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05/06/2020

Le destin de l’économie allemande est inséparable de celui de l’Europe

Le destin de l’économie allemande est inséparable de celui de l’Europe
 Roderick Kefferpütz
Auteur
Analyste politique et écrivain indépendant

Après plusieurs mois d’effacement, l’Union européenne occupe de nouveau le devant de la scène. Pour permettre à l’économie européenne de se relever, la Commission européenne a proposé un plan de relance de 750 milliards d’euros. Une proposition inédite, qui n’aurait pu voir le jour sans notamment le soutien de la Chancelière allemande, Angela Merkel. Comment interpréter ce "tournant européen" de l’Allemagne et comment accorder ce plan de relance avec la priorité donnée par l’Allemagne à la protection du climat? Trois questions à Roderick Kefferpütz, directeur du département "Etudes et stratégie" du Ministre-Président du Bade-Wurtemberg (Allemagne). 

La proposition de la Chancelière allemande et du Président français en faveur d’un plan de relance européen marque un tournant dans la politique européenne de l’Allemagne. Allié traditionnel des pays "frugaux", l’Allemagne s’en démarque aujourd’hui pour défendre une véritable solidarité européenne. Assistons-nous à l’affirmation d’ une nouvelle constellation politique en Europe?

Le crise du coronavirus a mis en évidence deux traits fondamentaux de la construction européenne : l’intégration profonde de nos économies et la vulnérabilité de nos institutions. Alors que les chaînes de production s’arrêtaient en Italie et en Espagne, les chaînes d'approvisionnement européennes étaient profondément perturbées, forçant les usines allemandes à fermer. L’Europe doit maintenant faire face à la plus grande récession de son l’Histoire. 

En même temps, alors que la pandémie frappait l’Europe et manifestait l’interdépendance de nos économies, les gouvernements nationaux ont choisi d’adopter une stratégie de "distanciation politique". Se replier sur soi au lieu de se montrer solidaire fut la stratégie de nombreux États. Les interdictions d’exportation d’équipements médicaux ont été mises en place à l’encontre de pays européens et l’activation par l’Italie du Mécanisme de Protection Civile Européen a été, dans un premier temps, laissée sans réponse... La Chine et la Russie ont rapidement profité de cette situation.

Ce moment historique révèle la rapidité avec laquelle les chaînes d’approvisionnement européennes peuvent être interrompus, et la vitesse à laquelle l’Europe peut se transformer en jeu d’échec sur lequel les puissances extérieures choisissent de faire avancer leurs pions. C’est dans ce contexte -et en regardant "vers l'abîme" comme le souligne la Présidente de la Commission Ursula Von der Leyen- que la Chancelière Merkel et le Président Macron se sont accordés sur un plan de relance européen parfaitement inédit.

Pour l’Allemagne, cette décision rompt avec l’obsession de l’austérité. Cette rupture, pourtant ne concerne pas seulement la solidarité européenne : elle touche avant tout à l’intérêt national allemand. L’Allemagne n’a aucun intérêt à laisser la Chine profiter de la situation, comme elle l’a fait lors de la dernière grande récession en laissant l’Empire du Milieu racheter des infrastructures stratégiques et renforcer ses liens économiques avec certains États membres. Pour l’Allemagne, l’Europe ne saurait être bradée aux autres grandes puissances.

Pour l’Allemagne, l’Europe ne saurait être bradée aux autres grandes puissances.

L’économie allemande d’autre part ne pourra se remettre complètement du choc si les chaînes d’approvisionnement européennes ne redémarrent pas rapidement. Le destin de l’économie allemande est inséparable de celui de l’Europe. L’Allemagne compte à elle seule pour 50 % de l’argent public mobilisé pour les plans de sauvetage au niveau européen et le plan de relance européen peut donc, d’une certaine manière, être vu comme une extension du plan de relance allemand.

Dans ce contexte, je ferais attention en décrivant le plan de relance européen comme un changement fondamental pour l’Allemagne, ou comme le signe d’une nouvelle "constellation politique" européenne. L’Allemagne a su imposer sa conception de l’austérité face à l’Europe du Sud et sa conception de l’immigration face à l’Europe de l’Est. Parviendra-t-elle à rassembler la volonté et le capital politique nécessaire pour imposer aux pays du Nord se conception de la relance européenne? Cela reste à démontrer. 

La Présidente de la Commission Ursula von der Leyen a promis un plan de relance "massif" et annoncé mercredi 27 mai 2020 que la Commission dépenserait 750 milliards d’euros pour sortir le continent d’une récession sans précédent. Comment cette annonce fut-elle accueillie par les différentes forces politiques en Allemagne ?

Le plus grand enjeu pour Angela Merkel est de convaincre sa propre famille politique, tant la CDU/CSU semble divisée... Plusieurs porte-paroles de l’Union ont déjà critiqué le plan de relance et soutenu le Chancelier autrichiens Sebastian Kurz, le nouveau chef de file des "4 frugaux". Le FDP libéral, allié traditionnel des conservateurs a exprimé son désaccord avec ce plan de relance, comme l’a fait le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland. Les Verts sont ainsi le seul parti d’opposition au Bundestag ayant choisi de soutenir la direction de ce plan de relance. Cela confirme une citation parue dans The Economist récemment : "Les derniers partisans du projet européen sont essentiellement des Verts - avec un dernier bastion d’Europhiles issus du centre-droit : la CDU allemande".

Le plan de relance européen prévoit que les États devront présenter un plan d’investissements et de réformes compatible avec les priorités politiques de la Commission : le "green deal", la transition écologique et une plus grande souveraineté européenne. Quels projets concrets pourraient redonner une place à l’écologie dans l’Europe de demain ? 

Le plan d’investissements et de réformes doit rendre l’économie européenne plus résiliente face aux crises, en la rendant plus verte, digitalisée et compétitive sur le long terme. Cependant, le plan de relance doit aussi avoir un effet économique concret dès maintenant. Construire des parcs éoliens pourrait avoir des effets économiques bénéfiques sur le long terme, mais cela ne ferait pas grand chose pour lutter contre la récession. Trois propositions de politiques générales peuvent être envisagées pour le moment. 

Premièrement, la rénovation. L’ensemble des bâtiments publics européens devraient être systématiquement rénové : rendre les bâtiments publics plus efficaces énergétiquement stimulerait l’industrie de la construction, en plus d’être bénéfique pour le climat et de faire économiser les contribuables sur leurs factures d’électricité. Cela est aussi vrai pour le parc automobile public. La transition vers des voitures électriques ou hybrides permettrait de soutenir l’industrie automobile européenne, comme le ferait un plan de "primes à la casse" à visée écologique.

L’Europe devrait considérer la mise en place d’un programme de relocalisation en proposant un soutien financier aux entreprises qui souhaitent relocaliser leur production.

Deuxièmement, un programme de destruction des outils anciens, non-numériques et polluants, pourrait être envisagé. De nombreuses usines européennes travaillent toujours avec des machines industrielles dépassées. Offrir un soutien financier pour le remplacement de ces machines par des produits de haute technologie présentant un meilleur bilan carbone permettrait de digitaliser l’industrie européenne et de la rendre plus écologique. Ce soutien spécifique permettrait d’aider le secteur du numérique en Europe. 
 
Enfin, l’Europe devrait considérer la mise en place d’un programme de relocalisation en proposant un soutien financier aux entreprises qui souhaitent relocaliser leur production. L’épidémie du coronavirus redessine les chaînes d’approvisionnement internationales et les lignes de forces de la compétition économique globale. Le Japon a déjà assigné 2,2 milliards de dollars de son plan de relance au soutien des fabricants japonais retirant de Chine leur chaîne de production. L’UE pourrait offrir les mêmes incitations économiques pour amener les fabricants européens à revenir sur le continent ou les aider à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement et accroître leur résilience.

 

 

Copyright : Odd ANDERSEN / AFP / POOL

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