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29/09/2011

L’agence de financement des investissements locaux : une réponse partielle à la dette des collectivités ?

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L’agence de financement des investissements locaux : une réponse partielle à la dette des collectivités ?
 Jean-Luc Boeuf
Auteur
Professeur à Sciences Po au sein du Master Stratégies territoriales et urbaines

L’annonce. Le 20 septembre 2011, les présidents des principales associations d’élus ont annoncé le lancement du processus devant conduire à la création d’une "agence de financement des investissements locaux". Apparemment, il ne semble pas y avoir de rapport entre un emprunt "toxique" et le principe de "libre administration" cher aux élus. Et pourtant, à y regarder de plus près, les deux mécanismes sont liés. Un peu comme au théâtre, la pièce s'est jouée en plusieurs actes.

Le contexte. Les élus locaux sont inquiets quant à leur capacité à financer leurs investissements par emprunt. Ils craignent que les banques ne diminuent leurs prêts aux collectivités locales, en raison de la crise de "liquidités" et des "fonds propres" supplémentaires imposés par les réglementations mondiales.

Premier acte. Les élus et les 56.000 collectivités qu'ils gèrent acquièrent la liberté d'emprunter avec la loi du 2 mars 1982 portant droits et libertés des communes, départements et régions. Face à un Etat qui se désengage et investit deux fois moins en euros courants qu’il y a trente ans, les collectivités prennent le relais et deviennent, ensemble, les plus gros investisseurs civils de la nation, jusqu'à représenter les trois-quarts de la formation brute de capital fixe des administrations. Mais ceci a un coût. Car, globalement, les collectivités ont pris le parti de privilégier la fiscalité - locale - pour réaliser leurs investissements. Ceci s'est donc traduit par des hausses qualifiées par certains de vertigineuses dans les années 1980 et 1990.

Entracte. La situation d'ensemble des collectivités est globalement saine, ainsi que le rappelle la Cour des comptes dans son rapport de juillet 2011. Ainsi, pour l’ensemble du secteur public local, l'endettement est passé de 120 à 156 milliards d'euros de 2005 à 2009. Il sera donc rappelé que, en points de PIB, la dette globale dudit secteur public local est moindre aujourd'hui qu'en 1982. C’est là qu’interviennent les emprunts "toxiques". Pour les collectivités souscrivant de tels produits, certains montages ont permis d’afficher à court terme un endettement particulièrement peu coûteux, ainsi qu’une amélioration de l’autofinancement de la collectivité. Mais, en réalité, ils ont tout simplement méconnu le prix du temps, faisant accroire que les "flux financiers" étaient équivalents alors qu’ils étaient simplement déterminés à des moments différents ! Il convient cependant de rappeler ici que, au-delà de la complexité des formules d’emprunt, ce sont les élus eux-mêmes qui étaient demandeurs de financements "faciles", et immédiats, en reportant donc dans le temps le paiement réel des échéances. S’il est une morale de cette histoire, c’est que le temps a bien un prix !

Deuxième acte. Considérons le budget des collectivités sous la forme d'un fromage composé de trois parties : les dotations, la fiscalité et l'endettement. Depuis plus d’une décennie, l’Etat s’est attaché à maîtriser les dotations versées aux collectivités jusqu’à arriver au gel pour l’exercice budgétaire en cours. Puis, le champ de la fiscalité locale a été – enfin – ouvert pour tenter de résoudre l’impossible équation : l’Etat, devenu le premier contribuable local, payait plus du tiers de la fiscalité locale, de sorte que celui qui prescrivait (le secteur local) savait qu’une partie de la note était payée par le contribuable Etat ! Aujourd’hui, il est temps de s’intéresser au troisième morceau du fromage, à savoir l’endettement local.

Troisième acte. Regardons donc les emprunts des collectivités sous l'angle des finances publiques de la Nation. Et là, il n'est pas sûr que les collectivités soient uniquement d’innocentes victimes. Il ne s’agit pas de remettre en cause la dépense locale mais de lui fixer des priorités cohérentes. Soyons réalistes. Les collectivités locales s'enfoncent doucement, et la Nation avec. Pour s'en sortir, il ne suffira pas de brandir le mot magique de la "libre administration" et de "l'autonomie locale". La loi du 16 décembre 2010, en prévoyant à terme de limiter les financements tous azimuts des collectivités va déjà dans le bon sens.

Dénouement. La création de cette agence de financement des collectivités locales est une réponse partielle à deux sujets de fond, l’endettement des collectivités et le nouveau comportement des banques, et une difficulté conjoncturelle liée aux emprunts dits "toxiques". De toute façon, les étapes à franchir seront longues avant que l’agence prête effectivement de l’argent aux collectivités locales.
Et si, en définitive, la difficulté d’accès à l’emprunt des collectivités locales n’était qu’une illustration concrète de cette interdépendance entre tous les acteurs, nationaux et locaux, publics et privés, financiers et économiques. Car les contraintes financières de la Nation sont telles qu’elles ne peuvent être sans conséquence sur les investissements futurs des collectivités locales françaises, et partant, de leurs emprunts.


- Trois propositions pour une meilleure gestion de la dette locale, note de Jean-Luc Boeuf et Eric Dussoubs

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