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17/04/2023

Taiwan : Emmanuel Macron et les failles de la "Realpolitik"

Taiwan : Emmanuel Macron et les failles de la
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Chaque semaine, Dominique Moïsi, conseiller géopolitique de l'Institut Montaigne, partage ses réflexions sur les grands enjeux politiques qui structurent l'actualité internationale. Ce lundi, il expose les limites de la vision géopolitique d'Emmanuel Macron, qui semble poursuivre des compromis irréalistes avec des régimes autoritaires, au détriment des liens de la France avec les démocraties européennes et américaines.

 

"Le grand risque pour l’Europe est de se trouver prise dans des crises qui ne la concernent pas". Les propos tenus par Emmanuel Macron sur Taiwan, lors de son vol de retour de Chine, ont suscité tant à l’étranger qu’en France de nombreuses critiques. Ils font écho à la formule de Claude Cheysson (alors ministre des affaires étrangères de François Mitterrand) au lendemain du coup d'État du général Jaruzelski en Pologne en décembre 1981. "Nous ne ferons rien bien sûr".
Pourquoi faire de tels cadeaux, à l’URSS hier, à la Chine aujourd’hui ?

Contrairement à ce que semble penser le président de la République, le sort de Taiwan concerne directement les Européens (et donc la France).

Contrairement à ce que semble penser le président de la République, le sort de Taiwan concerne directement les Européens (et donc la France). Après l’écrasement des aspirations démocratiques à Hong Kong, le retour de Taiwan par la force dans le giron autocratique chinois constituerait une défaite cuisante pour la cause de la liberté et de la démocratie. Ce serait aussi, sur un plan géopolitique, un sérieux revers pour le monde occidental dans son ensemble et pour tous les pays de la zone Indopacifique qui partagent nos valeurs de liberté.

Ce serait enfin une très mauvaise nouvelle pour l’économie mondiale : 60% des semiconducteurs produits dans le monde viennent de Taiwan (dont 90% des plus performants).

Le Général de Gaulle allait "vers l’Orient compliqué avec des idées simples". Se pourrait-il qu’Emmanuel Macron revienne d’Asie avec des idées simplistes, sinon fausses ?

 
Séduire plutôt que convaincre

 

Au-delà de ses propos malheureux sur Taiwan - qui peuvent contribuer à encourager l’expansionnisme chinois en Asie et au-delà – c’est plus globalement la vision géopolitique du président de la République qui est (ou devient ?) problématique. Un an après le début de son second mandat, Emmanuel Macron conduirait-il la France dans une impasse, en parlant trop à Xi Jinping et à Vladimir Poutine, et pas assez à Laurent Berger ? Tout se passe comme si le président de la République s’attachait plus à séduire qu’à convaincre.

Mozart, disent ses biographes, passait son temps à questionner son entourage : "M’aimez-vous, m’aimez-vous vraiment ?". Pourquoi chercher des compromis irréalistes avec des régimes autoritaires à l’extérieur, et faire l’impasse sur des compromis atteignables avec des dirigeants syndicaux modérés à l’intérieur ? Le président se tromperait-il de calendrier en appliquant des raisonnements traditionnels à des défis exceptionnels ? Nous ne sommes pas au milieu des années 1960 au moment où Paris prend ses distances avec Washington en quittant l’Organisation militaire intégrée de l’OTAN. Poutine n’est pas Khrouchtchev et la Chine a fait plus que s’éveiller.

 

Pourquoi chercher des compromis irréalistes avec des régimes autoritaires à l’extérieur, et faire l’impasse sur des compromis atteignables avec des dirigeants syndicaux modérés à l’intérieur ?

Un lointain parfum d'anti-américanisme

Comment vouloir faire de l’autonomie stratégique le combat de l’Europe, alors que l’on affiche une volonté d’équidistance entre les États-Unis et la Chine ?

 

En 2023, le dilemme diplomatique français pourrait se résumer en une seule interrogation : comment vouloir faire de l’autonomie stratégique le combat de l’Europe, alors que l’on affiche - au-delà des démentis et des clarifications - une volonté d’équidistance entre les États-Unis et la Chine ? La majorité des pays de l’Union Européenne peuvent reconnaître la validité et la légitimité à terme de l’ambition européenne de la France : constituer un pôle de puissance aux côtés des États-Unis et de la Chine.

Sans doute conviendra-t-il d’ajouter très vite l’Inde à cette liste. Mais ils se refusent, à juste titre, à tout ce qui pourrait s’apparenter à une volonté d’équidistance entre Washington et Beijing. Cette position leur paraît contraire à la géographie des valeurs qui, plus que jamais, doit nous servir de boussole.

Il convient certes de ne pas aller trop loin dans l'idéalisme, sinon la naïveté. On a parfois l'impression que, pour un certain nombre d'Allemands, le rêve serait de concilier protection américaine et poursuite à un niveau élevé du commerce avec la Russie et la Chine. Mais ils n'en font pas une doctrine stratégique. Plus qu’éthiquement contestable, la position du président de la République paraît avant tout irréaliste."C’est pire qu’un crime, c’est une faute" aurait déclaré Talleyrand au lendemain de l’exécution du Duc d’Enghien, ordonnée par Bonaparte en 1804.

Le président Macron est-il "en capacité" de rallier les membres de l’Union Européenne derrière lui, avec un discours qui a comme un lointain parfum d’anti-américanisme ?

Ne pas vouloir dépendre exclusivement d’un allié/rival qui peut se révéler alternativement ou concurremment, égoïste, capricieux ou aventureux, est certes faire preuve de sagesse. Et vouloir faire de l’Europe un pôle de puissance dans le monde est une formidable et légitime ambition. Mais tout cela ne peut se faire seul.Et le président Macron, dont la légitimité est toujours plus contestée à l’intérieur, est-il "en capacité" de rallier les membres de l’Union Européenne derrière lui, avec un discours qui a comme un lointain parfum d’anti-américanisme ?

 

"Ne pas choisir, c'est encore choisir"

 

Plus grave encore, ce Président philosophe qui devrait avoir le sens du tragique, a-t-il pris pleine conscience du moment si spécifique que nous traversons depuis le 24 février 2022 et le retour de la guerre en Europe ? Et si nous étions dans un moment comparable à la fin des années 1930 ? Et si Poutine était une version contemporaine, l’arme nucléaire en plus, l’obsession antisémite en moins, de ce qu’était Hitler ?

Et si Poutine était une version contemporaine, l’arme nucléaire en plus, l’obsession antisémite en moins, de ce qu’était Hitler ?

Et si Poutine était une version contemporaine, l’arme nucléaire en plus, l’obsession antisémite en moins, de ce qu’était Hitler ? Face à un dirigeant paranoïaque à Moscou, face à un pouvoir toujours plus déterminé dans sa volonté d’expansion en Chine, la volonté d’équidistance de Paris, entre Washington et Beijing, entre démocraties (parfois fragiles) et autoritarismes toujours plus déterminés, n’a tout simplement pas de sens.

La guerre économique n’est pas l’équivalent de la guerre tout court, disait Raymond Aron. Il faut certes, n’être le vassal de quiconque. Mais entre les menaces russes et chinoises et la menace économique américaine, il y a – au moins pour nous Européens – une différence de nature et pas seulement de degré. Se contenter de décrire Joe Biden comme le simple héritier de Trump (l’outrance en moins) en matière de protectionnisme est une vision par trop réductrice de l’histoire. C’est délibérément passer à côté de l’essentiel, à l’heure de Vladimir Poutine et de Xi Jinping : la réalité géopolitique.

"Ne pas choisir, c’est encore choisir", écrivait Jean-Paul Sartre. En matière géopolitique, ne pas choisir aujourd’hui, c’est faire le choix de l’ambiguïté à l’heure où les enjeux sont d’une aveuglante clarté.C’est refuser la nécessaire hiérarchisation des enjeux et des menaces. C’est semer le doute sur la vraie nature des valeurs qui nous animent. Une telle posture ne saurait servir les intérêts de la France : elle deviendrait suspecte pour ses alliés, sans pour autant être respectée par ses adversaires.

 

 

Copyright Image : WANG Zhao / AFP

La Une d'un journal chinois avec la rencontre entre le président chinois Xi Jinping et le président français Emmanuel Macron est exposée dans une vitrine publique dans un parc de Pékin le 7 avril 2023.

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