AccueilExpressions par MontaigneStratégie de sécurité nationale de la Chine : une lecture du nouveau Livre blancLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Asie14/05/2025ImprimerPARTAGERStratégie de sécurité nationale de la Chine : une lecture du nouveau Livre blancAuteur Mathieu Duchâtel Directeur des Études internationales, Expert Résident La Chine a fait paraître le 12 mai son Livre blanc de sécurité nationale, partie émergée d'une stratégie quinquennale 2026-2031. Quelles sont les priorités chinoises ? Taiwan, Ukraine, soft power, autonomie stratégique, extraterritorialité ou mondialisation : comment la Chine veut-elle apparaître dans un monde percuté par les réorientations américaines ? Au-delà de l'écart entre les mots et les actes, c'est une posture de relative confiance stratégique qui se donne à lire et qui, nous dit Mathieu Duchâtel, nous donne à penser. “Quand vous êtes en sécurité, ne perdez pas de vue la possibilité du danger ; quand vous êtes en vie, n’oubliez pas que la mort guette ; et quand vous gouvernez les affaires de l’Etat, gardez à l’esprit le risque de descente dans le chaos” (安而不忘危,存而不忘亡,治而不忘乱). Le Livre blanc sur la sécurité nationale que la République populaire de Chine a rendu public le 12 mai affirme que “5000 ans de civilisation ininterrompue ont enraciné, dans la nation chinoise, une tradition stratégique de sécurité nationale, riche et profonde”. Dans cette perspective, le concept de “sécurité nationale globale” promu par Xi Jinping est présenté comme l’héritier naturel de cette culture plurimillénaire.Contrairement aux États-Unis, la Chine n'a jamais rendu publique une stratégie de sécurité nationale. Si certaines sources non officielles laissent entendre qu’un plan quinquennal aurait été adopté en 2021 pour structurer l’action publique dans ce domaine, aucun document officiel n’est venu en attester.Contrairement aux États-Unis, la Chine n'a jamais rendu publique une stratégie de sécurité nationale.Dans ce contexte, le nouveau Livre blanc pourrait être la partie émergée d’une nouvelle stratégie quinquennale, qui couvrirait la période 2026-2031. Une actualisation semblerait logique, compte tenu des transformations de l’environnement international provoquées par les politiques de l'administration Trump.Le Livre blanc met en avant quatre axes majeurs, désormais familiers aux observateurs de la Chine contemporaine.La centralité du concept de sécurité nationale globale de Xi Jinping, introduit en avril 2014 lors de la première réunion plénière de la Commission centrale de sécurité nationale. Ce concept est d’une portée très large, couvrant la politique, le militaire, le territoire, l’économie, la finance, la culture, la société, la science et la technologie, le cyberespace, l’alimentation, l’écologie, les ressources, les questions nucléaires, les intérêts à l’étranger, l’espace extra-atmosphérique, les grands fonds marins, les régions polaires, la biologie, l’intelligence artificielle et les données. Le Livre blanc souligne toutefois que l’objectif n’est pas de “sécuriser tous les aspects de la vie”, mais de “renforcer le caractère systémique, global et coordonné du travail en matière de sécurité nationale, et de mener efficacement une campagne globale pour la sécurité nationale (打好国家安全总体战)”. L’élévation de la “sécurité politique” au rang de “ligne de vie de la sécurité nationale dans la Nouvelle ère” constitue un autre point central. Celle-ci porte sur la préservation du système socialiste, de la direction du Parti communiste chinois et de l’ordre constitutionnel socialiste. Selon le Livre Blanc, la sécurité politique est désormais intégrée dans l’ensemble des domaines de gouvernance, avec des mécanismes de détection précoce des risques et de gestion préventive non explicités dans le détail, mais qui renvoient vraisemblablement au maillage étroit des cellules du Parti, dans toutes les organisations. Dans le même registre, le Livre blanc insiste sur la sécurité idéologique, définie comme la défense de la doctrine marxiste et le maintien du contrôle sur la parole publique et le cyberespace. La politique de sécurité nationale, conçue comme un soutien à la “modernisation à la chinoise”, c’est-à-dire à la fourniture de résultats tangibles à la population, conformément à ce qui est attendu d’un gouvernement de services. Au risque d'étirer les limites conceptuelles de la sécurité nationale, le Livre blanc met ainsi l'accent sur les résultats obtenus dans divers domaines, notamment : - un taux d'homicides volontaires de 0,44 pour 100 000 habitants, l'un des plus bas au monde (il est d’environ 1,2 pour 100 000 habitants en France, avec des variations considérables selon les catégories de population et les départements), chiffre qui ferait de la Chine le troisième pays le plus sûr au monde selon les données de l'ONU pour 2023 ; - seulement 9 accidents industriels majeurs en 2024, première année qui voit ce chiffre passer sous la barre de 10 ; - Une amélioration substantielle de la qualité de l'air et des progrès en matière de reforestation, qui vont dans le sens des objectifs mondiaux en matière d’environnement ; - L'évacuation de 10000 ressortissants chinois des zones à haut risque en 2024 - un chiffre élevé qui mériterait d’être explicité, si l’on rappelle que l'opération principale menée en 2024 concernait l'évacuation de 200 citoyens chinois du Liban. La recherche de l’équilibre entre objectifs de sécurité nationale et développement. Le Livre blanc affirme qu’il est désormais nécessaire de disposer "d’un niveau de sécurité plus élevé pour soutenir un développement de meilleure qualité". Il appelle à une intégration plus systématique des risques dans les arbitrages politiques, et à l’évaluation des stratégies de développement à l’aune de leurs implications sécuritaires. Pour concrétiser cette approche, le document identifie quatre priorités structurelles : o La mise en place d’un système national de surveillance des risques sécuritaires et d’alerte précoce ; o La constitution de réserves stratégiques de matières premières afin de renforcer l’autonomie nationale ; o Le développement d’infrastructures urbaines résilientes et de capacités de réponse aux catastrophes naturelles, dans un contexte marqué par le changement climatique ; o La préservation d’un environnement macroéconomique stable, afin de contenir les fragilités financières et prévenir les risques systémiques. La section se conclut par un rappel de l’importance des instruments de droit dans le dispositif de sécurité nationale - un trait distinctif de l’approche de Xi Jinping. Ce point a d’ailleurs fait l’objet d’une analyse approfondie dans une récente note d’éclairage de l’Institut Montaigne, Extraterritorialité chinoise : le nouvel arsenal juridique.Trois dimensions du Livre blanc méritent une attention particulière, tant elles résonnent avec les grandes tendances actuelles en matière de sécurité extérieure - notamment dans le contexte de la rivalité stratégique entre les États-Unis et la Chine, intensifiée sous la présidence Trump.Premièrement, la Chine se présente comme une "source de stabilité et de certitude" dans un monde en proie à l’instabilité, et comme le "défenseur de la mondialisation, mais de manière non inconditionnelle", une nuance qui vise sans doute à justifier les ripostes chinoises contre les mesures douanières américaines, et les restrictions d’accès à certains technologies. Or bien qu’il insiste sur la montée des risques géopolitiques, le Livre Blanc adopte un ton résolument optimiste : il évoque une trajectoire historique irréversible vers "la paix, le développement, la coopération et les échanges gagnant-gagnant" et salue la montée en puissance des pays du Sud comme facteur de stabilisation dans les affaires internationales. À cet égard, le discours du Livre blanc est résolument performatif.Il évoque une trajectoire historique irréversible vers "la paix, le développement, la coopération et les échanges gagnant-gagnant" et salue la montée en puissance des pays du Sud comme facteur de stabilisation dans les affaires internationalesLe deuxième point concerne le message adressé sur Taiwan et les relations entre les deux rives du détroit. Le Livre blanc insiste sur la "sincérité" du Parti dans sa volonté d’aboutir à une réunification pacifique. Il poursuit l’offensive sur le terrain du droit amorcée par Pékin en interprétant la résolution 2758 de l’ONU comme une reconnaissance internationale du principe d’"une seule Chine réunifiée".Or, cette résolution adoptée en 1971 ne faisait que transférer le siège onusien de la Chine des "représentants de Tchang Kaï-chek" à ceux de la République populaire de Chine, sans évoquer le statut de Taiwan ni statuer sur sa souveraineté.Le document indique toutefois dans l’ensemble une nette préférence pour la tactique du Front uni, fondée sur l’influence politique et sociétale, plutôt que pour la coercition militaire. Sur ce sujet, rien n'indique que Pékin soit prêt à agir avec précipitation. Les termes choisis par le Livre blanc suggèrent même que les dirigeants chinois pourraient voir dans le contexte actuel une une fenêtre d’opportunité pour faire avancer leur agenda d’unification, en tirant parti de la polarisation politique interne de Taiwan, et en misant sur une diplomatie habile à l’égard du Président américain, qui viserait à l’amener à des concessions rhétoriques sur Taiwan, même à rebours des positions de l'avis de son équipe de sécurité nationale.Troisièmement, la résilience de la chaîne d'approvisionnement est érigée au rang de priorité stratégique. L’autosuffisance en céréales est présentée comme une préoccupation majeure et le Livre blanc affiche un certain satisfecit sur ce point : après une décennie de stabilité autour de 650 millions de tonnes, la production agricole a franchi le seuil des 700 millions de tonnes en 2024. Le document souligne l’importance d’investissements continus dans les innovations en matière de semences ainsi que de systèmes de stockage des denrées alimentaires. Le document insiste sur l’importance de l’autonomie agricole comme fondement de la sécurité nationale. Il réaffirme également la nécessité de diversifier les sources d’énergie, d’accroître les réserves stratégiques en minerais critiques, et de développer des technologies propres. Plus globalement, la réduction de l’exposition aux goulets d’étranglement technologiques et, au-delà, de la dépendance aux technologies étrangères est présentée comme un pilier central de la stratégie de sécurité nationale. Cette orientation, conjuguée à l’investissement soutenu de la Chine dans ses capacités militaires - même si le Livre blanc n’en fait aucune mention explicite - rappelle l’ambition stratégique sous-jacente : se doter des moyens nécessaires à une victoire dans un conflit entre grandes puissances. Le Livre blanc traduit également une volonté affirmée d’ancrer l’autorité morale de la Chine dans les affaires internationales. IIl inscrit la vision sécuritaire de Xi Jinping dans la continuité de l’histoire longue du pays. La citation tirée du Livre perdu des Zhou, "内事文而和,外事武而义", que l’on peut traduire par "la politique intérieure est pleine d’harmonie quand elle est gouvernée avec vertu et civilité ; les affaires extérieures doivent être gérées en faisant preuve de force, et la puissance militaire ne peut être utilisée que si elle sert une cause juste", est devenue une référence récurrente dans les documents relatifs à la sécurité nationale et à la défense. Elle témoigne de la conviction des dirigeants que le recours excessif à la force militaire ou, au contraire, une gouvernance intérieure trop permissive risquent de compromettre les acquis de la Chine : dès lors, le principal défi stratégique consiste à maintenir un équilibre prudent entre les deux.Si cette quête d’autorité morale n’est pas nouvelle, elle prend désormais une signification particulière dans un contexte international où les États-Unis semblent déserter ce terrain. Il faut donc s'attendre à ce que la Chine gagne en soft power, même si dans les faits, son comportement international ne s’aligne pas toujours sur les principes qu’elle proclame, et les contredit parfois ouvertement.Le Livre blanc traduit également une volonté affirmée d’ancrer l’autorité morale de la Chine dans les affaires internationales. IIl inscrit la vision sécuritaire de Xi Jinping dans la continuité de l’histoire longue du pays.L’exemple le plus manifeste de cette dissonance entre discours et action concerne la guerre en Ukraine. Alors que Pékin apporte un soutien critique à l’invasion russe, le Livre blanc adopte une posture de neutralité bienveillante, affirmant que "la souveraineté et l’intégrité territoriale de tous les pays doivent être respectées".Ce décalage illustre l’une des faiblesses majeures de la politique étrangère chinoise : un manque de cohérence entre les actes et les déclarations. De nombreux pays ne s’y arrêtent certes pas, que ce soit par idéologie anti-américaine, par "what-a-boutisme" (rhétorique qui consiste à répondre à une critique ou à une accusation en détournant l’attention vers une autre faute, réelle ou supposée, commise par l’interlocuteur ou un tiers, plutôt que de répondre sur le fond), ou par pure ignorance des intérêts qui guident les politiques chinoises.Dans l’ensemble, au-delà de sa dimension performative destinée à façonner le récit chinois des relations internationales, le Livre blanc adopte une posture de confiance stratégique, malgré les inquiétudes du régime quant à sa propre sécurité, qui transparaissent en filigrane tout au long du document. Mais ces inquiétudes s’effacent derrière l’affirmation selon laquelle la Chine est désormais "mieux équipée" pour se défendre contre les menaces extérieures et pour façonner son environnement de sécurité extérieure, affirmation qui résume sans doute le mieux l’esprit général de ce Livre blanc de sécurité nationale.Copyright Nicolas ASFOURI / AFPImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneJanvier 2025[Scénarios] - Chine 2035 : un succès sans entraves ?L’ère Xi Jinping vise la prévisibilité, mais la Chine intrigue encore. Entre ambitions technologiques, centralisation et défis internes, son avenir dépendra des réactions mondiales. 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