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Note
JUIN 2020

Dividende carbone :
une carte à jouer
pour l’Europe

Auteur
Eric Chaney
Expert Associé - Économie

Eric Chaney est expert associé sur les questions d'économie de l'Institut Montaigne depuis janvier 2017.

De 2008 à 2016, il est le chef économiste d’AXA pour ses activités mondiales. Il conseille également diverses entreprises, financières et non-financières, sur les questions économiques et géopolitiques, par l’intermédiaire de sa société, EChO. Au sein d’AXA Investment Managers, Eric dirige l’équipe Recherche et Stratégie d’Investissement et conseille la direction sur les potentialités de l’intelligence artificielle. Au sein d’AXA, Eric conseille la direction sur les sujets économiques et financiers mondiaux ; il était par ailleurs membre du Comité d’Investissement du Groupe, ainsi que du Comité de surveillance de la gestion actif-passif. De 2000 à 2008, Eric Chaney était le chef économiste Europe de Morgan Stanley, qu’il avait rejoint en 1995, après avoir dirigé la Division Synthèse Conjoncturelle de l’INSEE, où il animait en particulier la publication trimestrielle ‘Note de Conjoncture’. Il a été Maitre de Conférences à l’ENA (1993-1996), a siégé au Conseil des Prélèvements Obligatoires auprès de la Cour des Comptes (2010-2014), au Conseil Economique de la Nation (1997-2014) et au Conseil scientifique du Fonds AXA pour la Recherche. Il est membre du Conseil scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers et, depuis 2014, est vice-Président du Conseil d’administration de l’Institut des hautes Etudes Scientifiques de Bures-sur-Yvette.

Ancien professeur de mathématiques et éditeur d’une publication mathématique de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, Eric Chaney est aussi ancien élève de l’ENSAE-Paris-Tech.

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Les pays européens sont parmi les plus susceptibles d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat : les membres de l’Union européenne (UE) ont renouvelé, à la quasi-unanimité (seule la Pologne a fait défaut), leur objectif de neutralité carbone d’ici 2050. Leurs actions, avec une baisse de 23 % des émissions territoriales depuis 1990, vont en ce sens. Pourtant, à ce stade, l’objectif 2050 paraît encore héroïque. 

Face à l’urgence climatique, les citoyens s’inquiètent et demandent qu’on en fasse plus et plus vite. Les actions à mener sont d’ampleur immense, et les coûts associés très élevés. Pour parvenir à leurs objectifs, les pays européens doivent continuer à sensibiliser les citoyens sur les changements nécessaires dans leurs vies de tous les jours, à mobiliser entreprises et collectivités et à accélérer les politiques de transformation dans les domaines clés que sont l’énergie, les transports, et les modes de production et consommation. C’est l’objectif du pacte vert pour l’Union européenne proposé par la Commission européenne le 11 décembre 2019, qui esquisse une stratégie multiforme et un agenda.

 


Cette note se propose d’examiner comment l’Union européenne pourrait faire basculer le monde dans la décarbonation, en adoptant une politique fondée sur le prix du carbone, sans mettre à mal son économie, grâce à une redistribution intégrale et décentralisée du dividende carbone permettant que la transition écologique ne soit pas seulement efficace mais aussi équitable.

Le nécessaire prix du carbone

Pour neutraliser les émissions européennes d'ici à 2050, le "plan vert" de la Commission européenne énumère un ensemble d’actions prioritaires. Conçu avant la pandémie, ce plan est aujourd’hui discutable : la crise économique dans laquelle s’enfoncent nos pays est sans précédent et les États n’ont d'autre choix que d’utiliser au mieux l’argent public pour éviter une catastrophe économique et sociale.

Est-ce à dire qu’il y a contradiction entre la lutte contre le réchauffement climatique et le sauvetage de nos économies ? Absolument pas ! Car il manque une dimension essentielle à l’action des 27 États membres, sans laquelle l’objectif 2050 restera lettre morte.

En effet, pour modifier les comportements et les modes de production, une des stratégies les plus efficaces, mais aussi la moins coûteuse, est d’imposer un prix du carbone unique, élevé et croissant dans le temps, de façon à renchérir les biens et services à hauteur des dommages futurs de leur contenu en carbone. Recourir au prix du carbone est d’ailleurs une politique qui gagne du terrain au niveau mondial, et qui figure, entre autres, dans le plan vert de la Commission européenne.

Comme l’Union européenne ne contribue que pour moins de 12 % des émissions dans le monde, son action ne changera qu’à la marge l’évolution du climat mondial.

 

Les émissions de CO2 par habitant baissent dans les pays industrialisés, pas dans le monde - Graphique

 

Il est urgent de ramener le plus rapidement possible les émissions à zéro pour l’Union européenne, et de réfléchir aux moyens de réduire le stock (émissions dites négatives). En effet, dans tout scénario plausible, celles de l’Asie et plus encore de l’Afrique ne pourront qu’augmenter à l’avenir, pour des raisons à la fois de développement économique et de démographie. D’ailleurs, une écrasante majorité de pays membres de l’Union européenne à 27, auxquels il faut ajouter le Royaume-Uni, ont réaffirmé leur objectif de neutralité carbone pour 2050, sans pour autant indiquer les moyens concrets d’y parvenir, y compris transferts financiers, ce qui peut expliquer en partie la résistance de la Pologne, seul pays à ne pas l’avoir encore adopté.

 

Un Européen émet en moyenne 50 % de moins de CO2 qu’un Américain et 42 % de plus qu’un Chinois

 

Cette vision statique des choses peut décourager les meilleures volontés politiques. Mais en réalité le potentiel est bien plus grand. Si les 27 pays s’accordent sur une trajectoire du prix du carbone élevée, ils devront l’appliquer aussi bien aux produits locaux qu’aux importations, créant ainsi un important "dividende carbone". L’Union européenne disposerait de ce fait d’un puissant argument pour convaincre ses partenaires commerciaux de suivre la même voie, et, ainsi, de créer un "club climat", pour reprendre l’idée de l’économiste William Nordhaus, lauréat du prix Nobel d’économie en 2018. Aujourd’hui, seule l’Union européenne est en mesure de la mettre en œuvre, car elle est politiquement mûre et a une taille suffisante pour y parvenir.

Comment s’y prendre ?

Il est acquis, au-delà de tout doute raisonnable, que l’augmentation du stock de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère et dans les océans, pour le CO2, est la principale cause du changement climatique et écologique en cours. Les changements vont s’accélérer dans les décennies à venir du fait des concentrations déjà atteintes. Ils pourraient avoir des conséquences importantes et même gravissimes pour les générations à venir si l’on ne stabilise pas rapidement le stock de GES (principalement le CO2, qui a un cycle long) dans l’atmosphère.

De ce point de vue, il est encourageant que les émissions de CO2 par habitant baissent depuis dix ans aux États-Unis et dans l’Union européenne, et se soient stabilisées en Chine. Mais si l’inversion de la tendance est une bonne nouvelle, on est encore très loin du compte, si l’on veut parvenir à limiter l’augmentation de la température moyenne mondiale à moins de 2°C.

Cette note s’intéresse principalement à la réduction des émissions de CO2. Les propositions faites pour le CO2 peuvent aussi s’appliquer aux autres gaz à effet de serre (GES), à commencer par le méthane. L’auteur propose notamment :

  • La création d’une Agence Carbone de l’Union européenne (ACUE), à qui les États confieraient la mission de déterminer la trajectoire du prix du carbone la plus cohérente avec l’objectif de neutralité carbone en 2050.
     
  • En parallèle, cette note propose d’introduire un ajustement aux frontières de l’Unioncomportant une taxe sur le contenu en carbone des biens et services importés, et de redistribuer l’essentiel du dividende carbone aux ménages sur une base nationale, en tenant compte de la spécificité des différents États en termes de revenu par habitant, mais aussi de part des ressources fossiles domestiques dans le mix énergétique national.
     
  • Enfin, cette note encourage l’Union européenne (UE) à proposer à ses partenaires commerciaux de former un "club climat". Les partenaires commerciaux de l’UE, membres de ce "club", devraient suivre une trajectoire de prix du carbone similaire à celle de l’UE et seraient en contrepartie exemptés de toute taxe carbone. Les pays non-membres d’un tel club verraient quant à eux leurs exportations vers les pays membres soumises à une taxation.
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