AccueilExpressions par Montaigne[Lectures] - De Xi Zhongxun à Xi Jinping : héritage politique et portrait chinoisLa plateforme de débats et d’actualités de l’Institut Montaigne Asie19/09/2025ImprimerPARTAGER[Lectures] - De Xi Zhongxun à Xi Jinping : héritage politique et portrait chinoisAuteur François Godement Expert Résident, Conseiller spécial - Asie et États-Unis Qui est Xi Jinping ? À travers sa recension de la biographie que consacre Joseph Torigian à Xi Zhongxun, le père de Xi Jinping, François Godement rappelle que le destin des héritiers (souvent des survivants) politiques en Chine est mal connu. Ce portrait intime en forme de parcours historique remonte à la source généalogique et éclaire une génération politique qui s'est affirmée en passant par des épreuves d'une rare dureté.Xi Zhongxun (1913-2002), le père de Xi Jinping, appartenait au premier cercle des dirigeants du PCC, héritiers directs des fondateurs du Parti en 1921. La vie de celui qui fut militant révolutionnaire dès l’âge de quatorze ans et très tôt pris dans le tourbillon des luttes internes au Parti communiste chinoises est émaillée de dangers. Emprisonné cinq fois, dont quatre sur ordre de ses propres camarades, il a connu deux fois un long exil intérieur - de 1962 à 1973, et à nouveau de 1990 à sa mort, quoique dans des conditions moins difficiles. Il joua un rôle charnière à plusieurs reprises, entre la direction centrale et des zones de guérilla du Nord-Ouest dans les années 30, dans l’historiographie du Parti en 1960, dans la gestion du dossier tibétain (en particulier en 1982-1985). Fut-il un modèle ou un contre-exemple pour son fils, qui est devenu un maître de la tactique politique au point de détenir un pouvoir quasi égal à celui naguère détenu par Mao Zedong ? Quelles sont les leçons que Xi Jinping a retenues de son père ? Ceux qui estiment au contraire que le dirigeant chinois a pris une direction entièrement opposée en matière de réformes et de direction du Parti ont-ils raison ? Xi se considère-t-il lui-même comme le membre le plus éminent de la deuxième génération, celle des fils de cadres révolutionnaires? C’est à toutes ces questions que tâche de répondre Joseph Torigian, à travers la biographie qu’il propose du père de Xi Jinping : The Party’s Interests Come First - The Life of Xi Zhongxun, Father of Xi Jinping, publié aux éditions Stanford University Press cette année. La tâche est malaisée tant les zones de mystère subsistent mais les sources, abondantes, apportent une lumière indispensable qui complète notamment deux autres ouvrages plus anciens sur les "fils de prince" ou héritiers politiques en Chine, qu’il s’agisse de Les Fils de Princes, une génération au pouvoir en Chine, de Jean-Luc Domenach, ou de "Avec toi au pouvoir, je suis tranquille" - Hua Guofeng (1921-2008), de Stéphane Malsagne.Fut-il un modèle ou un contre-exemple pour son fils, qui est devenu un maître de la tactique politique au point de détenir un pouvoir quasi égal à celui naguère détenu par Mao Zedong ?Si la Chine ignore officiellement la psychanalyse dont l’Occident a raffolé, elle est fascinée par les rapports père-fils (bien moins par les relations père-fille ou mère-fille, tant l’héritage reste intrinsèquement lié au masculin, les femmes faisant, ou ayant fait, plus simplement l’objet d’un échange contre dot). Les daizi (fils de prince) ou hong’er dai (héritiers rouges) à l’intérieur du Parti communiste ont souvent défrayé la chronique, rempli les rangs des affairistes et pris une place d’autant plus grande qu’ils maîtrisaient les réseaux et connaissaient les codes du système.Mao et la Révolution culturelle ont pourtant tout fait pour casser la logique d’héritage parental – les organisations de Gardes rouges s’opposaient à la théorie de la filiation révolutionnaire par le sang et ont démantelé non seulement l’échelon supérieur du Parti mais aussi les familles de cadres. Ce ne sont pas les seuls, il est vrai, à avoir été les cibles de Mao et des dirigeants radicaux : toute une génération de cadres prolétariens et peu éduqués promus par le Grand Bond en avant de 1958 ont aussi chuté au début de la Révolution culturelle, la base populaire saisissant cette occasion de se venger de leurs abus de pouvoir.De plus, comme il se voit souvent dans un mouvement révolutionnaire, bien des pères de hong’er dai étaient eux-mêmes issus des milieux privilégiés de la société pré-communiste : propriétaires fonciers, membres éduqués de la gentry. Cette origine sociale était taboue pour la génération révolutionnaire. On peut malgré cette donnée faire une analogie avec la noblesse napoléonienne, qui s’est substituée à l’aristocratie d’Ancien Régime. Et d’une certaine manière, ce qu’on peut appeler la “Restauration chinoise” d’après 1976 est bien celle de cette hérédité récente, qui s’est substituée encore aux élites traditionnelles. Longtemps encore, le Parti a assuré et assure encore son monopole en mettant des obstacles à la reproduction sociale telle que décrite exemplairement par Bourdieu : du début des années 50 à la décennie 90, une majorité d’étudiants sont issus de familles paysannes ou ouvrières ; les enfants d’entrepreneurs ou de classes moyennes ne prennent l’avantage que plus tard. Si les fils de cadres ne retrouvent jamais le quasi-monopole qu’ils avaient acquis à la veille de la Révolution culturelle, ce n’est qu’au début des années 2000 que la proportion d’enfants d’entrepreneurs dépasse celle des enfants de cadres politico-administratifs dans les universités. Cette éclosion d’une nouvelle élite – avec une diversification des étudiants qui dépasse tout de même celle de bien des pays occidentaux – est de nouveau freinée par Xi Jinping, quand celui-ci prend en 2021 des mesures pour limiter l’éducation privée et en pratique le bachotage organisé en vue du gaokao, le célèbre examen qui commande l’entrée aux universités.Et pourtant… Les continuités à la fois au sein des familles révolutionnaires, et avec les anciennes coutumes, restent frappantes. Mao lui-même avait donné l’exemple dans l’interview autobiographique livré à Edgar Snow en 1936 (à retrouver dans la quatrième partie du volume Étoile Rouge sur la Chine, publié en français chez Stock en 1965). Il y dépeint son père, paysan riche (selon la mesure d’alors…), strict et même tyrannique, et sa mère, dont le bouddhisme inspirait un esprit plus charitable. Mais Mao se décrivait comme le chef d’une opposition familiale. À la lecture de la biographie de Xi Zhongxun par Joseph Torigian, on apprend que Xi Jinping, parvenu à l’âge adulte, a parfois fait le koutou traditionnel (prosternation) devant son père en signe de piété filiale. Une lettre de Xi fils à Xi père datée de 2001, également citée par Joseph Torigian, se termine par “ton fils. Jinping. Koutou”, en guise de salutation.Xi Zhongxun, lui, est d’extraction pauvre ; sa famille est venue du Henan au Shaanxi (et Xi Jinping, né au Shaanxi, revendique tantôt l’une tantôt l’autre de ces origines géographiques). Il doit son éducation – rare à l’époque pour cette classe sociale - à la protection d’un enseignant lui-même révolutionnaire et à la politique scolaire du Seigneur de la guerre qui était alors à la tête de la province. C’est pratiquement dès l’âge de dix ans, et alors que ses parents décèdent tous deux de maladie, qu’il intègre presque naturellement la mouvance révolutionnaire, puis communiste. Il commet son premier attentat (raté) à quatorze ans, contre un directeur d’école.Les continuités à la fois au sein des familles révolutionnaires, et avec les anciennes coutumes, restent frappantes.La suite ne peut qu’être brièvement résumée, tant le récit de Torigian est riche et nourri de sources biographiques directes. Un seul sinologue français a vraiment fait une telle plongée dans les très nombreuses autobiographies de cadres révolutionnaires parues en Chine : Jean-Luc Domenach, dont les deux ouvrages sur le sujet ne sont toutefois pas aussi centrés sur une personnalité unique.Il faut lire Mao, sa cour et ses complots, qui relate la vie derrière les “longs murs” de Zhongnanhai et les vieux griefs entre dirigeants avant la Révolution culturelle, et Les fils de Princes – une génération au pouvoir en Chine, qui prend le relais pour l’après 1976 et la mort de Mao. Parus en français, les deux livres n’ont pas eu l’écho qu’ils méritaient dans la sinologie sous dominante américaine. Fouillé, précis et même pointilleux, l’ouvrage de Joseph Torigian risque à son tour de ne pas être lu en-dehors d’un cercle de spécialistes.Et pourtant… Nombre d’enseignements sont à tirer sur la filiation et la genèse de la personnalité de Xi Jinping, un des dirigeants les plus puissants au monde, à partir de l’épopée de son père qui a exercé une telle influence sur sa propre destinée.Parmi les points frappants : l’auto-renforcement des convictions au fur et à mesure des souffrances endurées. Ce n’est pas seulement parce que l’enfance de Xi Zhongxun a coïncidé avec deux terribles famines en Chine du Nord et du Centre (1920-1921 et 1928-1930), mais parce que sur cinq emprisonnements subis lors de son existence, c’est le Parti communiste qui en a ordonnés quatre. On comprend mieux les références que son fils, Xi Jinping, fera plus tard à la nécessité pour les cadres d’être trempés comme l’acier. C’est non seulement une référence implicite à un célèbre roman soviétique bien diffusé en Chine après 1949 (Nikolaï Ostrovski, Et l’acier fut trempé, paru en 1934 en Union soviétique, est diffusé en Chine à des millions d’exemplaires dès 1952) mais bien l’influence de ces expériences paternelles. Zhongxun, le père, a gardé son culte de Mao Zedong et de la révolution jusqu’à sa mort. Quand lui-même, non encore réhabilité, revoit pour la première fois son fils (lui-même envoyé à la campagne pendant neuf ans) en juillet 1976, il lui fait réciter par cœur deux célèbres discours de Mao. Et dans toutes les circonstances, y compris à Zhongnanhai, Zhongxun a inculqué à ses enfants une discipline stricte et une vie spartiate, dont Jinping témoignera avec un véritable accent d’authenticité. Sur ce plan, on comprend la ténacité de la lutte de Xi Jinping contre une corruption endémique.Il apparaît clairement que Xi Zhongxun est un survivant de ces luttes de faction et interpersonnelles du Parti. Trois d’entre elles ont eu lieu avant 1949, et ces épisodes sont marqués par d’innombrables arrestations internes au Parti, tortures routinières et exécutions. La cinquième a lieu dès 1962, et non au début de la Révolution culturelle. Il est alors accusé d’être derrière la publication d’un roman biographique célébrant Liu Zhidan – un leader des zones rouges du Nord-Ouest pendant les années 1930, éliminé en dépit de ses exploits militaires. Plus que tout, il est reproché à Xi Zhongxun, à travers la célébration de Liu Zhidan, d’avoir indirectement évoqué Gao Gang, le dirigeant purgé en 1953 pour s’être trop rapproché des Soviétiques. Xi Zhongxun perd toutes ses fonctions pendant douze ans et ne reverra sa propre épouse qu’une seule journée entre 1962 et 1975. Autrement dit, c’est un père absent que Xi Jinping a connu pendant les années qui précèdent son propre exil. Au total, cette seule “affaire” de 1962 a affecté 20 000 personnes dans les rangs du Parti.Pour Xi Jinping, il y a eu pire encore. Sa mère, Qi Xing, enseignante à l’École centrale du Parti, est persécutée à la fois pour son lien de mariage avec Xi Zhongxun et pour ses propres fautes politiques supposées. Avec la Révolution culturelle, Jinping ainsi que ses frères et sœurs deviennent des “enfants noirs”, et sont régulièrement humiliés et battus. Dans un épisode terrible entre mère et fils, Qi Xin doit applaudir à une parade publique invectivant son fils sur une estrade. Elle refusera de le nourrir quand il réussit à échapper à ses gardiens et retourne à la maison – et elle le dénoncera, un geste que Jinping aurait accepté en raison du danger qu’elle encourait pour elle-même. Xi Jinping prend brièvement la tête d’une bande d'”enfants noirs” et fait le coup de poing contre des attaquants de son père : un trait qui le rapproche de l’adolescence de Vladimir Poutine à Léningrad. Plus tard, Xi Jinping confiera qu’il ”a souffert bien plus que d’autres”.Zhongxun a inculqué à ses enfants une discipline stricte et une vie spartiate, dont Jinping témoignera avec un véritable accent d’authenticité. Sur ce plan, on comprend la ténacité de la lutte de Xi Jinping contre une corruption endémique. Les inimitiés internes ont leur rôle. Les liens de Xi Zhongxun et Gao Gang, qui remontent à l’époque des zones rouges, les ont opposés à la fois à Liu Shaoqi et à Bo Yibo. Mais le jeu du Parti emporte tout. Un des meilleurs amis de Xi Jinping – en tous cas, le seul qu’il cite – ne sera-t-il pas Liu Yuan, fils de Liu Shaoqi devenu général de l’Armée populaire de Libération, contempteur de la corruption dans les rangs de l’armée ? À travers ces décennies, les récits abondent de retrouvailles entre anciens ennemis, réconciliations personnelles ou de circonstance, accompagnées de force pleurs.C’est à cette aune aussi que doit être jugée la réputation du père de Xi Jinping comme d’un réformiste ardent mais contrarié. Cette réputation est souvent opposée à l’action de Xi Jinping lui-même depuis son accession au pouvoir, qui constituerait en quelque sorte une rupture avec l’esprit de son père. Or, la réputation sur ce plan de Xi Zhongxun est sinon usurpée, du moins exagérée. Certes, il a parfois été dans le camp des modérés lors de luttes intestines aux zones soviétiques des années 30. Mais il se rallie et exécute sans faiblesse les politiques choisies de la manière la plus brutale. Ces revirements coïncident souvent (bien que Torigian lui-même ne mentionne guère ce facteur) avec les changements de politique au sommet, et avec la ligne alors insufflée par le Komintern, l’Internationale communiste pilotée par Moscou et influente au sein du PCC. Comme ministre de la Propagande, Xi Zhongxu a contribué indirectement à la persécution de l’écrivain Hu Feng – peut-être en communiquant une requête de celui-ci au chef de la Propagande du Parti, Zhou Yang (lui-même cible importante lors de la Révolution culturelle).Ces revirements coïncident souvent [...] avec les changements de politique au sommet, et avec la ligne alors insufflée par le Komintern.Son rôle modéré apparaît plus nettement après 1978 et notamment entre 1982 et 1985 vis-à-vis du Tibet, de l'Église catholique et même du Xinjiang. Xi Zhongxun est alors chargé de ces dossiers, au titre du Front Uni.L’atout de Xi Zhongxun, c’est d’avoir forgé au début des années 50 un lien personnel avec le Panchen Lama à Pékin. Il est sans conteste influent dans les contacts avec le Dalaï-Lama et son entourage en 1982-1985, et réussit aussi à faire remplacer les cadres d’origine Han les plus chauvins à la tête de la province. Cette modération s’étend aux autres religions. En définitive, il se ralliera pourtant aux vues les plus intransigeantes - tout comme il l’a fait dans le débat sur la “pollution spirituelle” de 1983 lors de la purge du Quotidien du Peuple et lors de la répression de Tiananmen le 26 mai 1989.Son soutien à la politique d’ouverture et de réformes est certes crucial. Mais comme d’autres dirigeants, il compose, tempère, et recule dans les grandes occasions politiques. Ce qui n’empêche pas qu’il paie ses réserves, même discrètes et passagères. C’est ainsi qu’il est une nouvelle fois éloigné de Pékin au début de 1990 – pour demeurer dans le Guangdong jusqu’à sa mort.On comprend mieux l’insistance de Xi Jinping, parvenu au sommet, à célébrer la mémoire de son père à Shenzhen et dans les autres Zones économiques spéciales. Dans cette ascension extraordinaire d’une région aux portes de Hong Kong (dont Xi Zhongxun a dit admirer la vitalité), il a joué un rôle plus direct et plus important que Deng Xiaoping lui-même : on attribue pourtant souvent le rôle essentiel à Deng, ce qui n’est vrai que lorsque ce dernier valide en 1992 la reprise de la politique d’ouverture, après le coup de barre de Tiananmen. Les rapports de Xi Zhongxun avec Deng Xiaoping sont ambivalents. Après 2012, Xi Jinping peut se montrer plus audacieux à propos de ce dossier familial. En 2000, il avait donné à la presse du Parti un interview annonciateur de son ambition, alors que d’ordinaire, un dirigeant de niveau moyen (Xi était alors gouverneur du Fujian) ne va jamais risquer une auto-promotion publique susceptible de se retourner contre lui. Cet interview accordée à un organe de masse féminin du Parti fut publié de nouveau en 2012 mais s’avère peu disponible aujourd’hui dans sa version chinoise, sinon de façon abrégée. Une traduction de 95 % du texte existe au Danemark, disponible uniquement sur un site secondaire, avec un lien coupé vers le texte original.Il y évoque certes son père, en termes généraux (évoquant une accusation à son encontre, sans en révéler le motif), parle plus précisément de ses propres difficultés comme étudiant classé “réactionnaire”, et célèbre un oncle maternel révolutionnaire qui a joué un rôle dans son retour en grâce après la Révolution culturelle.Ce qui importe le plus aujourd’hui, c’est bien sûr la compréhension de la personnalité de Xi Jinping lui-même. Bien que proche dans le passé de nombreux “fils de prince”, il ne se considère pas comme tel, en raison des souffrances qu’il a endurées, mais aussi parce qu’il a emprunté une voie bien différente de celle de ses contemporains partis dans les affaires, en choisissant un rôle provincial relativement obscur en 1982. Un des slogans lancés en Chine en 2016 “不忘初心” (“n’oublie pas ton esprit d’origine”) résume bien cette fidélité. D’une certaine manière, Kevin Rudd, ancien Premier ministre d’Australie et actuel ambassadeur d'Australie aux États-Unis, a eu raison de dire que Xi “pense ce qu’il dit” quand il affiche des intentions."Mon père m’a légué deux choses : ne persécute pas les gens et ne dis pas la vérité : la première est possible, la seconde ne l’est pas". Il est fascinant de constater que Xi Jinping n’a pas suivi le premier conseil, mais bien le second.Mais dans ses écrits, Xi Jinping distingue souvent sur le plan politique la stratégie et la tactique. Et c’est en effet aussi un calculateur et un dissimulateur d’intentions. Selon ses propres mots confiés à un vieil ami de son père, Li Ru, que celui-ci cite dans ses souvenirs "mon père m’a légué deux choses : ne persécute pas les gens et ne dis pas la vérité : la première est possible, la seconde ne l’est pas" . Il est fascinant de constater que Xi Jinping n’a pas suivi le premier conseil, mais bien le second.Cela contredit Kevin Rudd. Il n’est pourtant pas infidèle à son père - qui a fait tous les compromis avec la vérité au cours de son existence, et qui a lui aussi manié le glaive contre les cibles désignées par le Parti.Cette expression cynique se réfère en effet au contexte mouvant des luttes de ligne et de factions au sein du Parti, que son père a connu avant lui. Xi Jinping l’a dit sans détours en 2000 : "Du pouvoir, je n’ai pas vu que les fleurs, la gloire et les applaudissements. J’ai aussi vu les étables à vaches [niuben, comme on surnommait les endroits où on maintenait enfermés les opposants] et l’inconstance du monde. Cela me donne une compréhension plus profonde de la politique."Mais comme Torigian l’évoque, Xi a une double loyauté : au Parti avant tout, et ensuite à sa famille. La réunion des deux donne aussi un nationalisme autant civilisationnel que politique, et une exécration des "traîtres" - dissidents qui persistent, sécessionnistes ou supposés tels.Quant aux sentiments envers Mao, ils sont ambivalents. Bo Xilai, le prétendant déchu en 2012 et lui aussi fils d’un dirigeant persécuté par Mao, l’a exprimé sans détour : Mao montre la voie. Pour l’un (Bo Xilai, qui a échoué) comme pour l’autre (Xi Jinping, qui a réussi), c’est celle de l’autoritarisme personnel sans frein. Autrement dit, le persécuteur peut servir à son tour de modèle. L’échec après Mao de la "direction collective" pour prévenir les heurts entre factions, la détestation de la "grande démocratie" (que ce soit celle de la Révolution culturelle ou les démocraties parlementaires chaotiques), le spectacle des atermoiements et des avanies successives subies par Xi Zhongxun tout au long de sa vie ont pu servir de repoussoir.La biographie de Joseph Torigian explique indirectement comment Xi Jinping a pu devenir Xi Jinping. Elle ne lève pas le mystère sur ce qu’il est réellement, sauf sur deux points essentiels : la primauté du Parti, héritée aussi bien de son père que des Quatre Principes Fondamentaux de Deng Xiaoping (formulés dès mars 1979, ils énoncent comme objectifs le maintien du socialisme, de la dictature démocratique populaire, de la direction du Parti communiste et du marxisme-léninisme) et de la pensée de Mao Zedong, d’une part.Et, d’autre part, la démarche ou la tactique, que Xi Jinping décrit parfois comme précautionneuse et progressive, mais qui est aussi tortueuse.Il est, disons-le, très difficile de comprendre les chemins du sérail au sein du PCC. Avec toi au pouvoir, je suis tranquille, un autre ouvrage français, a tenté la même démarche pour Hua Guofeng, le successeur désigné de Mao. Un portrait par Stéphane Malsagne fournit d’utiles rapprochements et contrastes entre l’héritier par le sang (Xi) et l’héritier désigné. Hua, comme plus tard Hu Jintao, est parfois désigné avec mépris comme un "employé" par l’aristocratie rouge. Plus éduqué que Xi Zhongxun, car issu d’une école commerciale, mais avec un parcours initial analogue (la protection d’un seigneur de guerre puis le PCC à 17 ans), Hua est d’abord affilié à Kang Sheng - le chef historique de la sécurité et des services secrets de Mao. Curieusement, il a gagné ses principaux titres de guerre en tant qu’acteur et directeur d’une troupe d’art dramatique dans les bases rouges. Il est chargé, à partir de 1952, du district où se trouve Shaoshan, la localité d’origine de Mao. On peut faire un rapprochement avec Mikhaïl Gorbatchev, dont on oublie qu’il a longtemps été en charge de la région de Stavropol avec ses stations thermales réputées où venaient se ressourcer de nombreux dirigeants soviétiques : à Shaoshan, on reçoit aussi beaucoup de visiteurs importants…Mais Hua joue un rôle dans l’histoire en étant l’acteur essentiel de l’arrestation de la "Bande des Quatre" en septembre 1976 : restaurateur du Parti, mais non continuateur. Comme pour Xi Zhongxun, Malsagne montre les contorsions d’un dirigeant plus réformiste sur le plan économique qu’on ne l’a dit - fasciné par la technologie étrangère et comptant sur elle pour moderniser la Chine, mais guère attiré par les vertus d’une économie de marché. Hua a sans doute été rendu amer par la façon dont il a aussitôt été désarçonné par un Deng Xiaoping bien plus prestigieux dans les rangs du PCC. Comme Xi Zhongxun, il a alors nourri des sympathies politiques réformistes - rendant visite à Hu Yaobang avant la mort de celui-ci - mais acceptant ensuite de cautionner la répression de Tiananmen. Finalement, hormis Hu Yaobang dont la mort en janvier 1976 a consacré le statut de réformateur politique, seul Zhao Ziyang, depuis son exil intérieur et relayé par son disciple Bao Tong, a pris position pour la démocratie politique.Seul Zhao Ziyang, depuis son exil intérieur et relayé par son disciple Bao Tong, a pris position pour la démocratie politique.Jean-Luc Domenach a pour sa part tenté de reconstituer l’histoire de famille du PCC du vivant de Mao. Bien qu’un peu caricaturalement titré Mao, sa cour et ses complots, le premier volume est en fait aussi riche d’enseignements que celui de Torigian sur la vie "derrière les longs murs" au sein des familles du groupe dirigeant.Encore plus éclairant sur la vie et les disputes au sein de ce groupe, il est toutefois plus orienté sur la psychologie que sur la politique : mais après tout, les ressorts d’une secte appartiennent souvent à ce premier domaine. Le second volume, sur la saga des "fils de prince" après 1976, s’ouvre précisément sur la photo de famille de Xi Jinping enfant devant son père et son fils aîné. Mais l’angle de la lentille est beaucoup plus large, et en partie socio-économique : c’est un véritable annuaire de cette génération ressuscitée et dorée, et de l’enrichissement extraordinaire qu’elle a connu. Joseph Torigian, lui, en parle peu, mais c’est parce que Xi Zhongxun, comme Xi Jinping à titre personnel, n’ont absolument pas emprunté cette voie. Cette austérité - si on en excepte bien sûr les privilèges du pouvoir - est un atout politique essentiel pour Xi Jinping. Mais sociologiquement, c’est la voie de l’enrichissement décrite par Domenach, en Chine et au-delà, qui prédomine. Elle n’a d’ailleurs pas épargné la fratrie de Xi, avec plus ou moins de bonheur.On ne ferait sûrement pas en 2025 de Xi le saint patron des fils de prince, comme le présente Domenach en 2016. En bon marxiste qui s’ignore (vraiment, peut-on dire en toute affection), ce dernier considérait cette caste comme une classe qui à sa manière a assuré le miracle économique chinois : et pourtant, dans sa conclusion, il voit avec prescience que le culte de l’argent ne peut remplacer la politique, et anticipe le retournement de Xi contre sa propre caste. À côté de la création par celle-ci d’un capitalisme hybride, Xi instaure un "stalino-maoïsme".Aux débuts de l’ère des réformes et de l’ouverture en Chine, nombre d’analystes, notamment en France, ont cru cet essor impossible : le carcan maoïste, avec son cycle de phases libéralisantes suivies de grandes reprises autoritaires, leur semblait reproductible à l’infini. Or ces réformes et cette ouverture ont duré plus de 30 ans, quoiqu’avec un essoufflement progressif et une mise en veilleuse des velléités politiques à partir de Tiananmen (1989) et tout au long du mandat de Hu Jintao et Wen Jiabao (2002-2012), attaqués par les conservateurs.Quarante ans plus tard, avec l’accession au sommet de Xi Jinping (2012- ?), bien des observateurs n’ont pas plus voulu accepter l’idée d’un retournement autoritaire aussi profond, et avec lui la fin de toute idée de convergence avec les économies de marché ou les démocraties.Il fallait en 1978 croire à la dynamique des réformes au sein du PCC. Il faut depuis 2012 comprendre que cette ère est terminée. Le livre de Joseph Torigian, après d’autres ouvrages, dont celui de Frederick C. Teiwes ou de David Shambaugh, montre que dans un édifice aussi solidement tenu que l’est le Parti communiste, la frontière entre conservateurs et réformateurs peut être mouvante dans le temps. En ce sens, Xi Jinping est bien un héritier de ces divers courants.Copyright image : Jade Gao / AFP Xi Jinping à Pékin, le 3 septembre 2025.ImprimerPARTAGERcontenus associés 12/08/2025 [Le Monde de Trump] - Chine : “Une opportunité comme il ne s’en est pas pro... Michel Duclos François Godement 14/05/2025 Stratégie de sécurité nationale de la Chine : une lecture du nouveau Livre ... Mathieu Duchâtel