Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
15/07/2020

L'isolement du Royaume-Uni n'a plus rien de splendide

Imprimer
PARTAGER
L'isolement du Royaume-Uni n'a plus rien de splendide
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Londres a généreusement ouvert ses portes aux Chinois de Hong Kong voulant fuir le régime de Xi Jinpping. Un geste d'ouverture qui contraste avec le Brexit. Mais en prenant ses distances avec l'Union européenne, le Royaume-Uni a toutefois compromis toute possibilité de peser vraiment face à un géant tel que la Chine.

Il y a quatre ans, par référendum, les Britanniques disaient "oui" au Brexit. Leur vote n'était pas seulement un "non" à l'Union européenne. C'était un "non" à tous ces migrants - dont le fameux plombier polonais - qui envahissaient leur "île enchantée" et mettaient en danger leur identité. En juin 2016, de nombreux citoyens britanniques d'origine asiatique ou africaine, tous membres de l'ancien empire, avaient rejoint le camp des Brexiters, comme si, en votant "non", ils s'étaient sentis plus britanniques. Leur sentiment d'appartenance au Commonwealth avait pour eux un contenu culturel. L'Europe restait une abstraction pour la plupart.

En cet été 2020, assisterions-nous à un spectaculaire retournement dans la relation des Britanniques à l'Autre ? Non pas qu'ils veuillent revenir en Europe, mais, encouragés par leur gouvernement, ils se déclarent prêts à accueillir plus de 3 millions de Chinois de Hong Kong : tous ceux qui peuvent prétendre à la citoyenneté britannique.

Comment expliquer ce paradoxe apparent ? Pourquoi tant de fermeture mesquine hier et d'ouverture généreuse aujourd'hui ?

Le choix du "grand large"

La différence de traitement entre les Européens de l'Est et du Centre et les Asiatiques n'est évidemment pas le produit de la géographie. Se pourrait-il qu'elle s'explique par l'histoire politique ? S'agit-il, pour la Grande-Bretagne, "la mère des démocraties", d'assurer avant tout la protection de démocrates, anglophones de surcroît, habitués à la liberté de la presse et à l'indépendance de la justice ou/et d'accueillir une population éduquée et à fort potentiel économique ? Ce geste généreux ou/et intéressé, s'inscrit dans la logique d'une politique d'immigration choisie, qui ne peut être perçue que comme une provocation par la Chine. La réaction de Beijing a été immédiate et virulente : "Pour qui vous prenez-vous ? Nous sommes au XXIe siècle : vous n'êtes plus rien, et nous sommes tout, nous ne jouons plus dans la même catégorie !"

Sur le plan international, le Royaume-Uni a perdu en crédibilité et légitimité ce qu'il a peut-être gagné en liberté par ailleurs.

C'est là où le bât blesse pour la Grande-Bretagne. Depuis le Brexit, elle est peut-être en train de retrouver une liberté qui lui permet, unilatéralement, de procéder à des ajustements internes post-Covid comme bon lui semble. Mais, sur le plan international, le Royaume-Uni a perdu en crédibilité et légitimité ce qu'il a peut-être gagné en liberté par ailleurs. L'évolution récente du monde ne joue pas - c'est le moins que l'on puisse dire - en faveur du choix réitéré par la Grande-Bretagne du "grand large".

La loi du plus fort

Dans un monde toujours plus dur, où une logique de "blocs" est en train de se reconstituer sous nos yeux, comme au temps de la guerre froide, est-il raisonnable pour les Britanniques de se retrouver plus seuls encore face aux Chinois ? C'est au moment où le Royaume-Uni voulait faire la démonstration de la justesse de son choix de devenir une puissance globale, entre l'Asie et l'Occident, libéré des contraintes de l'Union, qu'il se retrouve dans un isolement qui n'a rien de splendide, entre une Chine de plus en plus agressive et une Amérique de moins en moins rassurante. Que vaut l'idéal de liberté s'il signifie, dans la réalité, le choix de la solitude au plus mauvais moment ? Comme le faisait remarquer récemment Chris Patten, le dernier gouverneur de Hong Kong, la Grande-Bretagne n'est plus "qu'une puissance moyenne", et face à la Chine, elle ne fait tout simplement pas le poids, et surtout pas sur le plan du commerce.

Hier encore, au sein de l'Union européenne - un acteur qui compte en la matière - elle pouvait prétendre faire (presque) jeu égal avec la Chine. Dans le rapport de forces actuel, la main tendue de Londres aux citoyens de Hong Kong fait paradoxalement preuve d'une qualité traditionnellement associée aux Français, plus qu'aux Britanniques : le panache. À moins, bien sûr, qu'il ne s'agisse que de "paroles" : une offre d'autant plus généreuse, que l'on sait à l'avance qu'elle ne pourra pas être sérieusement suivie d'effet. Combien de citoyens de Hong Kong auront-ils la possibilité de choisir la liberté et cet État de droit que les Britanniques ont instillé en eux avec succès au fil du temps ? Beijing se sent en position de force et, au-delà de la Grande-Bretagne, souhaite faire la démonstration de sa puissance, pour dissuader le monde extérieur de s'occuper, de ce qui, en réalité, le regarde : la remise en cause des traités, l'application de la loi du plus fort.

Menace chinoise

Ce n'est pas que l'Union européenne fasse preuve sur la question de Hong Kong, et plus globalement dans ses relations avec la Chine, d'un courage et d'une volonté de fer. On distinguerait parfois en son sein comme une compétition "d'instincts collaborationnistes". Tout se passe comme si l'Europe se refusait à prendre pleinement conscience de la réalité nouvelle de la Chine. Le traitement de la question de Hong Kong par Beijing n'est-il pas, pour la compréhension de la Chine, l'équivalent de ce qu'est le Covid-19 pour la compréhension du monde : un révélateur et un accélérateur ?

Tout se passe comme si l'Europe se refusait à prendre pleinement conscience de la réalité nouvelle de la Chine.

Dans un article publié récemment par le Financial Times, l'ancien chef du MI6 (les services secrets britanniques), Sir John Sawers invitait la Grande-Bretagne à interdire à Huawei de participer au réseau de la 5G. L'utilisation d'équipements chinois en matière de télécoms pouvait présenter un risque sérieux en matière de sécurité. Aussi, faire face à la Chine avec détermination était devenu le seul choix possible, concluait-il.

La Grande-Bretagne combine le courage de ses ouvertures aux citoyens de Hong Kong avec la lucidité de l'analyse de ses meilleurs experts sur la réalité de la menace chinoise. Le paradoxe est qu'en ayant quitté l'Union européenne, elle se retrouve un peu seule dans la justesse de ses positions. Comment avoir "tout juste" sur la Chine, alors que l'on a "tout faux" sur l'Europe ? Ce ne sont pas les quelques milliers (ou dizaines de milliers) de citoyens de Hong Kong qui finiront par arriver en Grande-Bretagne qui rétabliront la balance de cette équation.

 

Copyright : Nicolas ASFOURI / AFP

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 12/07/2020)

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne