AccueilExpressions par MontaigneTrois questions à June Park : Corée du Sud, États-Unis et Golfe - les semi-conducteurs dans le développement...La plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Asie25/06/2025ImprimerPARTAGERTrois questions à June Park : Corée du Sud, États-Unis et Golfe - les semi-conducteurs dans le développement de l'IAAuteur Institut Montaigne À l’occasion de la visite de Donald Trump dans le Golfe au mois de mai, la coopération technologique entre les États-Unis et les Émirats arabes unis a franchi un nouveau cap en matière de développement de l’intelligence artificielle (IA). Quelles sont les tendances actuelles du développement de l’IA, des serveurs aux puces mémoires ? Nos trois questions à l’économiste politique June Park, Visiting Fellow au Middle East Council on Global Affairs et Senior Research Affiliate au Centre for Digital Law de la Singapore Management University. En quoi la Corée du Sud est-elle un acteur incontournable ? Quelle est la place de Stargate, projet phare de Donald Trump visant le développement d’infrastructures d’IA, dans le paysage compétitif mondial ? Les États-Unis peuvent-ils freiner les avancées accélérées de la Chine ?En quoi l’industrie sud-coréenne des semi-conducteurs a-t-elle pris une longueur d’avance dans la révolution de l’intelligence artificielle ?La Corée du Sud occupe une position dominante grâce à sa maîtrise de la technologie HBM (high-bandwidth memory, ou mémoire à large bande passante), pilier de l'architecture des semi-conducteurs pour l'intelligence artificielle. Cette technologie permet de traiter des volumes colossaux de données avec une grande rapidité, en multipliant les couches de transmission des données, à l’image d’une autoroute dont on décuplerait le nombre de voies pour augmenter le flux de véhicules. Le caractère central de leur rôle dans le développement de l’IA laisse entrevoir la perspective d’une croissance continue des HBM, stimulée par la construction de data centers aux États-Unis et ailleurs. La Corée du Sud occupe une position dominante grâce à sa maîtrise de la technologie HBM (high-bandwidth memory, ou mémoire à large bande passante), pilier de l'architecture des semi-conducteurs pour l'intelligence artificielle.Sur les trois entreprises qui dominent aujourd’hui le marché mondial de la technologie HBM, deux sont sud-coréennes. SK Hynix détient 52,5 % des parts du marché, Samsung Electronics 42,4 %, et l’entreprise américaine Micron 5,1 %. Samsung et SK Hynix restent pionnières, SK Hynix développant déjà la cinquième génération de HBM.Mais dans cet environnement très compétitif, Samsung accuse un retard par rapport aux impressionnantes performances économiques récemment enregistrées par son principal concurrent. Rien n’est cependant jamais acquis : on ignore encore quelles ruptures technologiques suivront les processeurs graphiques dits GPU (graphics processing units), à l’heure où les unités de traitement neuronal (neural processing units, NPU) sont en cours de développement et pourraient constituer le prochain grand saut technologique.Sa réussite ne soustrait pas la Corée du Sud à un certain nombre d’inquiétudes grandissantes quant à la pérennité de cette avance technologique. D’abord, malgré sa position de leader en matière d’innovation HBM, SK Hynix pourrait voir son avantage compétitif menacé par d’éventuels transferts de technologie vers la Chine. L’arrivée sur le marché du chinois ChangXin Memory Technologies alimente les craintes. On redoute par exemple le débauchage d’ingénieurs désireux d’explorer de nouvelles opportunités en Chine ou au sein d’entreprises américaines comme Micron, même lorsqu’ils sont conscients des conséquences juridiques auxquelles ils s’exposent en vertu des lois sud-coréennes encadrant le transfert de technologies sensibles.Ensuite, l’ensemble de l’écosystème des semi-conducteurs repose fortement sur une consommation massive d’électricité et d’eau ultra-pure. Des doutes persistent sur la politique énergétique du pays à long terme, surtout après les efforts menés par l’ancien gouvernement progressiste pour sortir du nucléaire.Enfin, les subventions prévues dans le cadre du CHIPS and Science Act américain n’ont toujours pas été versées aux entreprises sud-coréennes ; le département du Commerce de l’administration Trump envisage même de les réduire. Tandis que TSMC a déjà perçu 1,5 milliard de dollars, Samsung et SK Hynix attendent toujours les soutiens promis. À l’époque de l’administration Biden, il était prévu que Samsung Electronics, qui s’était engagé à construire une fonderie à Taylor, au Texas, se voie accorder une aide américaine de 6,8 milliards de dollars. Mais en septembre 2024, une partie du projet a été rapatriée en Corée, soulevant des réserves quant à sa viabilité sur le sol américain.Vous suivez de près les évolutions technologiques des pays du Golfe et des États-Unis, en particulier leurs aspects géoéconomiques. Quelle place les semi-conducteurs et l’intelligence artificielle ont-ils occupé lors de la visite du président Trump dans le Golfe au mois de mai ?Il convient d’abord de souligner que la concurrence intra-régionale entre les États du Golfe s’intensifie, et que la course à l’IA s’inscrit dans une volonté plus large de diversification de leurs économies au-delà du pétrole et du gaz. Dans ce contexte, parmi les six pays du Conseil de coopération du Golfe, les Émirats arabes unis se distinguent par leur ambition affirmée de développer des capacités locales de production de semi-conducteurs (fonderie). Ils ont également été les plus volontaristes en matière de construction d’une IA souveraine et d’accès aux semi-conducteurs d’IA pour leurs projets de data centers. Exemple emblématique de cette ambition, le projet Stargate UAE représente ainsi une initiative majeure de coopération entre les États-Unis et les Émirats arabes unis ; son objectif est de créer l’un des plus grands campus de données IA au monde.Le volet américain du projet Stargate rassemble un consortium de grande envergure incluant Nvidia, OpenAI, Cisco, Oracle, SoftBank et MGX, une société émiratie d’investissement publique dans l’IA, fondée en 2024 par le gouvernement d’Abou Dabi via le fonds souverain Mubadala et l’entreprise émiratie d’IA G42. MGX a été créée pour servir de véhicule d’investissement technologique aux investissements internationaux de G42, à un moment où Washington s’inquiétait des liens tissés par G42 avec Pékin : en 2024, lorsque l’entreprise G42, désireuse de s’affirmer en tant que leader de l’IA, a tenté de nouer un partenariat avec Microsoft pour le développement de data centers, les États-Unis ont exigé son désengagement de ByteDance, la multinationale chinoise des technologies internet - et maison mère de TikTok. Depuis, MGX est devenu le facilitateur principal des investissements internationaux des Émirats arabes unis. Notons au passage que lors de la visite de Donald Trump, MGX a annoncé un investissement de 2 milliards de dollars dans la crypto-bourse Binance à travers un recours au stablecoin USD1, stablecoin géré par une entreprise de crypto-monnaies liée à la famille Trump.La finalité fondamentale du projet Stargate est de faciliter l’implantation à l’étranger de data centers de l’IA par des entreprises américaines, en s’appuyant sur le socle technologique que constituent les puces IA de Nvidia - elles-mêmes alimentées par les GPU Nvidia et de la technologie HBM. Geste révélateur de cette intention stratégique, juste avant la visite officielle, l’administration Trump a abrogé la règle dite de "diffusion de l’IA" (AI Diffusion Rule). Cette décision a été pensée pour assouplir les restrictions à l’exportation de technologies avancées qui s’imposaient à certains pays partenaires classés en deuxième catégorie (Tier 2) afin d’encourager le développement international des entreprises américaines.Face aux tensions actuelles entre Israël et l’Iran, et alors que les États-Unis se retrouvent au cœur de ce conflit, il n’est pas simple de prédire la manière dont se dessinera la donne politique dans la région, surtout si (et quand) les pays du Golfe seront touchés par les mesures américaines.En plus du stablecoin USD1, la famille Trump a de nombreux intérêts économiques aux Émirats arabes unis, y compris des projets immobiliers. En clair, la visite de Donald Trump était motivée par des intérêts multiples et imbriqués. Ses enjeux dépassaient le simple secteur des semi-conducteurs et reflétaient une volonté américaine de rallier les cœurs et les esprits dans une région qui a déjà noué des partenariats technologiques majeurs avec la Chine. Les Émirats arabes unis comme l’Arabie saoudite ont tissé des liens très forts avec Pékin en matière numérique et d’intelligence artificielle. Washington cherche désormais à les contrebalancer.Face aux tensions actuelles entre Israël et l’Iran, et alors que les États-Unis se retrouvent au cœur de ce conflit, il n’est pas simple de prédire la manière dont se dessinera la donne politique dans la région, surtout si (et quand) les pays du Golfe seront touchés par les mesures américaines.Certaines personnalités incontournables de l’appareil de sécurité nationale de l’administration Trump ont exprimé leur insatisfaction face à l’approfondissement de la relation entre les États-Unis et les pays du Golfe, craignant de potentiels transferts de technologies vers la Chine. Que révèle cette visite sur la politique actuellement menée par les États-Unis en matière de semi-conducteurs ?S’agissant de la coopération technologique entre les États-Unis et le Golfe, on observe dans les opinions américaines trois principaux camps de pensée : il y a ceux qui placent les considérations de sécurité nationale au premier plan, ceux qui privilégient les intérêts commerciaux, et ceux qui défendent une approche sélective et stratégique fondée sur des convergences géopolitiques.Au sein du Congrès, le projet Stargate a ainsi suscité des inquiétudes relevant de la sécurité nationale, notamment sur les risques de fuites technologiques ou de transferts de semi-conducteurs vers des entités chinoises via des entreprises liées à MGX. C’est le lancement, par l’entreprise chinoise DeepSeek, de DeepSeek-R1, modèle d’intelligence artificielle qui aurait été développé par l’intermédiaire de puces IA H20 de Nvidia, qui a nourri les premières anxiétés. Cet épisode a d’ailleurs joué un rôle déterminant dans la mise en œuvre initiale de l’AI Diffusion Rule. Lorsque le mandat de Joe Biden arrivait à son terme, son administration avait veillé à ce que cette réglementation s’applique également à la construction de data centers IA à l’étranger. Des pays comme Singapour et plusieurs États du Golfe, initialement convaincus que leur alignement diplomatique avec Washington leur éviterait les contrôles les plus stricts, ont finalement été classés parmi les pays de niveau 2 (Tier 2), avec pour conséquence d’importantes restrictions d'accès aux semi-conducteurs avancés.Après l’abrogation de cette règle par l’administration Trump, les contours futurs des mécanismes américains de contrôle à l’exportation restent indéterminés, en particulier en ce qui concerne les technologies HBM. Ce qui reste manifeste, en revanche, c’est que des décennies de liens industriels profonds avec la Chine ont laissé une empreinte durable, qu’aucun mécanisme de contrôle, aussi élaboré soit-il, ne saurait effacer du jour au lendemain.Prenons l’exemple de Samsung et TSMC : leur collaboration passée a été essentielle à l’essor économique de SMIC, principal producteur chinois de semi-conducteurs. Les contrôles à l’exportation ont constitué un pilier central de la politique technologique de l’administration Biden, bien que des débats demeurent quant à la question de savoir si ces contrôles ont aidé ou pénalisé l’industrie américaine, notamment au regard des pertes de chiffre d’affaires mises en avant par plusieurs entreprises concernées. Parallèlement, et c’est un fait qui ne manque pas d’ironie, les entreprises américaines et européennes continuent d’investir en Chine : la dynamique des comportements économiques ne va souvent pas dans la même direction que celle fixée par les objectifs politiques des restrictions à l’exportation.Les entreprises américaines et européennes continuent d’investir en Chine : la dynamique des comportements économiques ne va souvent pas dans la même direction que celle fixée par les objectifs politiques des restrictions à l’exportation.Pour évaluer la portée des risques de transferts de technologies avancées vers la Chine, il faut aussi tenir compte du fait que Pékin dispose déjà de canaux de coopération industrielle solides dans le Golfe et en Asie du Sud-Est.Par exemple, près de 20 % du chiffre d’affaires mondial de Nvidia transiteraient par Singapour. Même en mettant en place d’ambitieux contrôles à l’exportation, la mise en œuvre concrète et complète de ces derniers demeure un défi considérable, ce non seulement à travers l’Asie, mais aussi en Europe et aux États-Unis, en raison des divergences que l’on constate dans les régimes réglementaires et les standards d’application. Copyright image : Brendan SMIALOWSKI / AFP Donald Trump et Mohamed Ben Zayed à Abu Dhabi le 15 mai 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneMars 2025Chips Diplomacy Support InitiativeLa Chips Diplomacy Support Initiative (CHIPDIPLO) est un projet de 18 mois piloté par l’Institut Montaigne et co-financé par la Commission européenne. Il vise à renforcer la stratégie européenne en matière de semi-conducteurs face aux tensions géopolitiques. Ses objectifs : anticiper les risques industriels, coordonner les politiques des États membres et développer des partenariats internationaux. Le consortium associe experts, industriels et chercheurs pour analyser les défis et fournir des recommandations à l’UE. CHIPDIPLO soutient l’EU Chips Act et promeut l’attractivité de l’Europe en matière d’innovation et d’investissements.Consultez l'Opération spéciale 06/05/2025 Trois questions à Chris Miller : les semi-conducteurs dans la rivalité sino... Institut Montaigne