de l’hôpital (impact sur les personnels non-médicaux).

 

IA et emploi en santé : quoi de neuf docteur ? - effectifs

Source : Statistique annuelle des établissements de santé (DREES) 2017

Comment anticiper au mieux les changements induits par l'IA ?

La RSE se définit comme "la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société". La présente note propose d’appliquer la notion de RSE à l’engagement de mesures d’accompagnement des effets sociétaux induits par la transformation numérique. Le déploiement de la robotisation et de l’IA dans une entreprise ou un secteur d’activité donné, induit assurément des effets majeurs pour la société dans son ensemble. 

Mettre en place une RSE digitale permettrait d’anticiper et d’accompagner les changements liés à l’IA dans le secteur de la santé. Elle implique un ensemble de bonnes pratiques à diffuser à l’échelle nationale pour promouvoir l’innovation à tous les niveaux.

 

Pour les établissements de soins Pour les salariésPour les patients et la société dans son ensemble

Inciter les établissements à s’engager dans l’anticipation des changements à travers une démarche prospective sur la transformation des métiers

Déployer des méthodologies d’évaluation des compétences des salariés et des nouveaux besoins en formation
 

Sensibiliser les employés aux innovations à venir en santé, particulièrement dans le domaine de l’intelligence artificielle

Former les salariés aux technologies existantes en mettant l’accent sur les fonctions les plus susceptibles d’être partiellement remplacées par l’IA

 

Informer les patients lorsque le praticien a recours à l’IA dans le cadre de son parcours de soins 

Assurer que le principe de garantie humaine, c’est-à-dire la garantie d’une supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, soit respecté.

 

Dans un tel cadre, un déploiement éthique et responsable de l’IA en santé est possible. La méthodologie présentée ci-dessus doit permettre de créer un environnement propice à l’innovation, à l’identification de nouvelles activités et à l’émergence de nouveaux métiers. Les technologies d’IA en santé posent avant tout un défi en matière de formation et de sensibilisation des pouvoirs publics, du personnel médical, et ainsi des patients, pour lever les craintes. Une meilleure (in)formation renforcera la coopération entre ces différents acteurs et permettra ainsi aux structures hospitalières d’intégrer ces nouvelles solutions technologiques à leur offre de soins.

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