Le défi démographique
Au-delà de l’essoufflement que connaît le secteur agricole français, la croissance démographique mondiale implique une hausse des besoins alimentaires dans le futur à laquelle il va falloir répondre. À l’horizon 2050, il faudra nourrir 9,7 milliards de personnes, alors même que c’est un tiers de la population mondiale qui vit encore actuellement en insécurité alimentaire. Les évolutions des modes de vie induites par la croissance des classes moyennes et de la population urbaine se traduisent par de nouveaux régimes et une diversification des habitudes alimentaires. C’est déjà le cas en France, et plus largement en Europe. La demande alimentaire est ainsi de plus en plus fragmentée par les nouvelles préférences et attentes des consommateurs : labels bio, production locale et qualité nutritionnelle sont autant de facteurs dont la croissance sera lourde de conséquences pour le secteur agroalimentaire.
Le défi climatique
Au défi d’une demande croissante et morcelée s’ajoute celui, majeur, du changement climatique. Notre agriculture est confrontée à des bouleversements de conditions de production inédits, et dont les effets sont déjà perceptibles sur les cycles agricoles. En France, les vendanges sont aujourd’hui plus précoces de 15 jours par rapport aux années 1990. De la même manière, les rendements du secteur ont vocation à être impactés : les pertes de récoltes liées aux sécheresses auraient déjà été multipliées par trois entre 1961 et 2018 au sein de l’UE. Sans mesures fortes pour lutter contre le dérèglement climatique, la moitié sud de l’Hexagone pourrait progressivement passer d’un climat méditerranéen à un climat plus aride, au détriment de certaines productions sensibles. Notre agriculture doit donc accélérer son adaptation aux effets du changement climatique. À titre d’exemple, l’augmentation des stress hydriques actuellement constatée impose une gestion plus durable de la ressource en eau. Plus encore, il revient au secteur agricole d’accélérer sa décarbonation. À l’origine de 19 % des émissions de gaz à effet de serre du pays, il s’agit du deuxième secteur le plus émetteur. Sa décarbonation est donc absolument nécessaire à l’atteinte des objectifs nationaux de lutte contre le réchauffement climatique et de neutralité carbone à l’horizon 2050.
Pour engager ce virage écologique, le secteur peut compter sur des atouts de taille : la Ferme France produit actuellement 20 % des énergies renouvelables de notre pays, une activité source de revenus pour nos agriculteurs grâce à la production de biocarburants (biodiesel, bioéthanol) ou de matériaux biosourcés. Par ailleurs, les sols agricoles possèdent un potentiel de stockage de carbone important. La France pourrait compenser près de 7 % du total de ses émissions de gaz à effet de serre en s’appuyant sur la capacité de stockage des sols agricoles. Pour cela, il conviendra de renforcer la lutte contre l’artificialisation des sols pour protéger les terres agricoles riches en carbone. Dans tous les cas, le secteur agricole aura un rôle primordial à jouer en matière de décarbonation dans les années à venir, rôle intimement lié à l’objectif de préservation de la biodiversité que le secteur doit poursuivre.
Le défi de l’opinion publique
La mise en place d’une réponse efficace à ces défis devra se faire dans un contexte inédit, marqué par de vives critiques à l’encontre de certaines pratiques du monde agricole et du mode de production dit "conventionnel". Certaines pratiques, autrefois acceptées, sont aujourd’hui considérées comme inacceptables par le grand public. Or, le mouvement national en faveur d’une accélération de la décarbonation de l’économie et la préoccupation croissante des citoyens pour le bien-être animal se heurtent au temps long des transitions dans le monde agricole. En mal de représentation à l’échelle nationale par rapport à son poids historique, le monde agricole perçoit de plus en plus ces critiques comme une forme d’"agribashing" qui ignore la difficulté des conditions de travail du secteur. Ainsi, la distance se creuse entre agriculture et reste de la société.