AccueilExpressions par MontaignePlan de paix russo-américain sur l’Ukraine : Trump tombe le masqueLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Russie24/11/2025ImprimerPARTAGERPlan de paix russo-américain sur l’Ukraine : Trump tombe le masqueAuteur Michel Duclos Expert Résident, Conseiller spécial - Géopolitique et Diplomatie Préparés par les administrations américaine et russe, les 28 points d'un nouveau plan censé mettre fin à la guerre en Ukraine ont été dévoilés dans la nuit du 20 au 21 novembre. Déséquilibré au profit des Russes, le plan semble surtout destiné à semer la discorde entre les alliés et faire gagner du temps à M. Poutine. Surtout, il humilie des Européens tenus à l’écart. Comment manœuvrer face à un texte inacceptable tout en ne braquant pas l'indispensable Président Trump ? De quelles cartes disposent les grandes capitales européennes ? Novembre 2025 restera probablement dans les annales de l’Histoire comme un tournant majeur dans l’affaire ukrainienne : au début de la semaine du 17, se répandait la rumeur qu’un "plan de paix" avait été concocté par Steve Witkoff et Kirill Dmitriev, les émissaires américains et russes sur le conflit ukrainien - un plan en 28 points dont tous les observateurs pouvaient constater, au fur et à mesure que son texte était connu, qu’il penchait très nettement dans le sens des intérêts russes.Un plan aussi mal ficelé que déséquilibréEn particulier, la Russie obtiendrait selon ce texte la totalité des oblasts de Louhansk et de Donetsk (toujours pas complètement conquis actuellement par les armées russes) tandis que les régions de Zaporizhzhya et Kherson seraient partagées selon la ligne de contact actuelle ; les forces armées ukrainiennes seraient plafonnées à 600 000 hommes ; des garanties de sécurité américaine et européenne seraient accordées à l’Ukraine mais en termes vagues - et contre "compensation" s’agissant des États-Unis. Les clauses sur l’usage du russe, la question des minorités, l’affirmation des droits de l’Église orthodoxe d’obédience russe sont plus difficiles à analyser pour des observateurs extérieurs mais visent vraisemblablement à déstabiliser la cohésion sociale ukrainienne. Les formulations excluant tout accès de l’Ukraine à l’OTAN obligeraient les Ukrainiens et l’OTAN elle-même à des reniements humiliants.La Russie obtiendrait selon ce texte la totalité des oblasts de Louhansk et de Donetsk [...] tandis que les régions de Zaporizhzhya et Kherson seraient partagées selon la ligne de contact actuelle.Différents commentateurs ont souligné les contradictions internes, les nombreuses imprécisions quand ce ne sont pas les absurdités d’un texte dont certains passages sont directement traduits du russe et ont peu de sens en anglais.Observons pour notre part que les "28 points" ont visiblement été rédigés par certains secteurs seulement des cercles dirigeants à Moscou comme à Washington, en comité très restreint ; c’est ce qui explique que les considérations économico-commerciales (et la rétribution des Américains !) prennent tant de place dans le texte tandis que les clauses relatives à la sécurité paraissent d’un amateurisme stupéfiant, au point, pour ne prendre qu’un seul exemple, que le texte parle d’une prolongation de l’accord Start 1 (limitation des armes stratégiques russes et américaines) alors que "new Start" a remplacé Start depuis 2010.Du côté russe, il est difficile d’identifier qui, au-delà de l’homme d’affaire Kirill Dmitriev, proche de la famille Poutine, a été impliqué ; manifestement pas Sergei Lavrov par exemple, qui ne retrouvera pas dans ce texte son obsession des "causes profondes" de la crise ukrainienne ; les déclarations de M. Poutine qui ont suivi la révélation des 28 points laissent un doute sur son adhésion réelle au plan ; il s’agit plutôt pour lui, vraisemblablement, de semer un peu plus de discorde entre l’Ukraine, les États-Unis et l’Europe, ainsi qu’au sein de l’Ukraine elle-même, dans le contexte que l’on sait d’affaiblissement du président Zelenski. Du côté américain, c’est l’axe Vance-Witkoff qui a été à la manœuvre, avec une implication de Jared Kushner ("M. Gendre") et pour appendice le vice-ministre à la Guerre en charge de l’armée de Terre, Dan Driscoll, proche de J.D. Vance ; visiblement, Marco Rubio, le Secrétaire d’État, n’est pas convaincu ; il aurait même dit à des sénateurs qu’il s’agit d’un "plan russe" et non américano-russe. De manière significative, la fuite du plan est venue de M. Dmitriev, comme s’il s’agissait pour lui de "figer" les 28 points avant qu’ils ne soient sérieusement examinés au sein de l’administration américaine et entre Washington et ses alliés. S’agissant de M. Trump lui-même… nous y reviendrons un peu plus loin, car il s’agit évidemment de la question essentielle.28 points qui ne satisfont ni les Russes ni les EuropéensObservons par ailleurs qu’en dépit du caractère déséquilibré du texte, ses auteurs se sont manifestement efforcés - en quelque sorte comme l’auraient fait des diplomates amateurs - à trouver des compromis sur certains points particulièrement sensibles. Ainsi, sur la méthode, les 28 points pourraient fonctionner comme un "accord cadre", à mi-chemin entre la demande d’un cessez-le-feu suivie de négociation de paix (position occidentale avant la rencontre Poutine-Trump d’Anchorage) et l’exigence russe d’un "accord de paix" précédant un cessez-le-feu ; s’agissant des concessions territoriales attendues de Kiev, la "démilitarisation" des régions du Donbass dont devraient se retirer les Ukrainiens peut apparaître comme un moyen terme entre l’exigence du Kremlin d’un contrôle russe de toute cette région et le rejet ukrainien de cette exigence, pour des raisons de principe mais aussi de sécurité ; la "démilitarisation" de ces zones est probablement censée répondre à cette dernière préoccupation. Autre exemple, l’annexion par la Russie de 20 % du territoire ukrainien serait reconnue "de facto" par les États-Unis et d’autres États (lesquels ?) - ce qui va dans la direction des Russes mais en droit international n’aurait guère de signification.Nous en arrivons ainsi à un paradoxe : si défavorable qu’il soit aux intérêts et à la souveraineté de l’Ukraine, ce "plan" comporte quand même des éléments qui devraient en bonne logique le rendre difficilement acceptable pour le Kremlin ; ainsi, la levée des sanctions se ferait de manière progressive ; les Russes ne recouvreraient pas leurs avoirs stockés l’étranger (bizarrement affectés à hauteur de 100 milliards de dollars à un fond d’investissement américano-ukrainien dont 50 % des bénéfices reviendraient aux États-Unis) ; comme nous l’avons déjà noté, la démilitarisation de certains territoires du Donbass n’est certainement pas conforme à ce que souhaite Moscou ; de même le plafond fixé aux forces armées ukrainiennes demeure probablement très au-dessus de ce que veut M. Poutine (lors des négociations qui se sont déroulées entre Russes et Ukrainiens en mars-avril 2022, les premiers exigeaient une réduction des forces armées ukrainiennes à 85 000 hommes, les Ukrainiens avaient pour objectif 250 000 hommes) ; par ailleurs, aucune limitation claire n'apparaît dans le texte Witkoff- Dmitriev sur les capacités de frappe ukrainienne sur le territoire russe ou sur la coopération militaire entre l’Ukraine et les États-membres de l’OTAN (à distinguer de l’OTAN en tant que telle).Une clause énigmatique prévoit que les "avions de combat européens seraient basés en Pologne", sans que l’on comprenne très bien s’il s’agit des avions de combat transférés par des Européens aux Ukrainiens ou des avions d’une force de réassurance européenne qui n’auraient ainsi pas le droit de stationner en Ukraine même.Du point de vue des Européen, un autre paradoxe du "plan Witkoff-Dmitiriev" est qu’un certain nombre de ses dispositions les concernent directement, sans qu’ils aient été en quoi que ce soit consultés. Ils ont même été délibérément tenus à l’écart par les co-auteurs américains du plan. Ainsi, le conseiller national à la sécurité britannique, Jonathan Powell, avait fait le déplacement à Miami - où se tenaient les discussions entre émissaires russes et américains - pour tenter d’influencer M. Witkoff, mais celui-ci ne l’avait en rien mis dans la confidence de ses tractations avec M. Dmitriev. Il reste que les grandes capitales européennes disposent de certaines cartes : l’essentiel des avoirs russes gelés sont logés en Europe ; l’essentiel des sanctions dépendant aussi de décisions de Bruxelles et de Londres ; même soumis traditionnellement aux États-Unis dans le cadre de l’OTAN, les Européens ont quand même leur mot à dire dans cette organisation ; enfin et surtout, les mécanismes de garanties de sécurité mentionnés dans le "plan" Witkoff dépendent en partie d’une implication forte des Européens.Comme l’Ukraine, l’Europe doit concilier l’impératif de redresser le plan de paix et celui de "ne pas perdre les États-Unis".Comme l’Ukraine, l’Europe doit concilier l’impératif de redresser le plan de paix et celui de "ne pas perdre les États-Unis". C’est pourquoi, les dirigeants européens se sont déclarés prêts à travailler sur la base du plan en 28 points, qu’il s’agit d’améliorer sans remettre en cause les grands paramètres qu’il comporte. Dans cette optique, des représentants de l’Administration Trump - dont M. Rubio - et les conseillers nationaux à la sécurité des grands pays européens et de l’Ukraine se sont retrouvés à Genève dès le 23 novembre pour discuter des termes de la proposition de paix russo-américaine.Scénarios possiblesQue peut-il se passer maintenant ? L’élément encourageant réside dans le débat aux États-Unis : le président Trump a d’abord endossé totalement le plan et déclaré qu’il ne laissait à M. Zelenski que jusqu’au jeudi 27 - Thanksgiving - pour l’accepter ; puis il a précisé que le plan était amendable et qu’il était disposé à tenir compte de propositions des alliés ; sans doute est-il conduit à adopter cette ligne parce que le plan en 28 points a soulevé un début de tollé auprès des sénateurs républicains eux-mêmes. Dans l’état actuel des choses, ceux-ci sont les meilleurs alliés des Européens.Une chance existe donc qu’en définitive, une nouvelle fois les alliés des États-Unis, parviennent à rétablir un front à peu près commun avec les États-Unis, sur une ligne raisonnable. Les premières déclarations de M. Rubio et des officiels ukrainiens à l’issue des discussions de Genève vont dans ce sens. Demeurent toutefois deux risques majeurs et la réalité d’un changement fondamental de paramètre - étant entendu par ailleurs qu’en l’état actuel du rapport des forces, un cessez-le-feu rapide est souhaitable pour l’Ukraine et que cette dernière devra sur le fond, notamment en matière territoriale, consentir à des sacrifices.Premier risque : ce serait qu’une fois de plus Vladimir Poutine gagne du temps, si les prochaines semaines sont consacrées essentiellement à des négociations dites de paix au lieu de voir le nécessaire effort de renforcement de l’Ukraine et d’affaiblissement de la Russie par des sanctions s’intensifier. Il serait important notamment qu’au prochain conseil européen à la mi-décembre, l’UE trouve le courage de passer aux actes dans la confiscation des avoirs russes, pour couper court à tout arrangement russo-américain sur le sujet. Deuxième risque : que Donald Trump prenne prétexte de la prolongation des combats pour se retirer plus ou moins complètement du soutien à l’Ukraine et de la recherche d’un accord ; il suivrait ainsi une pente qui lui est naturelle.L’administration américaine actuelle ne se considère plus comme le pilier de la sécurité européenne aux côtés des Alliés, mais comme au mieux un "tiers de confiance" entre les Européens et les Russes.Quel changement de paradigme ? Il est symbolisé par le point 4 du "plan" qui indique que des discussions se dérouleront "entre l’OTAN et la Russie, sous la médiation des États-Unis". On ne peut mieux dire que l’administration américaine actuelle ne se considère plus comme le pilier de la sécurité européenne aux côtés des Alliés, mais comme au mieux un "tiers de confiance" entre les Européens et les Russes.De ce point de vue, novembre 2025 aura marqué le moment où Donald Trump aura tombé le masque pour de bon. Les Européens doivent prendre conscience de leur changement de statut au yeux de Washington : encore des clients sans doute (au sens latin du terme), plus vraiment des alliés.Copyright image : Fabrice COFFRINI / AFP Le secrétaire d’État américain Marco Rubio et le directeur de cabinet du président Zelensky, l’Ukrainien Andriy Yermak.ImprimerPARTAGERcontenus associés à la uneNovembre 2025[Scénarios] L’OTAN à l’épreuve de la menace russe : l’hypothèse balteLes incursions de drones russes et cyber-attaques en 2025 menacent l’Europe. Cette note analyse le risque d’escalade russe, l’impact d’un désengagement américain et les réponses possibles de l’OTAN et de l’UE pour sécuriser les pays baltes.Consultez la Note d'éclairage 03/07/2025 Le président Macron a-t-il eu raison de renouer le dialogue avec Vladimir P... Michel Duclos 26/02/2025 [Le monde vu d'ailleurs] - L’Europe, Poutine et Trump : vu de Moscou, trian... Bernard Chappedelaine 19/02/2025 La semaine où tout a basculé Michel Duclos