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06/11/2024

[Trump II] - Taiwan et Trump 2.0 : partenaire ou monnaie d’échange ?

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[Trump II] - Taiwan et Trump 2.0 : partenaire ou monnaie d’échange ?
 Mathieu Duchâtel
Auteur
Directeur des Études internationales, Expert Résident

Si le premier mandat de Donald Trump a laissé à Taiwan un souvenir relativement positif, que changera, dans un détroit sous tension croissante, la reconduction du républicain ? Faut-il craindre que les États-Unis abandonnent Taiwan et l'île pourrait-elle faire les frais d’un des “deals” chers à Donald Trump ? En quoi les choix stratégiques faits en Ukraine pourraient-ils dessiner une vision plus générale de la réponse américaine à apporter aux régimes expansionnistes ? Que signifierait pour Taiwan un droit de douane universel de 60 % sur toutes les importations chinoises, annoncé dans le programme de Donald Trump ? Analyse de Mathieu Duchâtel

Donald Trump a laissé un excellent souvenir à Taiwan. En décidant de contrer enfin le mercantilisme chinois par l’imposition de droits de douane et des restrictions sur les transferts de technologies, il a permis au gouvernement taiwanais de réaliser un objectif recherché depuis près de vingt ans, indépendamment des partis au pouvoir : diversifier les investissements taiwanais au-delà de la Chine vers les pays de la région, et encourager le retour de certaines entreprises sur l'île. L'illustration la plus marquante de cette rupture qu’aucune politique publique taiwanaise n’avait permise est celle de l'industrie des serveurs, largement dominée par des groupes taiwanais. Avant l'ère des droits de douane imposés par Trump, cette industrie était concentrée en Chine ; depuis, elle s'est réorientée vers Taiwan.

Le souvenir laissé par l’administration Trump est également positif en matière de défense et de reconnaissance de la dignité taiwanaise sur la scène internationale. L’administration américaine renoua avec une posture de dissuasion appuyée dans le détroit de Taiwan. Les ventes d’armes atteignirent 18 milliards de dollars en quatre ans, contre 14 milliards lors des huit années de l’administration Obama. La pratique de l'examen annuel des requêtes du ministère de la Défense taiwanais fut abandonnée au profit d’un traitement au fil de l'eau, ce qui eut pour effet de considérablement fluidifier le partenariat de défense entre les deux parties.
 
Sur le plan diplomatique, le président Trump signa en mars 2018 le Taiwan Travel Act, qui mit fin à plusieurs restrictions limitant les échanges officiels depuis la rupture diplomatique de 1979. Cette loi permet aux responsables de tous niveaux du gouvernement américain de se rendre à Taiwan pour rencontrer leurs homologues taiwanais et autorise les hauts responsables taiwanais à entrer aux États-Unis dans des conditions respectueuses.

Tout avait pourtant commencé dans l’angoisse et le drame. Lorsque le président élu tweete le 3 décembre 2016, avant même son entrée en fonction, "La présidente de Taiwan m'a APPELÉ aujourd'hui pour me féliciter de ma victoire à la présidence. Merci !", les officiels taiwanais s’inquiètent des motivations derrière cette entorse très inhabituelle au protocole. L’expression "présidente de Taiwan" n’est normalement jamais utilisée, et les échanges téléphoniques entre les présidents à Taipei et à la Maison-Blanche, dont on sait qu’ils ont lieu, demeurent habituellement confidentiels. La première réaction à Taiwan : Trump cherche-t-il à augmenter la "valeur" de Taiwan pour mieux la monnayer avec la Chine ?

La première réaction à Taiwan : Trump cherche-t-il à augmenter la "valeur" de Taiwan pour mieux la monnayer avec la Chine ?

L’angoisse d’un abandon américain est cyclique à Taipei. Elle n’a rien de fantasmatique. Elle refait surface à chaque élection américaine. Taiwan a vécu l’abandon de 1971-1972 sous Nixon et Kissinger, puis celui de 1979 sous Carter.

Malgré le sérieux des Républicains en matière de sécurité en Asie et le souvenir favorable laissé par la première administration Trump, plusieurs raisons invitent à une prudence extrême quant à la continuité de sa politique taiwanaise avec les approches économiques, diplomatiques et militaires qui ont marqué son premier mandat.

Il y a d'abord l'avenir de l'Ukraine. Si l'administration américaine impose un compromis territorial entraînant pour l’Ukraine la perte de près de 20 % de son territoire souverain, le signal envoyé aux puissances expansionnistes serait que la conquête porte ses fruits si elles sont en mesure d’assurer un contrôle militaire sur le terrain, protégées par le chantage nucléaire. Bien que les Républicains cherchent à convaincre leurs interlocuteurs que la première administration Trump avait su maintenir la paix en Europe et en Asie grâce à une dissuasion crédible, un récit centré sur les bénéfices de l’agression impérialiste risquerait de s’imposer dans le monde. Cette vision pourrait éclipser celle d'une présidence ramenant la paix, en particulier si la Russie exploite la situation pour préparer sa prochaine offensive. Si c’est le cas, quelles conclusions en tireront les responsables chinois et taiwanais ? L’opinion publique taiwanaise ?
 
Il y a ensuite les sujets économiques. Les interrogations à Taipei portent ici sur deux questions principales.

D’une part, l’annonce de campagne d’un droit de douane universel de 60 % sur toutes les importations chinoises par les États-Unis a fait réfléchir mais comme ailleurs, il semble qu’il n’y ait pas de clarté d’esprit sur l’impact qu’aurait une telle mesure, si elle était adoptée, sur la restructuration du commerce international. Une telle décision pourrait certes accélérer la réduction en cours de la dépendance des entreprises taiwanaises à la Chine. Mais difficile d’estimer la puissance de l’onde de choc, les gagnants et les perdants d’une mesure qui impacterait le monde entier. En outre, les Taiwanais n’oublient pas que les droits de douane américains, sous la première administration Trump, nourrissaient la recherche parallèle d’un accord avec la Chine. La lecture du livre de Robert Lighthizer, architecte de cette politique en tant que US Trade Representative de la première administration Trump, est à ce titre éclairante. L’obsession des Républicains était alors de reconstruire une relation commerciale avec la Chine fondée sur la réciprocité et au service des intérêts industriels américains, et non de tout détruire. D’où l’inévitable angoisse qui ne peut que renaître, aujourd’hui, d’un "deal" dont Taiwan serait l’une des contreparties.

D’autre part, les critiques de campagne de Trump visant l’industrie taiwanaise des semi-conducteurs ("Taiwan. Je connais très bien les Taiwanais, je les respecte beaucoup. Ils ont pris environ 100 % de notre industrie des puces. Je pense que Taiwan devrait nous payer pour sa défense. Vous savez, nous ne sommes pas différents d’une compagnie d’assurance. Taiwan ne nous donne rien en échange"), ont fait couler beaucoup d’encre sur une île habituée à voir ses capacités industrielles en hardware en symbiose absolue avec les donneurs d’ordre américains que sont Nvidia, Apple, Qualcomm ou Broadcom.

La première administration Trump avait su maintenir la paix en Europe et en Asie grâce à une dissuasion crédible, un récit centré sur les bénéfices de l’agression impérialiste risquerait de s’imposer dans le monde

L’usine TSMC en Arizona, dont l’installation avait été initiée par l’administration Trump, fait l’objet d’aides fédérales - c’était l’approche de Trump, mais ayant été poursuivie par Biden, serait-il possible que le Président américain cherche à renégocier le contrat dans des termes moins favorables à TSMC ? À quel niveau de pression faut-il s’attendre sur l’effort de défense de Taiwan ? Les dépenses militaires de l’île atteignent aujourd’hui à 2,45 % du PIB (soit 20 milliards de dollars), mais des voix dans le camp républicain se sont élevées pour demander 5 %, et même 10 % du PIB.

Au-delà des outrances et de la tentation d'un grand deal qui caractérisent le personnage, les principaux acteurs du Conseil de sécurité nationale, du Pentagone et de l’équipe de politique économique joueront un rôle décisif dans la politique chinoise de Trump - et souvent plus décisif que celui du Président. Pour Taiwan, il semble clair que son statut de démocratie libérale aura peu de valeur stratégique aux yeux de l’exécutif américain, et qu’il sera nécessaire de verser des "frais de protection", sous une forme ou une autre. Ces dernières années, Taiwan a donné une belle leçon de lucidité aux démocraties européennes, en détectant avant tout le monde la gravité de la pandémie de Covid. Il est tout à fait possible que l’île parvienne, par des manœuvres tactiques qui épouseront les priorités de l’America First en matière d’emploi industriel, de rééquilibrage des relations économiques avec la Chine, de recherche de suprématie technologique et de crédibilité accrue de sa posture de défense, à assurer non seulement sa survie, mais aussi sa prospérité continue.

Copyright image : Sam Yeh / AFP

Le président Lai Ching-te devant un avion Air force F-16 de la base aérienne de Hualien, le 28 mai 2024.

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